« Le recrutement doit (re)devenir l’affaire de tous »
20 mars 2024
7min
Si le métier de recruteur se doit d’évoluer, à bien des égards, il ne peut le faire seul. Cette métamorphose mérite en réalité de s’opérer tant par l’assimilation de nouvelles compétences et de nouveaux outils, que par l’appropriation du recrutement à plus large échelle au sein des organisations. De l’équipe RH aux opérationnels sans oublier le top management, tout le monde est concerné !
Ce n’est plus un scoop : le monde du travail connaît aujourd’hui l’une des crises les plus complexes en matière de recrutement. Pour preuve, huit recruteurs sur dix rencontrent à l’heure actuelle des difficultés pour embaucher de nouvelles recrues, et ce quels que soient le métier visé, la taille de l’entreprise ou le secteur d’activités concerné. La faute, paraît-il, à la crise de la « valeur travail ». Comme pour de nombreuses problématiques, on se plaît ici à blâmer les facteurs extérieurs plutôt que de jauger les caractéristiques propres à sa structure : « C’est pas moi, c’est lui ! »
Année après année, on n’en finit donc plus de déplorer un nombre insuffisant de candidats et leurs profils inadaptés. On regarde moins du côté de la gestion des ressources humaines, de la qualité du management, des conditions de travail ou encore de la réputation de l’entreprise. Pourtant, chaque structure gagnerait à réaliser cet exercice critique. Réinterroger la véritable place du recrutement au cœur de son organisation du travail comme de sa stratégie, c’est forcément prendre le problème à bras le corps. Et avec lui, appréhender de véritables pistes de solution.
Une nécessaire réévaluation au sein des équipes RH
Longtemps appréhendé comme le parent pauvre des RH -eux-mêmes parents pauvres des fonctions support-, le recrutement part de loin. Même la formation en ressources humaines, en particulier dans les masters RH, met peu l’accent sur le recrutement. En regardant en détail leur programme, on s’aperçoit que les étudiants reçoivent un maximum de 12 heures de formation sur l’année, et cinq des dix meilleurs masters RH ne parlent même pas de recrutement. Quant à ceux qui le font, ils n’ont pas franchement tendance à le valoriser. Je me souviens très bien de certains professeurs présentant le recrutement comme un métier d’initiation, une étape de transition, un premier palier avant d’avoir un « vrai job ». Entendez responsable RH, DRH ou responsable formation. Une perception longtemps répandue, à une époque où le recrutement faisait partie intégrante de l’éventail des compétences RH. Un temps (que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître) où le recrutement était simple. Bercée par le plein emploi, l’entreprise se trouvait alors en position dominante.
Mais l’arrivée du digital a révolutionné tant les métiers que les pratiques du recrutement. Celui-ci ne peut plus seulement être RH désormais. Davantage, ce job mérite de prendre son envol pour obtenir la place qu’il mérite, à la fois en tant qu’expertise et en tant que fonction. Aujourd’hui, le recruteur est devenu un véritable couteau suisse. Il doit notamment savoir combiner différentes approches (commerciale, marketing, communication, growth…), afin d’être plus efficace au quotidien et de pouvoir répondre aux enjeux les plus complexes.
Un constat réalisé par Vanessa Perillat, Chief Talent Officer de la société de conseil en stratégie SFEIR. « Les recruteurs doivent pouvoir trouver et contacter des candidats, récolter et nettoyer de la donnée, automatiser les tâches… Mais ils doivent aussi être à l’aise en marketing, en copywriting, en psychologie, en storytelling, en vente et également en community management. Ce à quoi on pourrait rajouter, en 2023, en utilisation des outils d’IA générative », énumère-t-elle.
