Recrutement : « L'entretien collectif ne doit pas être un remake du Maillon Faible »

Dec 10, 2024

6 mins

Recrutement : « L'entretien collectif ne doit pas être un remake du Maillon Faible »
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Marie-Sophie ZambeauxLab expert

Consultante, auteure et conférencière en recrutement et marque employeur

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Perçu comme une méthodologie rapide et peu coûteuse, afin de tester plusieurs candidats pour sélectionner les plus aptes pour un poste, l’entretien collectif revêt néanmoins certaines limites et biais à ne pas négliger. Notre experte Marie-Sophie Zambeaux revient sur ce procédé qui, à ses yeux, peut facilement tourner au mauvais remake du Maillon Faible.

Dans un marché de l’emploi où chaque recrutement représente un investissement stratégique -le coût d’un recrutement raté oscillant entre 30 000€ et 150 000€, selon ManPower, HR Voice et Opensourcing-, les entreprises cherchent tout naturellement des moyens d’évaluer leurs candidats de la manière la plus efficace possible. Dans cette optique, l’entretien collectif est souvent présenté comme une solution pertinente, permettant de jauger les compétences techniques et comportementales de plusieurs personnes simultanément. Mais la méthode tient-elle vraiment toutes ses promesses ? Cette dynamique artificielle offre-t-elle une place suffisante pour une évaluation objective ? Quand et comment l’entretien collectif peut-il être utilisé avec succès ?

Entre gain de temps et objectivité accrue, les atouts de l’entretien collectif

Sur le papier, l’entretien collectif a de quoi faire rêver plus d’un recruteur soucieux de gagner du temps et de l’argent au cours d’un process de recrutement.

La réduction du temps de recrutement

S’il est un avantage de l’entretien collectif, c’est bien évidemment sa capacité à condenser le processus de recrutement. Un atout d’autant plus précieux dans le cadre de campagnes de recrutement massives ou urgentes, sur des postes ne présentant pas de prérequis techniques ou de hard skills spécifiques. Prenons l’exemple d’une entreprise de logistique qui doit recruter dix préparateurs de commandes. En optant pour une session collective de 2 à 4 heures, elle économise jusqu’à 6 à 8 heures par rapport à des entretiens individuels d’une heure chacun. Ce gain de temps devient critique lorsqu’il s’agit de répondre rapidement à des besoins opérationnels, comme lors de périodes de pic d’activité ou d’ouvertures de nouveaux sites. Chez Decathlon, l’entretien collectif est ainsi une étape phare pour recruter des profils de vendeurs.

L’observation des dynamiques interpersonnelles

Les entretiens collectifs via des exercices collaboratifs, tels que des mises en situation ou des débats, peut également révéler des compétences difficiles à cerner en entretien individuel. C’est le cas notamment de qualités comme l’écoute active, la gestion des conflits ou bien encore la capacité à coopérer. Or, ces observations sont particulièrement utiles pour des postes nécessitant une forte interaction avec des équipes ou des clients.

L’objectivité accrue grâce à la multiplicité des recruteurs

Lorsque plusieurs évaluateurs interviennent, leurs biais individuels tendent à se neutraliser, favorisant une évaluation plus équilibrée. Par exemple, un recruteur impressionné par un candidat extraverti peut être contredit par un autre, plus attentif aux qualités analytiques d’un profil plus discret. Les avis croisés permettent ainsi de remettre en question des jugements hâtifs ou influencés par des biais personnels.

L’exploration au-delà du CV

Les CV ne disent pas tout, surtout dans des métiers où l’expérience informelle peut être aussi précieuse que des qualifications académiques. L’entretien collectif donne l’opportunité de juger les compétences réelles des candidats, dans un cadre vivant et interactif. Ainsi, lors d’un recrutement pour un poste en relation client, une candidate sans diplôme, qui aurait été écartée sur le papier, a su convaincre lors d’une session d’entretien collectif en désamorçant un conflit fictif entre participants, démontrant ses compétences en gestion de stress et son empathie.

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Contexte artificiel, biais cognitifs… les limites d’un outil à double tranchant

En dépit de ses bénéfices, l’entretien collectif peut présenter certains inconvénients s’il revêt une mécanique biaisée, voire contre-productive, comme le pointait le documentaire La Gueule de l’emploi en 2011.

Un contexte artificiel

L’entretien collectif instaure souvent un cadre artificiel, où les interactions sont façonnées par une dynamique de compétition parfois malsaine. Certains exercices, loin de valoriser les compétences collaboratives, exacerbent l’agressivité ou l’ego des participants. Ce contexte, où chaque candidat tente de surenchérir sur les autres pour se démarquer, peut révéler le pire autant que le meilleur chez les individus. Si ce type d’approche peut éventuellement convenir à des postes où l’esprit de compétition est un atout, comme dans la vente, il est souvent mal adapté à des fonctions demandant des qualités d’écoute ou de collaboration.

Des profils injustement désavantagés

Dans le pire des cas, cette dynamique compétitive peut décourager des talents de haut niveau, qui choisissent de ne pas participer ou de se mettre en retrait face à un tel processus. Les candidats introvertis ou ceux ayant moins confiance en eux peuvent rapidement ne pas se sentir à l’aise ou être éclipsés par des profils plus extravertis. C’est d’autant plus un problème que les premiers peuvent posséder des compétences techniques ou des qualités humaines plus adaptées pour le poste. Mais la prime à l’extraversion est une réalité lors de ces sessions collectives, même si elle n’est pas toujours pertinente pour le poste à pourvoir ou pas révélatrice de la capacité du candidat à exercer ce dernier avec succès.

