Marie s'infiltre nous apprend... à mettre du culot dans notre vie pro
04. 10. 2023
8 min.
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste - Welcome to the Jungle
Dépasser sa timidité, avoir le sens de la camaraderie, être culotté, assumer son ambition… Autant de soft skills qui sont de plus en plus recherchées dans le monde du travail. Dans cette série d’interviews « Apprenez des meilleurs », des personnalités nous racontent à travers leur parcours professionnel comment elles se sont illustrées sur une compétence-clé et quelles leçons elles en tirent. Prenez-en de la graine pour briller au bureau !
Comédienne satirique, humoriste cultivant le goût des happenings, chanteuse du dimanche, Marie Benoliel aka Marie s’infiltre incarne encore une fois le culot dans un nouveau spectacle éponyme. Après avoir montré son cul aux Césars, s’être enroulée dans un drapeau Manif pour tous à la gay pride, avoir fait un doigt d’honneur aux militants RN en plein meeting, celle qui sait mieux que personne nous mettre face à nos contradictions contemporaines, nous explique aujourd’hui comment réussir nos objectifs personnels et professionnels grâce à une bonne dose de culot. Suivez le guide !
Marie, si vous aviez le pouvoir de changer toutes les définitions du dictionnaire, qu’est-ce que vous écririez pour qualifier « le culot » ?
Pourquoi est-ce que vous voudriez que je la change ? Cette définition est vachement bien telle qu’elle est. Pour moi, le culot est un acte d’audace irrévérencieux qui montre que l’on peut exister en dehors de la case qui nous a été assignée par la société.
Pourquoi avoir choisi ce terme comme titre de votre spectacle ?
Le culot agace et vous savez à quel point j’adore piquer les personnes que je rencontre. Aussi, c’est un mot qui a souvent une connotation péjorative alors que pour moi, il est plutôt libérateur. C’est un acte aussi laid que gracieux, quelque chose qui évoque la transgression et une sorte de narcissisme inspirant. Mais contrairement à ce que l’on pense, le culot n’est pas tourné sur soi, il est toujours en interaction avec un public, une audience. Finalement, quand on parle de culot, plein de sentiments contradictoires nous traversent et j’adore cette ambivalence.
Dans votre spectacle, qu’est-ce que vous faites de cette polysémie ?
Je n’ai pas besoin de raconter ce qu’est le culot pour l’incarner, je ne fais pas de méta-culot ! En quoi mon spectacle est culotté ? Toutes les cinq minutes, le public ne sait pas à quoi s’attendre, ce qui le met dans une sorte de tension. Je commence par me caricaturer comme une connasse bourgeoise au franc-parler, puis je m’attaque au public. Les stéréotypes que je dépeins en prenant le public comme un échantillon vivant de la société n’ont pas vocation à blesser, mais à lever tous les tabous et libérer chacun de la case qui lui a été assignée. On peut être montré tel que l’on est sans que ce ne soit quelque chose de constipé. Une fois qu’on s’est tous libérés de nos limites et nos peurs, de vrais questionnements émergent : où est-ce qu’on en est de notre liberté aujourd’hui ? Pourquoi et à quoi obéit-on ? Pourquoi accepte-t-on d’être traité de telle manière ? Avec le culot, je veux soulager et donner au public plein d’envies nouvelles.
Vous dites que la société est de plus en plus lisse et vouloir plaire à tout le monde est une source d’angoisse, mais on a du mal à vous imaginer vous fourvoyer pour être aimable aux yeux de tous…
Je dirais qu’il y a un double mouvement dans notre société aujourd’hui : d’abord on demande à chacun d’édulcorer son identité pour plaire à tout le monde et ainsi éviter le rejet. Il est de moins en moins accepté d’abîmer et de brusquer les personnes qui se trouvent sur notre route. Ce phénomène crée quelque chose de très lisse, d’insipide envers nous-mêmes, mais aussi dans nos interactions sociales. Il n’y a plus de challenge.
Personnellement, je n’ai jamais souffert de vouloir plaire à tout le monde, mais j’ai longtemps dû vivre avec une contradiction tout aussi absurde que celle d’exceller dans un cadre que je rejetais complètement.
Alors que vous sortiez de Sciences Po et que vous prépariez les concours administratifs, vous avez changé de voie à 26 ans pour faire du théâtre. Quel a été l’élément déclencheur de cette bifurcation, le culot encore une fois ?
