Hadrien Klent : bosser 15h par semaine, ça donnerait quoi ?

04 oct. 2023

6min

Hadrien Klent : bosser 15h par semaine, ça donnerait quoi ?
auteur.e
Cécile Fournier

Journaliste indépendante

contributeur.e

Dans « Paresse pour tous » (2021, Ed. La Tripode), Emilien Long, prix Nobel d'Économie, était élu Président de la République avec un programme détonnant : le droit à la paresse, avec une limite de trois heures de travail quotidien. Dans ce second volet « La Vie est à nous », on le retrouve trois ans plus tard aux commandes de la France. Cette fois, Hadrien Klent, l’auteur de ces deux romans qu’il décrit comme « des utopies réalistes » confronte les idées à la réalité du terrain et brosse le portrait d’un pays où le travail n’est plus une valeur centrale.

« La vie est à nous » se situe trois ans après votre roman précédent « Paresse par Tous », qui s’achevait par la victoire d’Emilien Long aux élections présidentielles après un programme politique basé notamment sur la semaine de travail de 15 heures… On le retrouve donc cette fois-ci à la plus haute fonction.

Oui. « Paresse pour tous » posait les enjeux de ce projet de semaine de 15 heures : un revenu plafonné à 6 000 € par mois, des heures supplémentaires dès la quatrième heure journalière travaillée, une possibilité de travailler plus mais de consacrer du temps à une association… Dans « La vie est à nous », c’est l’application de tout ça. C’était important pour moi, en tant qu’auteur, d’aller au-delà de propositions qui pouvaient faire rêver, pour me confronter à l’exercice du pouvoir.

Dans ce second volet, Emilie Long parvient donc à mettre en œuvre cette semaine de quinze heures ?

Oui, mais il doit aussi s’adapter à une réalité : certains secteurs ne peuvent pas travailler moins - comme le secteur de la médecine par exemple -, et des personnes souhaitent, elles, continuer à travailler plus. Ainsi est inventé le système de « décalé » : tous ceux qui travaillent plus de 15h par semaine doivent consacrer une journée à une activité de l’ordre du non compétitif, c’est-à-dire dans l’associatif ou dans de grandes structures publiques ou parapubliques.

Contrairement à « Paresse pour tous », la question du travail est ici moins centrale. Pensez-vous que ce n’est qu’une fois le temps de travail repensé que l’on peut s’atteler à d’autres chantiers ?

Tout à fait. C’est, selon moi, la mère de toutes les réformes. Une fois qu’on y a remis de l’ordre, qu’on a donc libéré du temps, il faut penser ce temps disponible. Cette nouvelle liberté doit être mise au service de tous, elle doit être pensée comme un bien commun.

Cette liberté comme bien commun, c’est ce que vous appelez dans votre livre la “co-liberté”.

Oui. C’est un mot que j’ai inventé après qu’un lecteur m’a fait remarquer que le mot “paresse” revêtait un caractère péjoratif. C’est en changeant le vocabulaire qu’on change le monde.

« Je trouve cela intéressant que le roman permette aussi de réfléchir sur le politique et non la politique. » - Hadrien Klent, écrivain

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Comme pour le précédent, je me suis nourri pour ce roman-ci de théories déjà existantes mais disparates : Keynes, Largues, des textes du Front Populaire - je fais un parallèle entre Léon Blum et Emilien Long - ou encore les textes anarchistes du XIXᵉ siècle. Ils sont plus positifs que nous puisqu’ils n’ont pas connu l’échec de ce que le XXᵉ siècle a produit comme pensées. J’ai réuni ces pensées et ainsi je montre qu’on peut reconnecter plein de projets différents avec une classe politique entièrement consacrée à la gestion d’idées et non pas happée par du blabla. C’est sans doute en ça que je suis un peu trop optimiste.

Keynes, Léon Blum, Lafargue, les anarchistes du XIXe siècle… vos références sont plutôt anciennes. N’y a-t-il pas des penseurs plus actuels qui vous auraient inspiré ?

Si, je cite par exemple Dominique Méda (philosophe et sociologue française, ndlr.), qui a travaillé sur la question de la croissance et prône le fait de sortir de cette idéologie pour faire face à la menace écologique qui guette.

Mais sinon, c’est vrai que d’une manière générale, les ultra-contemporains portent moins ce discours optimiste que j’ai. Aujourd’hui, ils ont une vision plus sombre et plus critique et j’avais besoin de retrouver un élan, une énergie, qui ne sont pas toujours faciles à atteindre dans notre monde actuel.

Les mesures prises dans La vie est à nous par Emilien Long et son gouvernement semblent extrêmement réalistes. Pourquoi avoir eu ce besoin de coller à la vie réelle ?

Je voulais rendre les choses très concrètes et très réalistes. En tant que romancier, je dois parvenir à construire des situations, des personnages, des enjeux qui fassent dire au lecteur : « tiens, ça a vraiment lieu ! »

Vous utilisez donc le genre romanesque, ainsi que des personnages de fiction, pour proposer de nouvelles manières d’imaginer notre société toute entière… Utiliser le procédé romanesque, c’était aussi une manière de rendre des théories politiques parfois compliquées plus accessibles ?