L’impact des biais cognitifs

Si la présence de plusieurs recruteurs peut, en théorie, neutraliser certains biais individuels, cela dépend fortement de la méthodologie employée. Sans formation rigoureuse ou grille d’évaluation structurée, l’entretien collectif constitue un terrain fertile pour l’expression de nombreux biais cognitifs qui peuvent compromettre la fiabilité des évaluations. C’est notamment le cas de :

  • L’effet de halo : une bonne impression initiale – liée, par exemple, à l’assurance d’un candidat ou à son aisance à s’exprimer– peut influencer l’ensemble de l’évaluation, occultant des aspects moins positifs.
  • Le biais de conformisme : les candidats comme les recruteurs tendent à se conformer à l’avis dominant du groupe, au détriment d’une réflexion individuelle. Cela peut aboutir à la sélection de candidats qui répondent davantage aux attentes perçues du groupe qu’aux véritables besoins du poste.
  • L’erreur fondamentale d’attribution : les comportements observés lors de l’entretien collectif sont souvent interprétés comme des traits de personnalité fixes, sans tenir compte de l’artificialité et du stress inhérents à ce type de format.

L’absence de confidentialité

L’entretien collectif, par sa nature même, suppose un environnement où chacun est observé par les autres, qui n’incite pas franchement à la transparence. Conscients d’être en compétition directe, les candidats sont souvent réticents à partager des informations personnelles ou sensibles, par crainte du jugement ou de l’exploitation de ces données par leurs concurrents. Cette réserve est encore plus marquée lorsque des questions touchent à des aspects professionnels délicats comme des échecs passés, des périodes d’inactivité ou bien encore des aspirations salariales. Résultat : les recruteurs disposent surtout d’échanges superficiels, limitant la qualité de leur évaluation.

Une logistique complexe

Bien que l’entretien collectif soit présenté comme un gain de temps pour le processus de recrutement, sa préparation et sa mise en œuvre demandent une logistique bien plus complexe qu’on ne l’imagine. Contrairement aux entretiens individuels, une session collective mobilise davantage de ressources humaines, de coordination et de planification en amont pour créer des exercices pertinents, coordonner les recruteurs ou encore les former à l’observation.

Une expérience candidat dégradée

L’impact délétère sur l’expérience candidat figure parmi les principaux écueils de l’entretien collectif. Mal conçu, il peut laisser une impression négative durable, marquée par un stress inutile et le sentiment, pour les participants, d’être réduits à de simples numéros. J’ai moi-même été témoin d’une telle situation, lors d’un entretien collectif pour un poste d’ingénieur d’affaires, lors duquel un candidat a quitté la session avec fracas, dénonçant un processus qui le faisait se sentir « comme à un casting de télé-réalité ». Ce type de retour n’est pas isolé. Les candidats expérimentés, en particulier, jugent souvent ces sessions comme « humiliantes » ou « démoralisantes ». Or, une mauvaise expérience candidat, perçue comme irrespectueuse, peut durablement nuire à la marque employeur et à l’attractivité de l’entreprise, bien au-delà du recrutement en cours.

Entretien collectif : 4 conseils pour le mener à bien

Si l’organisation d’un entretien collectif est tout de même important pour vous, voici quelques recommandations personnelles pour éviter les dérives et en maximiser l’efficacité :

  • Communiquez clairement : annoncez le format de l’entretien aux candidats et ce dès l’invitation, en expliquant son objectif et les critères d’évaluation. Il n’y a rien de pire que de prendre les candidats au dépourvu.
  • Sélectionnez des exercices adaptés : choisissez des scénarios réalistes et pertinents pour le poste. Pour un rôle en relation client, une mise en situation avec un client fictif est préférable à un débat compétitif.
  • Formez vos recruteurs : la réussite d’un entretien collectif repose sur une préparation minutieuse et une observation structurée. Utilisez des grilles d’évaluation standardisées pour limiter les biais.
  • Gardez en tête l’importance de l’expérience candidat délivrée : placez le curseur au bon endroit entre gain de temps, qualité de l’expérience candidat et fiabilité des évaluations.

L’entretien collectif n’est pas une fin en soi. Si vous le pouvez, je vous recommande chaudement l’une de ces alternatives plus équilibrées :

  • Des sessions collectives d’information : au lieu d’évaluer immédiatement les candidats en groupe, commencez par une session collective d’information. L’objectif est de présenter l’entreprise et le poste en mettant en avant les valeurs et les attentes, clarifier le processus de recrutement pour réduire l’anxiété et les malentendus et répondre à toutes les éventuelles questions. Ces sessions permettent de transmettre une information homogène à tous les candidats tout en favorisant un dialogue ouvert. Ensuite, passez à des entretiens individuels, plus adaptés pour une évaluation approfondie et confidentielle.
  • Des mises en situation individuelles : pour des postes nécessitant des compétences précises, les mises en situation individuelles constituent une alternative fiable. Elles permettent de tester des aptitudes spécifiques (résolution de problèmes, gestion d’un client difficile…), de réduire les biais liés aux dynamiques de groupe et d’observer chaque candidat dans un environnement plus neutre.

L’entretien collectif, bien conçu et utilisé, peut être un levier puissant pour accélérer le recrutement et évaluer les soft skills. Mais mal élaboré et déployé, il devient un outil biaisé et carrément nuisible à la marque employeur. Or, dans un marché du travail où 87 % des travailleurs jugent que l’expérience de candidature est un bon indicateur de la manière dont une entreprise traite ses salariés, proposer des méthodes respectueuses et adaptées n’est plus une option, mais une nécessité pour attirer et fidéliser les meilleurs talents. À ce titre, l’entretien collectif est à manier avec beaucoup de précaution.

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Article rédigé par Marie-Sophie Zambeaux et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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