Il n’y a pas eu un moment charnière qui m’a fait changer de voie, c’est arrivé un peu par hasard. À 25 ans, j’ai commencé à faire du théâtre et pendant un an, j’ai réussi à concilier cette activité avec mes études. Bon, j’ai quand même abandonné la prépa ENA pour le barreau parce que je me disais que le fait de bien m’exprimer en public m’aiderait à être une bonne avocate. Mais avec le temps, j’ai compris que ça allait plus loin : le théâtre m’offrait une liberté nouvelle, puisque ça me poussait à explorer ma personnalité et à accepter qui j’étais vraiment. De nouvelles questions ont alors émergé : qu’est-ce que c’est réussir ? Être le plus soi-même possible. Comment y parvenir ? En travaillant énormément. Comme j’étais déjà une bête de travail, je me suis dit que je pouvais mettre toute mon énergie non plus à réussir des études prestigieuses, mais à me rapprocher de qui j’étais vraiment. Et Marie s’infiltre est née.
« Il est de moins en moins accepté d’abîmer et de brusquer les personnes qui se trouvent sur notre route. »
Ce besoin de déranger vient-il de votre éducation ? Quels ont été vos modèles qui ont façonné votre esprit subversif ?
Je viens d’une famille très ambivalente qui a épousé un cadre bourgeois tout en s’affranchissant de tout ce que cela impliquait avec un certain « je m’en foutisme ». Quand on grandit en sachant que le ridicule existe, que ce n’est pas grave de se tromper, qu’il ne faut pas avoir honte de soi, ça aide ! Après, mes proches pensent qu’il faut bouger les lignes, déranger, mais dans une certaine mesure et sans brusquer les autres… Ce qui n’est pas du tout mon cas puisque je ne vois pas l’intérêt de déranger à moitié ! À un moment, je me suis dit que je ne voulais plus jamais être arrêtée par mes peurs ni par ce que mon entourage pensait être bon pour moi. Je pense que ça a été un acte rationnel.
Être culotté demande-t-il d’être plus armé face à la critique ?
Les critiques ce n’est jamais agréable, seul un vrai masochiste dira le contraire ! Après, comme ce que je fais dérange et que je suis la cible de nombreuses critiques, je pense qu’il y a quand même quelque chose de joyeux dans le fait d’avoir des détracteurs tout simplement parce que pour moi, l’art a le devoir d’être subversif. Par exemple, il y a plein de films que j’ai adoré et que j’ai presque aussitôt oubliés. Comme souvent, ceux que je retiens sont ceux qui m’ont dérangée, qui m’ont mise mal à l’aise et c’est la même chose pour les livres. J’ai donc décidé que je préférais qu’on me déteste ou qu’on m’adore plutôt qu’on me dise que ce que je fais est « pas mal ». Mais entre nous, je ne passe pas mon temps à lire les messages déplaisants tout comme je ne regarde jamais ce que j’ai fait. Je crée, je balance, je me casse et j’oublie.
En osant tout, vous n’avez jamais peur de tomber dans le mauvais goût ?
J’aime beaucoup le mauvais goût et d’ailleurs, j’estime qu’il n’y a pas de bon goût sans mauvais goût. Comme le culot, j’adore la vulgarité parce que c’est une bonne manière de risquer, de se tromper. En revanche, je n’aime pas le mauvais goût comme tendance, la mode du streetwear par exemple, ce n’est pas quelque chose qui me fait bander parce que je trouve qu’il y a une prétention à adopter un mauvais goût faussement décontracté. J’aime le mauvais goût qui détonne, celui qui est assumé.
« Mes proches pensent qu’il faut bouger les lignes, déranger, mais dans une certaine mesure et sans brusquer les autres… Ce qui n’est pas du tout mon cas puisque je ne vois pas l’intérêt de déranger à moitié ! »
Marie s’infiltre est culottée ok, mais vous n’avez jamais eu envie de faire autre chose ?
Ce personnage a des limites et parfois, il me restreint dans ce que j’ai envie de créer. À un moment, je me suis dit que j’allais la tuer, mais c’est tellement narcissique et fou que j’ai renoncé à le faire. Organiser un enterrement de Marie s’infiltre, ça serait drôle sur le moment, mais un peu stupide. Je ne suis pas David Bowie non plus ! Disons qu’aujourd’hui, je préfère simplement faire évoluer son propos.
