Co-concevoir vos espaces de travail avec vos salariés, bien plus qu’un effet de mode

12. 7. 2023

5 min.

Co-concevoir vos espaces de travail avec vos salariés, bien plus qu’un effet de mode
autor
Camille RabineauLab expert

Consultante spécialiste des nouveaux modes d’organisation et de l’aménagement des espaces de travail

Qui de mieux placés que vos collaborateurs pour vous aider à imaginer les bureaux au sein desquels ils vont évoluer, selon leurs aspirations et leurs besoins ? Camille Rabineau, notre experte en aménagement des espaces de travail, vous dévoile les bonnes raisons de sauter le pas à leurs côtés comme les points de vigilance à prendre en compte.

À l’ère de la grande démission et de la remise en cause permanente de la place du travail dans nos vies, les employeurs mettent les bouchées doubles pour répondre aux aspirations des salariés. Pour cela, l’implication de ces derniers dans les projets de l’entreprise en recourant à des démarches dites participatives est un levier en vogue. Ce parti-pris méthodologique permet de rendre les collaborateurs acteurs de leur travail, tout en faisant bénéficier l’entreprise de leur expertise de terrain, qui livre un regard complémentaire à la vision parfois lointaine de la direction.

Les projets d’aménagement de l’espace de travail ne font pas exception. Ces projets, bien que techniques et faisant appel à des corps de métiers spécialisés (architectes, ingénieurs…) sont majeurs pour l’entreprise qui a tout à gagner à ce qu’on appelle en urbanisme « l’expertise d’usage ». Autrement dit, un apport nouveau de connaissances et de perspectives, permis par le vécu des personnes directement concernées par un projet d’aménagement. Quels sont les apports tangibles de ce type de démarche ? Comment la mettre en œuvre sans complexifier le projet initial et comment éviter ses principaux écueils ?

Le co-design, l’allié naturel des nouveaux principes d’aménagement de l’espace de travail

Les espaces de travail connaissent de profondes mutations qui bousculent les habitudes des salariés. Dans les métiers de bureau, le développement du télétravail entraîne une recherche d’optimisation immobilière autant qu’un questionnement sur les usages du bureau. Les aménagements qui reposent sur la flexibilité proposent, en contrepartie du renoncement au poste de travail individuel, une palette enrichie d’espaces, avec la promesse de mieux répondre aux diverses situations de travail du salarié. Dès lors, co-construire le projet présente deux avantages : d’une part, imaginer les nouveaux usages avec les premiers concernés, et d’autre part, engager la discussion avec eux, dans l’espoir de lever, petit à petit, les craintes et les réserves.

Faire naître des idées nouvelles

« J’ai eu une épiphanie en réalisant qu’aller chercher l’usage chez les gens qui le vivent produirait plus de “vrai” que n’importe quelle personne dans sa tour d’ivoire, aussi compétente soit-elle », confie Pierre-Emmanuel Petit, cofondateur de la PME Arpilabe qui a rénové son siège en 2022. Les projets qui font appel aux salariés bénéficient effectivement d’idées nouvelles qui ne font pas partie du programme de départ. Que ces apports soient structurants ou plus anecdotiques, ils constituent des enrichissements du projet pour lui permettre de mieux coller aux besoins et envies des utilisateurs finaux. « Il y a des espaces et des équipements qu’on n’aurait jamais mis, jamais envisagé, sans cette dimension participative. Le travail sur les usages en ateliers a permis d’adapter les plans, raconte Philippe G., directeur de projet qui a piloté un important programme immobilier pour un grand groupe du secteur informatique. Par exemple, on a conçu certaines zones de façon modulaire de manière à pouvoir déplacer les équipes au fil des projets, sans travaux. C’est venu des ateliers. »

Laure Philippe, directrice de l’agence d’architecture tertiaire Othéa, abonde dans ce sens : « Pour un projet chez une PME de 70 personnes, il y a eu une démarche participative qui a fait jaillir plein d’idées ambitieuses, l’accueil d’une personne sans abri par l’intermédiaire d’une association, l’arrivée de l’art dans les murs avec de la location d’oeuvres et un espace de convivialité bien plus grand que prévu. » Pour les concepteurs, qui ont l’habitude de composer avec les contraintes à commencer par celles des bâtiments, c’est une exigence supplémentaire, un défi qui incite à innover et sortir de sa zone de confort.

