Mail : utiliser des emojis fait-il de vous quelqu'un de sympathique ?
14. 11. 2024
5 min.
En 2024, écrire un mail sans emojis et points d’exclamation à tout va semble mission impossible. Doit-on accueillir à bras ouverts nos compagnons jaunes dans nos échanges professionnels ? Notre journaliste tranche.
Panique à bord. Sans crier gare, un festival d’émojis aux mines hyper-giga-supra réjouies se tape l’incruste dans ma boite mail. Motif de l’intrusion ? Mon entourage pro fait partie des 75 % des français qui les utilisent régulièrement, histoire d’enjoliver leurs échanges de boulot. Et - patatras - après quelques années de résistance, j’avoue en être arrivé, moi aussi, à grossir les rangs de cette stat’ himalayesque. Un virage improbable, au regard duquel il paraît difficile de réfréner cette interrogation, qui affleure avec l’urgence des cas de crise : « Bordel, mais comment en suis-je arrivé là ? » Après tout, ces pictogrammes ont longtemps été considérés comme l’apanage exclusif, et abruti, de digital natives perdus pour l’orthographe, si incapables de manier les richesses de la « langue de Molière » qu’ils en seraient réduits à privilégier de vulgaires « :) » pour s’exprimer - quel gâchis.
Seulement voilà. Les années passant, le raz-de-marée emoji a fait céder toutes les digues. Les boomers qui juraient leurs grands dieux que « jamais, ô grand jamais » ils ne succomberaient aux sirènes de ces hiéroglyphes de temps modernes les ont adoptés et, à leur suite - surprise, surprise - nos augustes grands-parents. Plus déroutant, encore : le sacro-saint espace de travail, plus réputé pour ses conventions policées que pour être le théâtre d’intéractions non-verbales kawaïï, a, à son tour, rendu les armes. Talkspirit, Slack, Google Workplace… Tour à tour, ces bastions du formalisme pro sont tombés façon domino. Une bascule dont je reconnais avoir été le premier déconcerté.
À l’aide, :D déboule
Hiver 2020. « Hello, dispo pour un call vers 17h ? :) . » Lorsque je reçois ce mail, ma première réaction est de parier sur une méprise. Du genre mauvais destinataire, ou faute de frappe, allez savoir. Sauf que non. Oui, ma n+1 souhaitait planifier un coup de fil et, oui, ce smiley choupinou, que je croyais jusque-là réservé aux mignonneries dating, avait sciemment été accolé au message pragmatico-pratique que j’avais reçu, moi, son employé. Du délire ?
Pas sûr. Après tout, l’heure était au confinement. De sorte que l’usage a priori saugrenu de ce symbole avait, réflexion faite, toute sa place dans une période de « vie sous cloche », où le télétravail généralisé rendait fatalement nos échanges pro plus distanciés, moins incarnés. Condamnés à passer par la case - plutôt froide, il faut l’avouer - du numérique pour s’adresser les uns aux autres, il fallait bien dénicher des stratagèmes, des astuces, pour humaniser le lien. Alors, bon gré mal gré, welcome aboard, soldat « :) ».
Aussi : cette supérieure appartenait, comme moi, à la gen Z. Soit une frange de la population socialisée dès l’enfance à faire exploser les scores, en matière de « xD », « :P » et autres « ;( ». Rien de déconnant à ce que ces réflexes s’invitent au bureau, une fois les adolescents d’antan débarqués sur le marché du travail. La déferlante emoji est d’autant plus logique qu’en moyenne, mes aimables concitoyens passent quotidiennement 3,3h sur leur tel’. Autant dire qu’à leurs yeux comme aux miens, les smileys sont 100 % intégrés à l’usage courant de la langue. La preuve : à l’ère de l’hyper-expressivité, on s’autorise tous à exposer nos émotions sur les réseaux sociaux à grands renforts d’émoticônes cœur, bouquet de fleurs, ou vilaine tronche d’alien. De quoi nous faire plonger collectivement vers un modèle de communication où les phrases old school ne semblent plus suffire, pour partager nos pensées - sauf au risque de paraître… aussi aimable qu’une porte de taule. Y compris dans l’espace pro.
Emoji : baume au cœur ou foutage de gueule ?
De fait, 78 % des travailleurs estiment que les emojis rendent les rapports pro « plus aimables ». Problème : par contre-coup, leur absence donne une teinte carrément louche à certains échanges. Genre anguille sous roche. Exemple : une boss m’ayant habitué à des messages ornementés d’émoticônes paraît, d’évidence, mécontente de mon taff au moment de troquer ses habituels « ;) !! » par un lapidaire « . » en fin de mail. « M’aime-t-elle ? M’aime-t-elle pas ? ». Badaboum, me voilà à effeuiller la marguerite, en me soumettant à une analyse de sous-texte que j’exécutais jusque là (péniblement) dans ma vie intime - exclusivement.
