Test de la semaine de 4 jours en Allemagne : « c’était dur, mais on l’a fait »
Oct 18, 2024
6 mins
Entre février et fin septembre, comme d’autres pays avant elle, l’Allemagne a testé la semaine de quatre jours. Quarante-cinq entreprises, majoritairement des PME, en dressent le bilan : en moyenne, le temps de travail a plutôt été réduit d’une demi-journée, le bien-être a considérablement augmenté, mais "seules" 73% d’entre elles déclarent vouloir continuer ce changement de rythme. Plongée dans une expérimentation en demi-teinte.
« Honnêtement ? C’était dur. Elle n’était pas servie sur un plateau, cette expérience. Mais on a fait tout ce qui était en notre pouvoir pour changer la donne, et ça a marché. » Tom Jaeger est à la tête d’une entreprise de prothèses médicales, Jaeger Orthopädie. Il fait partie des 45 entreprises qui ont testé ces six derniers mois la semaine de quatre jours en Allemagne. « Juste après le début du test en février, on a eu une salve de départ - non lié à l’expérience. En mai, notre chiffre d’affaires avait baissé de 7%. On a failli tout lâcher », se souvient avec effroi le fils du fondateur et CEO de cette entreprise familiale. « Et puis on s’est retroussé les manches, et l’argent est revenu. Après l’été, 29 de nos salarié·e·s sur 30 voulaient continuer à travailler sur ce rythme ! » L’opinion des employés de Jaeger Orthopädie, recueillie par vote collectif, va dans le sens des résultats de l’expérience nationale : un « succès » selon ses organisateurs.
Trois entreprises sur quatre poursuivent l’expérience
Entre février et juin, le nombre d’entreprises allemandes s’étant lancé dans la semaine de 4 jours est passé de 30 à 45. De quoi en faire le plus grand test de ce type mené dans le monde, après celui du Royaume-Uni en 2022. Ces organisations, en grande majorité des PME (moins de 250 employé·e·s), se sont manifestées au cabinet de conseil Intraprenör entre octobre 2023 et mai 2024. « On a un peu été dépassé par l’intérêt suscité par l’expérience. On ne s’attendait pas à autant d’entreprises intéressées, et d’être aussi sollicités par les médias », confesse Carsten Meier, co-fondateur du petit cabinet de conseil RH, qui fonctionne en 4/5e depuis bientôt neuf ans. Dans une Allemagne entrée en récession en 2023, « les débats autour du travail sont brûlants, et les points de vue sont très clivés. On voulait tester les choses, et apporter de la donnée au débat », poursuit Carsten Meier.
Le principe de l’expérience, déjà répliquée dans 6 pays à travers le monde par l’ONG 4 Day Week Global, est de concentrer une charge de travail similaire sur 4 jours au lieu de 5 (réduction de 20%), en conservant le même salaire. Dans les faits, les entreprises du test allemand ont plutôt baissé leur temps de travail de 10% environ, soit une demi-journée de moins par semaine en moyenne. Sur 45 entreprises, représentant plus d’un millier de salariés, presque trois quart (73%) ont souhaité poursuivre cette réduction du temps de travail. Leur chiffre d’affaires est resté globalement stable.
Pour réduire leur temps de travail, les employé·e·s allemand·e·s ont évoqué certaines méthodes collectives, comme l’optimisation des processus (mentionné par 63% des participant·e·s), l’amélioration de l’efficacité des réunions (52%) ou encore l’utilisation d’outils digitaux (25%). « Nous avons une boutique qui doit rester ouverte du lundi au vendredi, donc nous avons laissé les employés choisir leur jour off, toutes les deux semaines », détaille pour sa part Tom Jaeger. Les équipes doivent donc s’organiser avec une présence fluctuante de chacun·e. « On a utilisé un système de tickets, qui distribue des tâches de manière asynchrone. Ça a super bien fonctionné. Même les plus vieux qui râlent contre les ordinateurs ont admis que c’était bien pratique », poursuit avec malice le chef d’entreprise.