Faciliter l’appropriation du projet

L’approche participative assoit, sinon fait naître, la culture du compromis dans le projet, renforçant la légitimité des décisions prises. Ce n’est pas seulement un moyen de remonter des demandes « du bas vers le haut », mais aussi l’opportunité de créer des espaces de discussion qui vont aider à l’appropriation et à la compréhension des intentions et du cadre du projet. « L’idée d’une démarche participative et d’un accompagnement sur les usages avait plu aux décideurs et avait été demandée dès la consultation (des prestataires, ndlr), se souvient Philippe G.. On avait tiré les conclusions d’un précédent projet qui avait connu une certaine résistance au changement et sur lequel on avait fait le constat d’un travail en vase clos. »

Cette approche rend également plus difficile la remise en cause des choix et limite la dimension arbitraire du projet, qui guette toujours dès lors que l’esthétique et le sensible entrent en jeu. « Les ateliers nous permettaient de faire passer des idées qui venaient plutôt de l’équipe projet, de les valider et de les peaufiner. La démarche itérative en atelier permet de conforter certains choix et d’en faire évoluer d’autres. Tandis que l’aspect participatif donne plus de poids et évite de tout remettre en question s’il y a des changements de personne en cours de route, parce que la route est longue », estime encore Philippe.

Dans les cas les plus réussis, cette culture ne s’arrête pas avec le projet mais infuse petit à petit dans l’entreprise. « Depuis le projet, le réflexe s’est créé d’interroger les usages au quotidien (…) tout en éclairant chacun sur le fait qu’il y a un jeu de contraintes et que le bureau parfait n’existe pas. Un atelier permanent informel s’est créé », reconnaît Pierre-Emmanuel Petit.

Le co-design, des limites à prendre en compte

Une couche supplémentaire d’ingénierie

Tout n’est cependant pas rose au pays des projets co-construits, et l’impératif de participation vient ajouter une couche supplémentaire de travail et de complexité qui, si elle ne ralentit pas le projet, le fait changer de nature. D’un projet technique, l’opération d’aménagement des espaces de travail devient un projet de transformation. Une métamorphose que les professionnels du secteur vivent au premier plan. « La grande majorité de nos clients incluent aujourd’hui, à un certain degré, les collaborateurs. Quand il n’y en a pas, c’est que ce sont des situations très en amont, qu’il y a encore une confidentialité, une notion de faisabilité, explique Laure Philippe. Il y a énormément de temps d’échange, une grosse partie du temps est dédiée aux réunions, aux ateliers, aux va-et-vient. On n’est plus dans un strict métier de production. »

L’organisation d’ateliers de co-conception demande du temps, du savoir-faire et des arbitrages périlleux selon les contextes. Faut-il lancer un appel ouvert à tous les volontaires, dans une recherche de transparence et de démocratie ? Faut-il trier les participants sur le volet ? Ou bien, un savant mélange des deux ? Philippe G. s’est fait son avis : « Si c’était à refaire aujourd’hui, je filtrerais les participations. Parfois ceux qui ont les bonnes idées, les vrais besoins, ce sont ceux qui vont rester discrets. Il faut trouver un moyen d’allier le volontariat et la représentativité de tout le monde. »

Le focus sur la dynamique collective peut aussi avoir ses revers, si on en oublie les contraintes bâtimentaires initiales. Rétro-pédaler sur des décisions arrêtées avec les salariés, parce qu’on a consacré trop d’énergie à la dimension participative au détriment de la technique, peut s’avérer dévastateur.

Un atout, mais pas un super-pouvoir

L’autre erreur serait de croire à la baguette magique de la participation comme pansement sur un climat interne délicat. Car si les déménagements ou réaménagements de bureaux marquent une page importante de la vie des entreprises, ils n’en sont pas l’alpha et l’omega.
Aussi sincère dans sa démarche de co-construction soit-il, le projet peut pâtir d’un climat dégradé pour d’autres raisons et souffrir d’un certain jeu d’acteurs. « Malgré les efforts déployés, certaines personnes continuaient de tenir un discours selon lequel tout était décidé d’avance. Pourtant, on a sincèrement retenu les meilleures idées, on a essayé de créer des compromis entre la démarche collaborative, l’évolution de la société et les contraintes non négociables du projet », regrette Philippe.

Une défiance parfois persistante qui demande alors de tout documenter du processus, afin de pouvoir retracer fidèlement les décisions et inflexions du projet grâce aux salariés impliqués. Du côté de Pierre-Emmanuel Petit, c’est dans la communication, au-delà du cercle des participants aux ateliers, que réside le principal défi. Car mener un projet est une chose, le faire savoir en est une autre. « On a été un peu timoré dans la communication, nous aurions sûrement dû faire plus de publicité au début. Comme c’était nouveau, on n’a peut-être pas assez affirmé ce choix, ni expliqué ce qu’était la démarche et à l’inverse ce qu’elle n’était pas. »

Au final, opter pour une démarche de co-design avec les salariés représente un effort qui, certes, peut alourdir le projet et nécessite une bonne anticipation. Mais c’est autant de temps gagné grâce à l’amélioration des choix qui en découlent et à l’apport d’une brique bien visible dans l’élaboration d’une culture de la discussion, dans laquelle les salariés ont voix au chapitre des choix de l’entreprise.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps

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