Pratfall effect : gaffer en entretien d'embauche peut vous rendre... irrésistible
Jul 18, 2024
5 mins
Avez-vous déjà eu l’impression d’avoir tout gâché à cause d’une petite gaffe lâchée pendant un entretien ? Quand la partition était quasiment parfaite mais qu’une question malheureuse, un défaut de politesse ou une réponse hasardeuse ont instillé le doute dans votre esprit. Pas de panique, ni besoin de sombrer dans le pessimisme. Ce n’est pas une simple bourde qui va vous disqualifier. Au contraire même ! Si l’on se fie à l’« effet Pratfall », une gaffe pourrait carrément vous rendre irrésistible. Explications avec le docteur en neurosciences et expert du Lab, Albert Moukheiber.
La journée de Paul était presque parfaite. Du small talk d’introduction aux discussions sérieuses autour du poste, cet entretien final pour le job de ses rêves était très bien embarqué. Le courant passait avec son futur manager, en admiration devant son parcours et visiblement sous le charme de sa personnalité rayonnante. Mais alors que l’échange touchait à sa fin, ce qu’il n’osait même pas imaginer se produisit : en se levant de sa chaise, son genou percuta violemment la table et la secousse fit valser le thermos de son interlocuteur, l’éclaboussant de tout son contenu hautement caféiné. Tel un spéculos tombé au fond de la tasse, celui-ci se retrouvait trempé de la tête aux pieds, les cheveux dégoulinants, la chemise foutue et l’entrejambe humide. Pour Paul, qui se confondait en excuses jusqu’à la fin de l’entretien, il ne restait plus qu’à rentrer chez lui se lamenter de la maladresse qui lui avait sans doute coûté le job et tenter d’oublier cette opportunité tombée à l’eau.
« Tout n’est pas foutu ! » rassure Albert Moukheiber en écoutant le récit fictif de Paul. « D’abord, si le recruteur est lucide, et que Paul remplit parfaitement les critères recherchés, il ne devrait pas tout oublier à cause de quelques gouttes de café sur sa chemise », explique-t-il. « Ensuite, et même si cela peut sembler paradoxal, il se pourrait même que cet événement le fasse encore plus briller à ses yeux. »
Un biais cognitif révélé dans les années 60
En effet, techniquement, il est parfaitement possible que le fait de renverser du café sur quelqu’un vous fasse grimper dans son estime. Contre-intuitif mais pourtant vrai et scientifiquement prouvé, ce paradoxe a un nom : le Pratfall effect (que l’on pourrait traduire littéralement par « l’effet gaffe »). Pour Albert Moukheiber, c’est un biais cognitif dérivé de l’effet de Halo, plus connu du grand public, qui veut que chaque événement soit interprété dans le sens de notre première opinion d’une personne. « Le Pratfall effect est une extension de cela : sous certaines conditions, lorsqu’une personne commet une bourde devant vous, cela renforce l’opinion positive que vous avez d’elle au lieu de l’impacter négativement. »
Revenons dans les années 1960 et intéressons-nous aux travaux du psychologue américain Elliott Aronson, qui permirent de mettre en évidence l’effet Pratfall. Dans le cadre d’une expérimentation, Aronson demanda à des étudiants de l’Université du Minnesota d’écouter l’enregistrement de candidats fictifs d’un quiz radiophonique.
- un premier candidat, brillant, excellait lors de son passage en répondant presque toujours correctement aux questions du quiz
- un second candidat, plus médiocre, ne répondait correctement qu’à un tiers des questions
- un troisième réalisait la même performance que le premier, frôlant la perfection, mais renversait maladroitement son café - comme Paul - à un moment de l’enregistrement
- le quatrième candidat, tout aussi médiocre que le second (un tiers de bonnes réponses seulement) faisait preuve de la même maladresse et renversait également sa tasse
Les résultats montrèrent que le candidat qui jouissait d’une meilleure image à la fin de l’écoute était le candidat brillant mais maladroit, encore plus apprécié que le candidat « simplement » brillant. Mais alors, comment expliquer que l’impact d’une telle erreur soit positif ? « Pour faire simple, vos gaffes vous rendent plus humain, car tout le monde en fait. » explique Albert Moukheiber. « Une bourde de votre part permet à ceux qui vous admirent de s’identifier à vous, ce qui est appréciable pour eux et vous rendra plus sympathique. » Cela permet aussi de montrer que vous n’êtes pas parfait, et donc de devenir plus “réel” aux yeux des autres.
