Postuler, se faire rejeter, recommencer : comment lutter contre la applying fatigue ?
May 28, 2024
4 mins
Chercher un emploi, c’est (un peu) comme chercher l’amour : au début, c'est excitant, plein d’espoirs et de promesses. Et quand les réponses tardent à arriver, ou que les rendez-vous ratés se répètent, l’espoir cède souvent à la déception. Zoom sur la « applying fatigue ».
En amour comme en recherche d’emploi, on s’inscrit sur des plateformes, on soigne son profil et on guette avec impatience une réponse positive, un signe d’intérêt. Et quand ce poste si séduisant sur le papier se révèle si insipide et pingre en entretien, c’est la douche froide. C’est ce qu’on appelle la « applying fatigue », un phénomène qui, à l’instar de la « dating fatigue », se caractérise par un épuisement émotionnel dû à la répétition des rejets et des non-réponses. Zoom avec Amandine Delmarre - fondatrice d’Axe Ambitions, psychologue du travail et coach professionnelle - et Zwi Segal, docteur en psychologie du travail et co-fondateur de Motiva.
Recherche d’emploi ou rencontres amoureuses : même combat ?
Peur du rejet, désir d’être choisi, montagnes russes émotionnelles… Sur de nombreuses dimensions, on observe une similitude entre la recherche d’emploi et le dating. Le ghosting, par exemple, est une triste réalité commune à ses deux univers. « Finalement, il y a une forme d’instantanéité, de facilité à envoyer une candidature en quelques clics, comme de facilité à ne pas y répondre. On retrouve cette même dynamique dans laquelle l’effort investi semble souvent disproportionné par rapport au retour », commence Amandine Delmarre.
Pour la spécialiste, c’est ce déséquilibre entre la perception de ce qui est donné, en termes d’effort et d’énergie, et ce qui est reçu, qui serait à la source de cette fatigue émotionnelle. « Et j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une perception, car il y a une grande part de subjectivité, précise-t-elle. Nous ne sommes pas égaux face à ce phénomène. C’est la résultante du cadre de référence de la personne : ce à quoi elle a été confrontée dans son parcours, ses expériences passées… »
Embarquement involontaire dans les montagnes russes émotionnelles
La applying fatigue peut avoir des effets notoires sur la santé physique et mentale. « Quand on parle de fatigue émotionnelle, on parle de lourdeur, de troubles du sommeil, de perte de motivation… Il y a une altération des émotions. Parfois, les réactions et ressentis vont être décuplés, voire disproportionnés », liste Amandine Delmarre.
L’espoir, l’attente, la projection, la déception : autant d’étapes qui, répétées inlassablement, usent le chercheur d’emploi. « Cette lassitude de rencontrer l’autre encore et encore, de candidater sans succès, va entacher son pouvoir personnel et peut avoir un effet sur la confiance en soi et en sa capacité à avancer », souligne Amandine Delmarre.
Et la fatigue émotionnelle n’affecte pas seulement la recherche d’emploi, mais déborde souvent dans la vie personnelle. « Les gens ne savent pas toujours faire la différence entre la vie professionnelle et personnelle, ajoute le professeur Zwi Segal. Un échec professionnel peut facilement glisser dans la vie personnelle et influencer la perception de soi. »
Pourquoi ? Une étude que Zwi Segal a menée auprès de 500 jeunes de 17 à 19 ans révèle une réalité préoccupante : les étudiants consacrent davantage de temps à choisir un nouveau smartphone ou à planifier leurs prochaines vacances… qu’à préparer leur carrière. « Nous n’étions pas surpris de constater que la planification de carrière venait loin derrière, note le professeur Zwi. Et lorsqu’on leur demande pourquoi, 92 % des étudiants répondent qu’ils n’ont aucune idée de la façon de s’y prendre. »
En effet, les jeunes chercheurs d’emploi, souvent mal préparés, se retrouvent rapidement submergés par le processus. « À Singapour, par exemple, une année entière est consacrée à apprendre aux jeunes comment chercher un travail et se débrouiller dans la vie. Mais ce type de dispositif est rare dans les autres pays, explique-t-il. Cette méconnaissance du marché de l’emploi et cette absence de préparation amplifient sans doute l’épuisement psychologique. »
5 conseils pour éviter la applying fatigue
Le manque de préparation et la répétition des échecs et des silences, créent un cercle vicieux où chaque nouvelle candidature devient plus difficile à envoyer, de peur de subir un nouveau rejet. Amandine Delmarre et Zwi Segal proposent quelques pistes pour contrer ce phénomène.
Travailler l’auto-empathie pour éviter la baisse d’estime de soi. « Les rejets ne disent rien de sa valeur personnelle. Travailler sur ses forces et ses talents est important, c’est d’ailleurs comme cela que j’accompagne les personnes en transition », propose Amandine Delmarre.
Cultiver la connaissance de soi. « Chez Motiva, nous aidons les chercheurs d’emploi à devenir des experts d’eux-mêmes, des self-experts : comprendre ce qui les motive, identifier leurs points forts et leurs faiblesses. Connaître ses propres motivations et compétences permet de mieux cibler les offres et de réduire les chances de déception », explique Zwi Segal.
Recharger ses batteries et s’offrir des moments de réussite. « Il faut s’autoriser à ralentir, avoir des temps qui permettent de se recharger et nourrir ses besoins psychologiques, en fonction de ses appétences. Pour limiter la baisse de confiance et rester positif, il faut absolument continuer à pratiquer des activités dans lesquelles on est bon », conseille Amandine Delmarre.
Appliquer le principe de prudence. « C’est normal de s’enthousiasmer après un premier entretien réussi. Mais il faut toujours appliquer un principe de prudence, la méthode des petits pas, pour ne pas être déçu et éviter les ascenseurs émotionnels », termine Amandine Delmarre.
S’autoriser à être flexible. « L’une des raisons de la fatigue est souvent un manque de flexibilité. Les chercheurs d’emploi s’accrochent parfois trop à un secteur ou à un type de poste précis. Il est crucial de rester ouvert à d’autres opportunités, même si cela signifie changer de secteur ou envisager des rôles différents », ajoute Zwi Segal.
Oui, la applying fatigue est une réalité psychologique comparable à la « dating fatigue ». Pour y faire face, il est essentiel de se connaître, se préparer et de maintenir une vision claire de ses objectifs professionnels. Car comme en amour, (beaucoup) de persévérance et (un peu) d’optimisme sont clés pour trouver le bon match.
Article écrit par Marlène Moreira ; édité par Aurélie Cerffond ; Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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