Marathon du recrutement : pourquoi et comment y mettre un terme ?

13 nov. 2024

5min

Marathon du recrutement : pourquoi et comment y mettre un terme ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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Les recrutements à rallonge épuisent maintenant les recruteurs. Avec la multiplication des étapes et des interlocuteurs, les entreprises veulent des garanties face au risque. Mais est-ce vraiment un gage d’efficacité ? Rien n'est moins sûr.

Les recruteurs subissent-ils davantage de contraintes dans les processus de recrutement ? Pourquoi les embauches sont-elles plus longues et plus complexes ? En effet, selon le baromètre des pratiques de recrutement des cadres 2024, le délai moyen, qui ne cessait de s’allonger depuis 2020, se stabilise autour de 12 semaines, à l’exception du secteur de l’industrie où il passe à 15 semaines. « Depuis la crise COVID, on observe une accumulation des étapes dans les processus de recrutement, ce qui allonge considérablement les délais », explique Malo Alexandre, manager et recruteur au sein de L’Étincelle RH.

Si les processus allongés visent à réduire les erreurs d’embauche et à assurer un alignement entre le candidat et l’entreprise, ils créent surtout de nouveaux défis. « Il existe une désynchronisation entre les attentes des candidats, qui souhaitent des réponses rapides, et la réalité de l’entreprise, confrontée à une incertitude économique plus forte. Résultat : cela affecte les talents, mais aussi les recruteurs, qui peinent à les maintenir motivés », explique Étienne Ageneau, directeur général associé de L’Étincelle RH. Comment expliquer l’alourdissement des processus de recrutement ? La multiplication des étapes et des interlocuteurs est-elle la clé de l’efficacité d’un recrutement ?

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Raison n°1 : un contexte économique plus incertain

La prudence prévaut dans un contexte économique instable : les entreprises hésitent davantage avant de prendre des décisions d’embauche, de peur de commettre des erreurs dispendieuses face à un avenir incertain.  « Cette frilosité s’explique aussi par des questions budgétaires et une prise de risque maîtrisée, ce qui retarde souvent la prise de décision finale, même lorsque le bon candidat a été identifié », souligne Malo Alexandre.

Raison n°2 : la crainte des « brilliant jerks »

La crainte d’engager des « brilliant jerks » - individus techniquement brillants, mais perçus comme nuisibles à la culture d’équipe - a été popularisée par Reed Hastings, le PDG de Netflix. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’expérience candidat : les entreprises ont depuis inclus davantage de collaborateurs dans la prise de décision, afin d’évaluer non seulement les compétences techniques, mais aussi la compatibilité comportementale, le fameux culture fit. Cette quête de l’alignement culturel et des soft skills, aussi noble soit-elle, entraîne des étapes supplémentaires souvent inutiles qui alourdissent le processus.

Raison n°3 : la complexification des postes

Les postes à pourvoir sont devenus de plus en plus multidimensionnels, avec des attentes croissantes en termes d’adaptabilité et de polyvalence. Pour s’assurer que le candidat possède toutes les compétences requises, les entreprises multiplient les modes d’évaluation. Comme l’explique Malo Alexandre, « de nouveaux critères s’ajoutent, ce qui complexifie et rallonge la prise de décision finale ». D’ailleurs, bien que l’ajout de tests supplémentaires et l’implication d’un plus grand nombre d’intervenants soient souvent perçus comme des moyens d’améliorer le recrutement, ces pratiques peuvent, en réalité, amplifier les biais. Pourquoi ? « Si les personnes ne sont pas formées au recrutement, ni sensibilisées au profil recherché, cela parasite l’objectif de départ », ajoute Étienne Ageneau.

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Raison n°4 : un processus de recrutement mal calibré

Le déroulé des recrutements est également perturbé par le manque de clarté initiale dans la définition des besoins. « Malgré un cadrage initial et une première shortlist, le cahier des charges évolue de plus en plus en cours de route, avec l’ajout de nouveaux critères à cause de réorganisations internes  notamment », explique Étienne Ageneau. Ceci entraîne une perte de maîtrise du processus, qui devient plus complexe et plus long.

