Dyslexie : peut-on l'assumer lorsqu'on recherche un emploi ?
19 oct. 2023
6min
BA
Journaliste freelance
En France, une bonne orthographe est un marqueur social très fort et une qualité très appréciée des recruteurs. Alors pour les candidats dyslexiques, parler de leur handicap lors d’un processus de recrutement reste une décision délicate. Explications.
Entre 3 et 12% de la population européenne souffriraient de dyslexie, selon The European Dyslexia Association. « Il s’agit d’un trouble du neurodéveloppement dû à des facteurs neurobiologiques et parfois génétiques, explique Aurélien Bresson, orthophoniste à Benfeld. Ce n’est pas psychologique. » Ce trouble de l’apprentissage impacte de façon plus ou moins importante la maîtrise de la lecture et de l’écriture tout au long de la vie. En effet, si la dyslexie est connue et reconnue chez les enfants, notamment dans le cadre de l’apprentissage scolaire, elle persiste également à l’âge adulte et constitue un challenge quotidien pour les salariés concernés. « Personnellement je confonds les V, les B et parfois les P, explique Cécile, 35 ans, pourtant professeure de communication. C’est le cas lorsque je suis fatiguée, car j’ai du mal à me souvenir des sons et donc à les écrire correctement. » « Moi j’ai du mal avec les B, P, T et D, confie Soumaya, 34 ans, directrice d’une agence de recrutement. J’ai un petit moyen mnémotechnique qui consiste à répéter “baba, papa, tata, dada”. » Dans 50% des cas, les personnes dyslexiques ont également d’autres troubles associés comme la dysorthographie (un trouble de l’apprentissage de l’orthographe), la dyspraxie (qui affecte la planification, la coordination, la réalisation et l’automatisation des gestes) ou encore la dysphasie (un trouble du langage).
L’orthographe, un marqueur social très fort
Au travail, la pression des personnes souffrant de dyslexie est permanente. « Je suis directrice générale, je représente la structure dans laquelle je travaille, la pression de laisser partir des écrits avec des fautes vers l’extérieur est énorme pour moi, confesse Magali, 43 ans. C’est très mal vu dans la société. » Notamment parce que la maîtrise des règles d’orthographe et de grammaire est considérée (à tort) comme un marqueur d’intelligence et une preuve de sérieux. Selon une étude réalisée en 2019 par OpinionWay pour Bescherelle, les trois-quarts des employeurs accorderaient en effet une grande importance à l’expression écrite de leurs salariés. Principalement parce qu’ils craindraient de véhiculer une image négative de leur entreprise à l’extérieur. 15% d’entre eux avouent même que des lacunes trop importantes à l’écrit peuvent freiner une promotion. Côté recrutement, 52% des DRH interrogés ont répondu avoir déjà éliminé un candidat à cause d’une mauvaise maîtrise de l’écrit.
Or comme le souligne Aurélien Bresson : « La dyslexie n’a rien à voir avec l’intelligence. Dans notre pays, la place de l’écrit est très importante et l’orthographe est devenue un signe d’élitisme. Car des fautes dans un CV ou une lettre de motivation peuvent être rédhibitoires. C’est dommage, parce qu’elles ne sont pas dues à une faille intellectuelle ou sociale dans le cas d’une dyslexie. » Selon une récente étude menée par la Fondation française des Dys, 85% des personnes dyslexiques interrogées affirment avoir des diplômes, 28% travaillent dans l’enseignement, 19% dans l’administration, 14% dans la santé et l’aide à la personne ou encore, 13% dans l’ingénierie et les bureaux d’études. « Il ne faut pas confondre trouble et capacité, insiste l’orthophoniste. Certaines personnes dyslexiques ont une grande force de travail et mettent en place des méthodologies de compensation impressionnantes. »
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La dyslexie sur le CV, bonne ou mauvaise idée ?
Mais cette discrimination à l’emploi, les personnes dyslexiques s’en sont rendues compte assez tôt dans leur carrière. Selon une étude menée par le CSA en 2023, 59% des candidats dyslexiques cachent leur trouble lors d’un entretien d’embauche et 50% n’en parlent toujours pas après leur arrivée dans l’entreprise. « Au début, j’en parlais lors du processus de recrutement mais cela m’a pénalisée alors je ne le dis plus, raconte Soumaya. Quand mes collègues l’ont su, ils ont pourtant été surpris et m’ont dit que cela ne se voyait pas car j’ai développé de bons moyens mnémotechniques pour compenser. » Le problème vient donc principalement d’une méconnaissance de ce trouble dans le monde du travail. Ainsi, 45% des personnes dyslexiques interrogées par la Fédération française des Dys assurent que leur entreprise n’a aucune connaissance des troubles neurodéveloppementaux (20% ont répondu qu’elles ne savaient pas si c’était le cas), 58% ont répondu que leur équipe n’y avait jamais été sensibilisée (21% l’ignorent) et 62% que leur manager n’avait reçu aucune formation (21% disent ne pas savoir). Plus précisément, seuls 12% des répondants ont confirmé que leur manager était au fait de ce qu’étaient les troubles neurodéveloppementaux. Or, le manque de formation des hiérarchies défavorise les candidats dyslexiques.