Dans une précédente interview, vous disiez avoir créé Marie s’infiltre pour faire ce que vous voulez quand vous voulez, mais qui a vraiment les moyens de le faire ?
Contrairement à ce que l’on pense, le culot, ce n’est pas quelque chose de figé. Il y a un culot par personne et par moment. Pour cela, il suffit d’identifier sa limite, son complexe, ce que l’on fuit, ce qui génère chez nous de la souffrance et y plonger totalement pour mieux l’appréhender et voir comment s’en détacher. Le fait de se demander ce que l’on n’ose pas faire n’a rien à voir avec la catégorie sociale à laquelle on appartient.
Si on disait que le culot était réservé à une certaine élite, cela reviendrait à accepter que des personnes ont plus de liberté que d’autres. Alors parfois, selon les moyens qu’on a à notre disposition, ça va être plus ou moins surprenant, plus ou moins courageux, inattendu, mais chacun doit pouvoir se lancer. D’ailleurs, quand on a connu une situation compliquée, la niaque qu’on a pour se sortir de sa situation est encore plus viscérale. Bien souvent, les petits bourgeois qui n’ont rien vécu, qui ne connaissent pas de difficultés peuvent avoir plus de mal à créer quelque chose de subversif.
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui voudrait oser davantage dans sa vie professionnelle et qui ne sait pas par où commencer ?
Personne ne se réveille un jour en se disant « ça y est, je ne suis plus timide, je suis capable de prendre la parole en public, je peux dire non à mon manager quand il me confie une tâche que je ne veux pas faire ». Comme je le disais précédemment, il faut d’abord commencer par identifier ses propres limites parce que c’est ce qui va nous aider à trouver l’objet de notre volonté. Mais attention, il ne faut pas qu’elle apparaisse trop négativement comme lorsqu’on se dit : « je ne suis pas assez… », « je n’ai pas assez… », « je voudrais plus de… » Par exemple, si on a peur de ne pas avoir assez d’argent, il faut interroger ce désir : quel est mon rapport à l’argent ? Qu’est-ce que l’argent signifie pour moi ? Est-ce vraiment un désir d’argent ou un désir de liberté par l’argent ? Il faut pouvoir faire cette introspection sans se juger. Si on a un goût pour l’argent et qu’il est assumé, c’est génial !
« Je préfère qu’on me déteste ou qu’on m’adore plutôt qu’on me dise que ce que je fais est pas mal. »
Aujourd’hui, l’acteur Raphaël Quenard enchaîne les tournages, mais pour arriver à ses fins, il a dû envoyer des centaines de mails à des réalisateurs pour leur signaler qu’il se tenait à leur disposition, s’incruster à des avant-premières pour saisir la moindre occasion de se faire remarquer. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Une fois qu’on a trouvé l’objet de sa volonté, il y a plusieurs façons de mettre en place des stratégies pour y arriver. Au début de ma carrière, un peu comme Raphaël Quenard, j’ai choisi la méthode bulldozer. Mais ça ne marche pas pour tout le monde et on peut même changer de façon de faire au fil du temps : monter en puissance ou prendre du recul et davantage réfléchir. Avant de se lancer, il faut prendre le temps d’accepter les risques qu’on va prendre et ce qu’on est prêt à accepter ou non.
Quelle serait la principale mise en garde au tout culot ?
Comme je le disais précédemment, la limite, c’est toujours celle qu’on se met à soi-même. Disons que dans mon travail, il y a 50 % de mes tâches qui ne me procurent pas d’épanouissement, si je dis que je refuse de les faire, est-ce que je suis prête à accepter un licenciement pour ce motif ? C’est à moi d’accepter où je pose la limite. Dans l’absolu, il n’y a pas de risque. Est-ce que je peux faire un compromis et accepter 25 % ? L’arbitrage doit se faire de façon individuelle et il ne faut pas émettre de jugement sur notre décision finale.
Culot, le spectacle qui invite le spectateur à l’audace en s’émancipant du regard des autres pour n’avoir plus honte de rien, en tournée dans toute la France.
Article édité par Gabrielle Predko, photographies par Thomas Decamps
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