Tout à fait. En parlant avec les lecteurs de « Paresse pour tous », j’ai découvert qu’ils n’étaient pas des lecteurs de livres politiques, et qu’ils n’auraient donc pas lu un livre politique sur le sujet. Mais le fait d’ouvrir un livre de fiction, et de se laisser porter par cet élan a fait qu’ils ont pris plaisir à s’interroger sur des questions qu’ils ne se posaient pas forcément. Aujourd’hui, je pense que si la littérature politique a du mal à séduire c’est parce qu’elle est soit le fait de journalistes politiques qui décryptent les petits jeux d’appareils, soit de responsables politiques qui proposent, eux, des programmes. Je trouve cela intéressant que le roman permette aussi de réfléchir sur le politique et non la politique.

Et vous - qui écrivez sous pseudonyme - n’aimeriez-vous pas vous lancer en politique ?

C’est drôle, vous n’êtes pas la première à me le demander. Il y a quelque chose d’ambigu. Les lecteurs me voient comme Emilien Long et pensent que je devrais me présenter et porter cette idée. Mais je reste un écrivain. Je fabrique avec des mots des mondes possibles. Je me rends compte que ma langue et ma vie diffèrent de celle d’un politique. Je ne cherche pas à tout prix à convaincre, à écraser mon auditoire par mes pensées. Je cherche à expliciter ma réflexion.

« Dans mes deux livres, les gens n’ont pas à attendre la retraite pour vivre leur vie en entier. Le travail apparaît comme une partie de cette vie pour continuer collectivement à faire fonctionner cette société, mais cela ne reste qu’une partie. » - Hadrien Klent, écrivain

Et si ce n’est pas vous qui portez donc ces idées sur scène politique, aimeriez-vous que quelqu’un le fasse ?

Je n’écrirais pas de livres si je ne voulais pas que le monde se saisisse de ces idées. J’ai pensé ces deux livres comme des boîtes à outils pour faire réfléchir des lecteurs et lectrices. Et je constate que depuis quelques mois des responsables politiques plus ou moins connus s’intéressent à mes romans.

Que penserait Emilien Long de la réforme des retraites ?

C’est difficile de le savoir…. Mais il est certain que le simple fait d’imaginer une semaine de quinze heures consiste déjà à penser le travail bien différemment que ne le font nos politiques ! Personnellement, je trouve cela violent de repousser le moment de partir à la retraite, car cela repousse le moment où les gens auront enfin du temps pour vivre. Dans mes deux livres, les gens n’ont pas à attendre la retraite pour vivre leur vie en entier. Le travail apparaît comme une partie de cette vie pour continuer collectivement à faire fonctionner cette société, mais cela ne reste qu’une partie.

Avez-vous le sentiment que les schémas changent, que la manière de penser le temps de travail évolue, notamment avec la semaine de quatre jours qui a été expérimentée en Angleterre et que de plus en plus d’entreprises françaises adoptent ?

Il y a des frémissements. On parle en effet de la semaine de 4 jours, ou encore au moment de la réforme des retraites le “droit à la paresse” est un terme qui est revenu à la mode… Il y a des expériences qui sont tentées mais tout cela reste minoritaire.

En parallèle, on entend aussi de plus en plus parler de décroissance. La décroissance c’est réfléchir au bien-vivre, adapter ses besoins, qu’ils soient de consommation ou de loisir…

On évoque aussi davantage l’idée du revenu minimum d’existence, ou du revenu universel. Proposer un salaire minimum ou bien réduire le temps travaillé revient en réalité à la même chose, on apporte quelque chose en “plus”, soit de l’argent soit du temps pour soi. Ce sont généralement des idées portées par des économistes d’un certain type, plus alternatifs, mais pas vraiment par les politiques.

« Il va falloir que ces changements se concrétisent par une politique positive et pas simplement individualiste. » - Hadrien Klent, écrivain

Vous aimeriez sans doute que les politiques se saisissent davantage de ces idées.

Oui, effectivement. Ce serait intéressant qu’ils et elles rendent cette fameuse théorie de la décroissance plus positive, qu’on cesse de la voir comme quelque chose de négatif pour l’humain. Aujourd’hui, le bonheur est lié dans nos têtes à ce que nous consommons, ce que nous possédons… mais il pourrait être lié également au temps libre dont nous disposons pour réellement vivre ! Mais pour cela, il y a de la pédagogie à faire.

Justement, pour en arriver là, ne faut-il pas passer d’abord par un changement de mentalités ?

Cela commence. J’ai été frappé, en rencontrant les lecteurs, par le nombre de gens qui ont envie que les choses changent. La jeune génération a peut-être plus de capacité à remettre en question le dieu travail et le fantasme d’une vie qui ne serait réussie que si on a un bon boulot. Maintenant, il va falloir que ces changements se concrétisent par une politique positive et pas simplement individualiste. Tout l’enjeu est de faire en sorte qu’une injonction individuelle devienne un projet collectif, c’est-à-dire de faire en sorte que la société fonctionne mieux parce que le travail n’est plus au centre.


Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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