Dans le contexte d’un entretien d’embauche, où l’on a tendance à brosser un portrait idéalisé de soi-même, occultant nos défauts et ne mentionnant que nos succès, commettre une erreur aussi humaine que renverser son café rend notre profil plus acceptable et réaliste aux yeux des recruteurs. Plus précisément, grâce à votre bourde, c’est l’estime de soi de celui ou celle qui vous observe qui est renforcée, et c’est justement cela qui vous rend plus sympathique. « Si demain je me découvre un point commun avec Einstein, j’aurai une meilleure image de moi-même et cela le rendra encore plus formidable à mes yeux », illustre notre expert du Lab.
Un avantage réservé seulement aux meilleurs
Albert Moukheiber insiste sur le fait que pour que le biais cognitif ait lieu, il faut que vôtre cote soit déjà très élevée auprès de votre interlocuteur. « On parle uniquement des cas où la personne qui gaffe est brillante, ou du moins en a l’air. C’est pour cela que j’ai cité Einstein dans mon exemple. Pour que l’effet Pratfall puisse se produire en entretien d’embauche, il faudrait que le recruteur soit presque en admiration devant vous. Si vous êtes juste bon ou moyen, cela n’aura aucun effet positif », rappelle le docteur en neurosciences. En d’autres termes, pour que l’effet Pratfall vienne sublimer votre performance en entretien, il faudrait que vous ayez déjà brillé aux yeux des recruteurs. « L’effet Pratfall, c’est la cerise sur le gâteau, mais ce n’est pas ça qui fera toute votre performance », résume Albert Moukheiber.
Par ailleurs, sachez que le biais n’est pas automatique. « Il existe plusieurs paramètres modulateurs de l’effet », rappelle le conférencier. Tout d’abord, il y a le degré de gravité de la gaffe. « S’agit-il d’une bourde sans gravité, ou bien d’une erreur monumentale aux conséquences dévastatrices ? » Probablement qu’une tasse de café renversée passera mieux qu’une porte claquée sur le petit doigt du recruteur et d’une fracture à la clé. Ensuite, le principal paramètre capable de moduler l’effet Pratfall est l’estime de soi de l’observateur. « S’il a une faible estime de soi, l’effet aura de grandes chances de se produire, puisque votre bourde lui permet de la faire remonter, précise Albert Moukheiber. En revanche, plus l’estime de soi de l’observateur est élevée, moins il aura de chances de voir ce biais cognitif apparaître. »
Un mot d’ordre : relativiser !
S’il y avait une seule leçon à retenir de l’effet Pratfall, ce serait de relativiser l’impact d’une gaffe malvenue en plein milieu d’un entretien, ou même lors d’une réunion de travail. Si cela vous arrive, ne vous inquiétez pas. Dans le pire des cas, votre boulette n’aura pas vraiment d’impact. D’ailleurs, si elle vous impacte négativement, c’est probablement que votre image n’était déjà pas très bonne, alors vous n’avez rien perdu. Dans le meilleur des cas, « vous avez tout à gagner ! », rassure Albert Moukheiber. « Ne perdez pas vos moyens. Excusez-vous pour la gaffe et restez concentré. Soyez détendu car cela ne vous a pas forcément discrédité. » Et si vous aviez fait une excellente impression auparavant, c’est peut être cet événement qui fera définitivement tomber le recruteur sous votre charme.
Néanmoins, attention à ne pas vous tromper de chemin en lisant ces lignes. L’effet Pratfall n’est pas à tenter de reproduire chez soi, comme le souligne Albert Moukheiber. « Évidemment, je ne vous conseillerais jamais de renverser votre café à dessein sur le recruteur pour espérer gagner des points ! Il est impossible de provoquer volontairement l’effet Pratfall, sauf en laboratoire. » Soyez donc vous-même, tout simplement. Authentique et détendu. Et si par hasard une gaffe se produit, rien n’est perdu, vous avez encore toutes les cartes entre vos mains pour être convaincant.
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Article écrit par Alexandre Nessler et édité par Aurélie Cerffond, photo par Thomas Decamps.
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