« On est dans une société validiste, explique Juliette Naji-Dumas, spécialiste en recrutement inclusif. La plupart des managers recrutent avec la peur de se tromper et non celle de trouver la bonne personne. Même si le handicap est minime, ils peuvent prendre peur et s’imaginer que ce recrutement les ferait sortir de leur zone de confort, alors qu’ils n’ont pas le temps et qu’ils sont débordés. » Pour la spécialiste, mieux vaut donc ne pas mentionner sa dyslexie sur son CV. « Cela dépend de chacun, c’est un choix personnel. Mais cela n’augmentera pas les chances d’être appelé alors qu’au contraire, cela peut jouer en défaveur de la personne. » Églantine Tancray, CEO du cabinet de recrutement inclusif Taylor River, est du même avis : « C’est délicat, le choix appartient aux candidats. Face à des recruteurs expérimentés ou inclusifs pourquoi pas. Mais il est vrai que sinon, les biais inconscients prendront le dessus et les difficultés d’expression écrite pourraient être associées à tort à un problème de compétence. » Enfin, pour Nathalie Groh, présidente de la Fédération française des Dys, « mieux vaut ne pas tout dire tout de suite et y aller pas à pas pour ne pas effrayer les managers. Les candidats veulent être vus pour leurs compétences, pas pour leurs difficultés ».
Les personnes dyslexiques, un atout pour les entreprises
Pourtant, si le manque de connaissances des managers et des employeurs nuit aux candidats, il prive également les entreprises de beaux profils. 59% des salariés dyslexiques interrogés par le CSA estiment que leur trouble est un atout et qu’il leur a permis de développer d’autres compétences comme la créativité (65%), la débrouillardise (65%), la persévérance (63%), l’écoute (61%), les capacités de mémorisation (61%) et l’organisation (61%). C’est ce que l’on commence à appeler « la pensée dyslexique ». Une gamme de compétences désormais reconnue officiellement comme un talent sur LinkedIn, à l’initiative d’une campagne lancée par Richard Branson, lui-même dyslexique et PDG du groupe Virgin. Le millionnaire a salué la « pensée créative et approfondie » des personnes dyslexiques et invite les entreprises à reconnaître leur potentiel. « On veut faire plus que les autres, on se donne plus les moyens pour compenser, confirme Soumaya. On veut toujours être les meilleurs. Moi j’ai toujours ressenti le besoin de montrer que ce n’est pas parce qu’on a ce trouble qu’on ne peut pas être au top. »
Pour Aurélien Bresson, l’orthophoniste, « c’est une chance d’inclure des personnes qui ont des troubles dans une entreprise, car on peut avoir des profils divers et des compétences différentes ». Eglantine Tancray, de son côté, encourage aussi à briser les tabous autour des vulnérabilités de chacun dans le monde du travail : « Il est dans l’intérêt des sociétés de miser sur la diversité. La parité est nécessaire au bon développement d’une entreprise et présente des bénéfices immédiats, concède-t-elle. Et il faut libérer la parole sur les vulnérabilités en général. On est encore dans le mythe de la toute puissance, du guerrier masculin qui est pragmatique, assuré. On a besoin d’un leadership plus inclusif et d’avoir conscience des vulnérabilités de chacun au profit de l’humilité. »
Nina Ramen, CEO de Ramentafraise, compte près de 100 000 abonnés sur LinkedIn. Spécialisée en copywriting (l’écriture marketing), elle s’est formée aux techniques d’écriture malgré sa dyslexie, a rédigé des pages de vente dont certaines ont généré des chiffres d’affaires à six chiffres, a publié des posts dont certains ont dépassé les 500 000 vues et écrit le livre Copywriting pour entrepreneurs et indépendants : créer et transformer son audience en chiffre d’affaires (ed. Eyrolles). Elle livre un récit inspirant : « À l’époque, quand je parlais du copywriting sur LinkedIn, je me sentais illégitime, donc j’ai bossé dur pour faire taire ce syndrome de l’imposteur. Il y avait une forme de revanche, car lorsque j’étais petite, une partie de moi admirait les gens qui savaient écrire. J’avais l’impression qu’ils avaient un super pouvoir. Puis avec le temps, je me suis complètement détachée du regard des autres. Aujourd’hui, une personne capable de me juger sur une faute d’orthographe n’est pas quelqu’un avec qui j’ai envie de parler. » Aujourd’hui, Nina Ramen aide les femmes à prendre la parole sur LinkedIn « à oser se mettre en avant avec leurs qualités et leurs défauts, à vaincre leur syndrome d’imposteur. J’en ai fait mon métier ».
En conclusion, mentionner sa dyslexie sur son CV ne serait pas la meilleure option pour les candidats, selon les experts. En revanche, celles et ceux qui ressentiraient le besoin d’en parler, notamment pour demander un aménagement de poste, ne devraient pas hésiter à la présenter comme un atout en listant les qualités et compétences qu’ils et elles ont développées au fil du temps pour compenser. De préférence à la fin du processus de recrutement lorsqu’une relation de confiance s’est déjà installée, soit après l’embauche. Mais comme toujours quand le personnel se mêle au professionnel, en parler ou non demeure un choix personnel.
Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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