Autre écueil : si 51 % des travailleurs trouvent les critiques plus faciles à encaisser lorsqu’elles sont agrémentées d’un émoji cordial - l’effet « pommade », quoi -, perso, j’ai tendance à les lire sur un ton passif-agressif. De sorte qu’à mes yeux, « Tu peux reprendre ton dossier stp :) ? » sonne comme un « HEY LARBIN, grouilles-toi de remettre en ordre ton taff bâclé ». C’est peut-être mon côté parano qui joue. Reste que cette réflexion a le mérite de mettre en lumière une pente à risque. Parce qu’il est un outil de communication non-verbal, l’emoji reste soumis à des interprétations variées - et peut donc être reçu de manière variée. Alors gaffe au carambolage.
Les pieds nickelés de l’open space vous saluent en « ;) »
D’abord, un rappel : les émoticônes à « face humaine » du type « :) » sont traités par le cerveau comme d’authentiques visages. De sorte qu’en user devrait, en bonne logique, doper votre capital sympathique au bureau. Oui, mais à quel prix ? Dans le même mouvement où vos ribambelles de mèmes et d’émojis ensoleillés vous transforment en bon copain de l’open space, ils écornent l’image que votre entourage pro se fait de vos compétences. Eh oui.
Lorsque Jean-Louis de la compta s’éclate à inonder votre Slack d’émoticônes sous ecstasy et de GIF ringards, il apparaît comme un profil « bonne pâte », à coup sûr. Mais aussi et surtout comme un adulescent dont personne n’est ravi de savoir qu’il pilote, à lui seul, la tombée des salaires de la boîte. « Alleeeeeeez là, arrête de faire le grincheux Antonin, tu sais bien que les images valent mille mots ! », rétorqueront les émoji-convaincus. Sauf que non. Ce que je sais, c’est que le jour où un supérieur s’est contenté de m’envoyer un pouce bleu après lui avoir demandé si un rendu était correct, je l’ai pris au mieux comme une forme de paresse, au pire comme une marque d’intense mépris. À notre ère d’hyper accélération, il est bon de le rappeler : prendre 10 secondes de son temps pour développer un propos n’a jamais envoyé personne à l’hosto. Patron, si tu me lis…
Le mimétisme comme safe zone
Indéniablement, le bon vieux « sujet-verbe-complément » en a encore sous le capot. Et tout aussi indéniablement, les emojis peuvent prêter à confusion, dans la mesure où ils ne sont pas perçus de la même façon à cause du fossé générationnel, notamment. Faut-il pour autant bannir ces symboles jouasses de l’open space, afin d’éviter le scénario-catastrophe « Tour de Babel », où tout le monde voudrait sur-jouer la carte de l’enthousiasme à coup d’icônes carnavalesque, mais… sans que personne ne pige ce que l’autre raconte ? Minute, minute.
Soyons clair. Ces pictogrammes représentent des alliés de choix, pour cultiver nos rapports inter-professionnels. Principe de base : de la même façon que sourire aux commerçants humanise les rapports (en plus de ne rien coûter…), décorer nos mails pro d’émoticônes permet de s’arracher - au moins un peu - au formalisme de bureau, pour pencher vers quelque chose de plus intime. De plus attentionné, aussi.
Le petit emoji karaté au collègue amateur de sport par-ci, une « laitue » pour inviter cette manageuse végé’ à partager votre pause de’j par là… Ça n’a l’air de rien, comme ça. Mais mis bout à bout, ce sont ces petits égards « personnalisés » qui permettent de bichonner nos relations inter-professionnelles. Et si d’aventure vous êtes un nouvel arrivé dans votre entreprise, et que vous n’avez donc aucune idée de l’étiquette en vigueur, en matière d’emoji, misez sur un mimétisme prudent.
Un collègue vous gratifie d’un « ;) » ? Alors, pas de doute, le même émoji en guise de réponse est de bon aloi. B. a.-ba de la psychologie de comptoir : on aime tous se sentir au diapason de nos interlocuteurs, grâce à des interactions « en miroir ». C’est familier, et sécurisant ; de sorte que partager les mêmes codes linguistiques, c’est déjà s’aimer un peu. De là à suggérer que nos amis emojis, aussi anecdotiques paraissent-ils a priori, pavent silencieusement la voie, vers le réjouissant horizon d’une vie de bureau moins corsetée, plus chaleureuse ? Et pourquoi pas. Go, emoji, go ;).
Article écrit par Antonin Gratien et édité par Gabrielle Predko ; photo de Thomas Decamps.
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