Des bracelets connectés pour collecter les données personnelles
Pour s’adapter à ce nouveau rythme, les méthodes évoquées sont aussi personnelles, comme la réduction des distractions (mentionné par 65% des participant·es), et l’augmentation de la qualité de la concentration (32%). « Je dois être très concentrée pour effectuer mon travail, qui est de calculer la stabilité des structures sur les chantiers que l’on fait », expose par exemple Susanna, ingénieure dans le BTP chez Finnholz, une PME spécialisée dans les structures en bois. L’entreprise a donné tous les vendredis off à ses équipes, et compense une partie du temps en moins en ajoutant une heure de travail par jour. « Depuis le début du test, j’ai noté que le jeudi soir, j’ai moins la tentation de me relâcher en attendant le week-end. Ça pouvait être le cas auparavant certains vendredis. » Susanna confesse avoir plus de mal à tenir sa concentration durant neuf heures au lieu de huit, ce qu’elle compense en prenant « plus de petites pauses pour tenir le rythme. Mais à l’échelle d’une semaine, c’est bien plus reposant, et j’abats la même quantité de travail sans souci. »
Les chiffres sur le plan du bien-être sont un des grands succès de l’expérience allemande. 94% des salarié·e·s et patrons notent une amélioration de leur bien-être (contre 70% dans l’expérience britannique, et 60% dans l’expérience sud-africaine). C’est aussi la première expérience à avoir recueilli des données physiologiques, à travers des bracelets connectés et des échantillons de cheveux notamment. Les équipes de recherche de l’Université de Münster ont noté une réduction du stress de 84 minutes par personne et par semaine en moyenne - presque une heure et demi en moins à se faire un sang d’encre. « Avoir un week-end de trois jours, ça me permet de prendre mon temps pour aller voir ma famille à Hambourg » se réjouit Susanna, l’ingénieure de 31 ans. « Je vais aussi plus régulièrement dans la nature, dans la Forêt Noire par exemple. Tout est plus relax, et j’arrive plus reposée le lundi. »
Des abandons en hausse par rapport à des expériences du même type
L’expérience allemande est une réussite moins éclatante que les précédents tests du type. En premier lieu, 27% des entreprises souhaitent retourner à la semaine de 5 jours, ou l’ont fait au cours de l’expérience. Ce chiffre est en nette hausse par rapport aux autres expériences similaires, comme l’expérience britannique par exemple (taux d’abandon de 8%). Parmi les raisons évoquées par ceux qui ont jeté l’éponge : des difficultés économiques liées à la conjoncture morose, mais également la difficulté de convaincre en interne. « L’enjeu majeur de la semaine de 4 jours pour un dirigeant, c’est la croyance : est-ce que je suis convaincu que c’est possible, ou non ? », expose Francis Boyer, auteur de La semaine de 4 jours, sans perte de salaire, ça marche ! (ed. Eyrolles). « Dans un contexte économique qui peut mettre l’entreprise en danger, la peur reprend vite le dessus, c’est humain. Ça ne devient plus la priorité pour les directions, qui entrent en “mode survie” », poursuit l’auteur et conférencier.
Pour sa part, la directrice de l’étude réalisée par l’Université de Münster, Dr. Julia Backmann, note que « davantage de […] cadres du test allemands accueillaient la semaine de 4 jours avec un certain scepticisme, ou en le traitant comme une menace plutôt qu’une opportunité. » Une différence qui, au-delà du contexte économique, pourrait s’expliquer par la culture de nos voisins germaniques, selon Francis Boyer : « Les anglo-saxons ont une culture de la prise de risque très poussée. Chez eux, c’est souvent : on fonce, et on verra bien ce qu’il se passe. Il est possible que la culture du travail allemande, qui recherche davantage les processus et les cadres rassurants, ait joué en défaveur du test. » Les tests précédents ont en effet été réalisés en majorité dans des pays anglo-saxons (comme l’Australie, le Royaume-Uni ou encore l’Afrique du Sud).
De plus, les modèles d’implémentations ont été plus flexibles que d’autres études : seulement un tiers des entreprises sont passées à une semaine de 4 jours au sens propre (réduction d’un jour complet par semaine). Pour Jan Bühren, co-fondateur du cabinet Intraprenör, « la semaine de 4 jours est un terme qui parle à tout le monde, c’est pour ça qu’on l’emploie. Mais tout le monde ne peut pas sauter dans l’eau directement. Une réduction du temps de travail est déjà une belle avancée », poursuit celui qui a participé à chapeauter l’étude.
Autre particularité du test allemand : une plus grande proportion d’entreprises issues de secteurs manuels, avec 18% d’entreprises de l’industrie et du BTP. Au sein de celles-ci, la réduction du temps de travail est parfois plus difficile. « On a 23 personnes chez nous qui travaillent sur des chantiers », expose ainsi le CEO de Finnholz, Sven Kirchner. « Elles font toutes des heures supplémentaires depuis le début du test, je n’ai pas trouvé la solution autrement pour l’instant. C’est très dur pour moi de compresser la productivité des travailleurs manuels. »
Pour sa part, Finnholz se donne encore un an pour vérifier que la semaine de quatre jours n’a pas un impact négatif sur ses finances, avant d’entériner la mesure dans le règlement de l’entreprise. « C’est difficile de dresser des conclusions en 6 mois, on a à peine le temps de s’habituer », poursuit le chef d’entreprise. Le point avait été également soulevé au Royaume-Unis en 2023. « Comment on tient le coup, par exemple, si notre marché subit des coups durs ? On ne veut pas prendre de risques inconsidérés », conclut Sven Kirchner.
Des données à élargir en Europe
A l’heure où l’économie allemande tremble jusque dans ses fondations, la question est aussi de savoir si le test est réplicable à l’échelle nationale, voire européenne. Or, aucune grande entreprise (plus de 5 000 salarié·e·s) n’a participé au test, un point aveugle de toute cette collecte de données. « On aimerait lancer un programme pour les grandes entreprises. Pour les aider à commencer, on pourrait faire le test dans certains services seulement, par exemple », se projette Carsten Meier du cabinet Intraprenör.
De ce côté du Rhin, les résultats allemands donnent du grain à moudre à une organisation, 4jours.work, qui va mener le même test auprès de PME françaises d’ici la fin de l’année, avec le soutien de l’EM Lyon, de la CFE-CGC et de B-Corp. « L’exemple allemand vient démontrer sur le sol européen ce qui a été observé partout dans le monde. Baisser le temps de travail ne nuit pas au business, ça augmente le bien-être des gens, et donc la motivation d’un collectif », s’enthousiasme Philippe du Payrat, co-fondateur de cette structure représentant le 4 Day Week Global en France. « On espère fort que les résultats allemands pousseront des entreprises françaises à essayer à leur tour ! »
Article édité par Clémence Lesacq Gosset - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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