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Limite n°1 : l’inefficacité dans la prédictibilité à l’embauche

Les méta-analyses de Schmidt et Hunter -chercheurs américains dans le domaine de la psychologie industrielle et organisationnelle- mettent en lumière une corrélation inversée entre le nombre d’étapes ou d’entretiens et l’efficacité des embauches. Leurs études révèlent que l’accumulation d’entretiens, en particulier lorsqu’ils sont non structurés (non standardisés), tend à diminuer la prédictibilité des performances futures des candidats. En effet, ce type d’entretiens ne permet que 14 % (versus 26 %) de prédiction des performances, car il est souvent influencé par des biais, plutôt que par une évaluation objective des compétences. Bien que les tests techniques et les entretiens structurés soient plus rigoureux, leur efficacité peut aussi diminuer s’ils sont trop répétitifs. Enfin, une surcharge de tests et d’entretiens peut aussi entraîner une saturation cognitive et ralentir la prise de décision, ce qui n’aide pas toujours à identifier le meilleur candidat !

Limite n°2 : la méfiance des candidats

Les recrutements longs suscitent une méfiance croissante de la part des candidats, particulièrement quand ils dépassent les attentes raisonnables. Selon une enquête de l’Apec sur l’attente des cadres, 90 % d’entre eux estiment que le processus ne devrait pas inclure plus de trois entretiens. L’enquête mentionne un point clé :  « Les cadres regrettent la tendance de certaines entreprises à “sur-mobiliser” les candidats : déplacements multiples, entretiens de longueur injustifiée, passation de tests longs ou jugés inutiles… ». En effet, certains talents sont confrontés à des pratiques de tests techniques chronophages ou d’exercices créatifs, souvent demandés après une présélection. Ces études de cas, aux frontières parfois poreuses avec du travail dissimulé, suscitent de la suspicion quant à leur exploitation finale.

Limite n°3 : des coûts du recrutement plus élevés

Si le coût moyen d’un recrutement dépend de plusieurs facteurs, des études récentes estiment qu’il se situe généralement autour de 4 700 dollars par embauche (soit environ 4 300 euros), selon la Society for Human Resource Management (SHRM). Ce chiffre inclut des frais directs comme les publicités, les systèmes de suivi des candidatures (ATS), les tests techniques et les vérifications des antécédents. Pour des postes plus complexes ou de niveau exécutif, ce coût peut grimper jusqu’à 15 000 dollars ou plus. On comprend alors les conséquences financières directes pour l’entreprise, si le processus de recrutement s’éternise. Quant aux cabinets de recrutement, cela signifie à la fois un investissement accru en temps mais aussi une baisse de rentabilité, affectant à terme l’engagement des recruteurs mobilisés.

Durée du recrutement : comment trouver « le nombre d’or » ?

Pour éviter les recrutements « marathons » qui s’éternisent, certaines entreprises ont mis en place des stratégies très structurées. Maud Jardin, DRH de Lucca, a notamment bâti un processus en quatre étapes distinctes permettant de réduire la durée du recrutement tout en conservant son efficacité. Chaque étape joue un rôle précis : du screening pour vérifier l’adéquation technique et culturelle, au test technique où l’accent est mis sur la démarche du candidat, jusqu’aux oraux permettant d’évaluer son intégration dans l’équipe. Cette approche allège la charge des recruteurs tout en impliquant les équipes dans la prise de décision, renforçant ainsi l’engagement des candidats et évitant les erreurs d’embauche. « Ce modèle a été pensé pour limiter le nombre d’étapes tout en impliquant le collectif, ce qui allège la charge sur les recruteurs et engage davantage les futurs collaborateurs », souligne Maud Jardin.

De son côté, le cabinet Approach People, dirigé par Laurent Girard-Claudon, adopte une approche structurée. « Nous aidons les entreprises à définir précisément leurs besoins en alignant les attentes dès le départ, ce qui améliore l’expérience candidat », explique-t-il. Le cabinet partage également son expertise pour éviter les écueils les plus courants en recrutement, tout en prenant en charge la gestion logistique des entretiens, un facteur souvent responsable des retards. Maintenir un contact régulier avec les candidats et définir un processus clair en amont sont des facteurs essentiels pour limiter les abandons en cours de route. « La transparence et l’engagement tout au long du processus réduisent aussi l’épuisement des recruteurs », termine Laurent Girard-Claudon.


Article écrit par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps

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