« Le diplôme ne sert à rien ? Ça dépend pour qui ! » - Tribune de M. Duru-Bellat

Sep 06, 2024

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« Le diplôme ne sert à rien ? Ça dépend pour qui ! » - Tribune de M. Duru-Bellat
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Camille Perdriaud

Journaliste chez Welcome to the Jungle

Lycéens persuadés que leur bac leur sera inutile, salariés désabusés dont le travail ne correspond pas à leur formation, recruteurs se targuant de ne regarder plus que l'expérience des candidats... À les entendre, le diplôme ne servirait donc plus à rien ! Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste des inégalités sociales à l’école, se dresse vent debout contre cette assertion et souhaite rétablir la réputation du diplôme en tant qu’arme de la classe populaire.

Ça y est, la rentrée a débuté. Celle des plus jeunes cette semaine, suivie bientôt par quasiment trois millions d’étudiant·e·s avec un seul espoir en tête : décrocher le précieux sésame qu’est le diplôme de l’enseignement supérieur. Licence, BTS, DUT, Master : les voies sont nombreuses mais une même rumeur inquiétante circule depuis quelques années : « à quoi bon ? le diplôme ne sert plus à rien. »

Des générations d’écoliers ont grandi avec des parents qui rabâchaient l’importance d’obtenir un diplôme pour faciliter son arrivée sur le marché du travail. Mais alors que l’insertion des jeunes diplômés, pourtant bac +5 en poche, est de plus en plus compliquée, les nouvelles générations croient de moins en moins au diplôme. Et pour cause la valeur de ce dernier qui ne cesse de baisser au fil des arrivées toujours plus nombreuses de diplômés qualifiés sur un marché du travail saturé. Ceux à qui on a promis de bonnes opportunités professionnelles après s’être acharnés à l’Université ressortent forcément déçus, avec l’impression que leurs diplômes ne servent à rien.

Le diplôme : un outil de sélection

Étudiant·e·s qui nous lisez, ne vous inquiétez-pas : cela ne reste qu’une impression. Les enquêtes du Céreq montrent que si la phase d’insertion est plus lente, les choses finissent par rentrer dans l’ordre et les bon diplômés obtiennent de bons jobs. Et selon l’Inseee4), trois ans après la sortie des études, les non-diplômés sont 42,4% à être au chômage, tandis que le pourcentage baisse à 8,7% pour les Bac+2 et plus. Sur l’ensemble de la population, ces mêmes pourcentages s’équilibrent mais gardent un écart de 8%. Cet écart colossal s’explique par la nature du diplôme qui sert d’outil de sélection pour les employeurs, que ce soit à juste titre ou non. De longue date, les sociologues et économistes planchent sur cette question : mais quelles sont donc les compétences réellement acquises grâce aux diplômes ? Pour ma part, la réponse tient en peu de mots : on ne sait pas vraiment. C’est pour moi à la théorie du signale qu’il faut ainsi se rapporter. Pensée par l’économiste américain Kenneth Arrow, il avance que la formation et le diplôme ne servent pas à accroître les capacités d’un élève mais bien à les identifier. Interrogez des employeurs sur leurs pratiques de recrutement et ils vous affirmeront que ce n’est pas la formation universitaire en tant que telle qui les intéresse, mais la garantie qu’elle représente. Les compétences techniques intéressent peu et, à ce titre, seulement un emploi sur trois est étroitement lié à la spécialité de formation.

Donc le diplôme sert de “signal positif” pour des recruteurs qui ne savent pas vraiment pourquoi… Et c’est là que la sacro-sainte méritocratie entre en jeu : dans l’esprit collectif, celui qui a obtenu son diplôme est forcément plus méritant que celui qui n’en a pas car l’école classe les élèves selon leurs performances. Sauf que… Sauf que la méritocratie ignore complètement l’influence des milieux sociaux des élèves. On se souvient de la notion de “capital culturel” introduite par Pierre Bourdieu, soit ce que l’on apprend à la maison et qu’on ramène à l’école. À quoi l’on peut ajouter aujourd’hui l’obsession de la part des parents les plus aisés d’extraire leurs enfants de la masse le plus tôt possible. On leur apprend à lire avant l’entrée en CP, on donne des cours particuliers et on utilise même les tests d’intelligence pour les séparer de leurs camarades. De quoi créer des écarts de niveau immense dès la Maternelle.

Si la méritocratie a ses limites, il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain. On entend beaucoup dire que l’école renforce les inégalités sociales et cela est en partie erroné. Si demain l’école disparaissait, les inégalités monteraient en flèche, et il suffit de regarder ce qu’il se passe pendant les vacances scolaires pour le comprendre. Les enfants issus de familles aisées ont un environnement propice à l’apprentissage avec un accès facile à des ressources éducatives. Ils voyagent, découvrent de nouveaux environnement et s’enrichissent au-delà du cadre scolaire. Chez les familles défavorisées, c’est le phénomène inverse qu’on observe. Les enfants sont victimes de ce que les américains ont nommé le « summer slide », soit le fait de régresser dans les acquis scolaires. L’École est une institution qui s’inscrit dans un système social inégalitaire et doit donc se débrouiller avec. Si on peut l’accuser de ne pas “plus en faire” pour mettre les élèves au même niveau, on peut au moins lui attribuer le mérite de ne pas renforcer les inégalités, de parfois les compenser, même si elle a tendance à leur donner une légitimité.

Ce sont les jeunes des milieux aisés qui s’en sortent le mieux sans diplôme

Le diplôme étant ancré dans le système éducatif, la même conclusion peut être tirée. L’acquisition du diplôme est, certes, entachée par l’influence des inégalités sociales mais il joue un rôle essentiel dans l’ascension sociale. À ce titre, les études sur la mobilité sociale sont formelles : ce sont les jeunes des milieux aisés qui s’en sortent le mieux sans diplôme. Ils bénéficient du réseau de leurs parents qui occupent déjà une place prestigieuse dans la société, peuvent acquérir des softs skills par d’autres moyens et faire des stages qui leur permettent de mettre le pied à l’étrier. Dans ce cas, se passer d’un diplôme devient réalisable. Mais que faire quand les parents n’ont pas de réseaux ? Le diplôme permet de signaler certaines compétences et de classer des jeunes qui n’ont pas accès à des ressources externes. La mobilité ascendante chez les enfants de classes populaires sortis de l’école s’est accrue de 10 points au moment où la France a élargi l’accès à l’éducation depuis les années 1980. On comprend dès lors que le diplôme est un outil majeur pour améliorer sa position dans la hiérarchie sociale qu’il ne faut pas ignorer.

Alors que la question capitale de savoir comment répartir les emplois persiste, le diplôme est sans doute un outil de sélection moins injuste que l’origine sociale. Le piège de ce sujet serait néanmoins de tomber dans une défense du diplôme comme l’outil de sélection par excellence. L’influence d’éléments externes - biographiques ou même complètement aléatoires - dans les parcours scolaires fait échouer des jeunes qui se trouvent pénalisés tout au long de leur vie alors qu’ils ne sont pas sans qualités. À ce titre, la reconnaissance des compétences acquises par-delà le cursus scolaire, pour les individus qui ne sont pas les grands gagnants de la méritocratie, est une question sur laquelle il faut se pencher davantage. Si le diplôme peut ainsi jouer son rôle d’arme chez certains, il ne peut pas non plus être l’alpha et l’omega du recrutement quand son acquisition est largement inégalitaire.

Article co-écrit avec Camille Perdriaud et édité par Clémence Lesacq Gosset - Crédit Photo Samuel RIBOT

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