« Recruteurs comme RH doivent être formés aux bases de chacun pour mieux appréhender leurs besoins et contraintes réciproques »
Mais comment donner aux recruteurs davantage de poids, me direz-vous ? L’une des solutions -à l’image de la Corse vis-à-vis de l’Hexagone- pourrait être de lui offrir plus d’autonomie par rapport aux fonctions ressources humaines traditionnelles. « Aujourd’hui, les attentes des candidats ont évolué. Avoir une fonction RH qui gère aussi le recrutement, c’est compliqué », expose Nicolas Serva, directeur du recrutement dans l’entreprise de solutions téléphoniques Aircall. Autonomie oui, mais doit-on pour autant parler d’indépendance ? Faut-il aller jusqu’à prôner une séparation totale des deux métiers : RH et recruteur ? Si le débat agite souvent la planète LinkedIn, je considère pour ma part que si une distinction des métiers est nécessaire, tant chacun nécessite des postures et des compétences différentes, ils ne sauraient avancer l’un sans l’autre. « Le recrutement ne doit surtout pas arrêter de communiquer avec les RH, abonde Nicolas Serva. C’est grâce au boulot des RH qui identifient en amont les compétences dont on a besoin que l’équipe recrutement peut travailler efficacement. »
J’irais même plus loin : recruteurs comme RH doivent être formés aux bases de chacun pour mieux appréhender leurs besoins et contraintes réciproques. Sans compter que le recrutement « interne », à savoir le cross-skilling (mobilité d’un collaborateur aux compétences transférables) l’up-skilling (mobilité d’un collaborateur suite à une formation) et le re-skilling (reconversion accompagnée par l’entreprise), prend de plus en plus de place. Or, sans cette complémentarité recrutement et RH, il est quasiment impossible !
Un besoin de réinterprétation face aux opérationnels
Savez-vous quel est le comble du gros des recruteurs ? Eh bien la plupart d’entre eux ne recrutent pas… S’ils doivent donc travailler distinctement, mais main dans la main avec les RH, il leur faut aussi épauler les personnes qui, in fine, recrutent pour leurs équipes : les fameux opérationnels, ou « hiring managers » dans le jargon. La terminologie anglaise « enabler » (soit facilitateur en français, ndlr) illustre parfaitement cette idée d’accompagnement. Et parmi les nouveaux intitulés des métiers du recrutement, le RecOps est d’ailleurs 100 % dévoué à cette coordination des équipes qui ont un tel besoin. Et l’on touche ici au rêve de tout recruteur de métier : voir le recrutement de sa boîte tourner indépendamment de lui-même, en responsabilisant les managers grâce à un fonctionnement en self service.
Je vous entends d’ici : encore une casquette de plus pour des managers déjà sur le fil ? Détrompez-vous, il ne s’agit pas pour le recruteur de les laisser tout gérer seul, pendant qu’il se tourne les pouces. Mais plutôt de leur laisser la marge de manœuvre nécessaire, au cœur d’une décision qui va les impacter au plus haut point. « Notre rôle est de les amener à ouvrir leurs chakras en élargissant les recherches. En les challengeant non seulement sur le “portrait robot” idéal défini, mais aussi sur le processus de recrutement », pointe Vanessa Perillat.
D’autant qu’il existe différents niveaux de hiring manager, selon leurs avancées dans leurs pratiques de recrutement. À ce sujet, une formulation de Sarah Friar, la CEO de Nextdoor, me vient en tête : « You cannot increment your way to greatness » (soit « On ne peut pas atteindre l’excellence par tâtonnements »). Il est effectivement beaucoup plus efficace de permettre à un manager de recruter le talent qui correspond à ses besoins et attentes, que de voir le recruteur faire une erreur dont il devra pâtir par la suite. En cela, recruter devrait être l’une des premières compétences apprises en management.
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Et justement, 76 % des principaux intéressés aimeraient être plus formés, d’après une étude de l’Apec de 2022. Un parti pris que Nicolas Serva a fait sien. « Tous les nouveaux managers sont formés au recrutement. On estime que ça fait partie intégrante du métier de manager ! », explique le directeur du recrutement d’Aircall. Forcément, un manager qui passe plus de temps à recruter aura moins besoin de manager par la suite. Autrement dit, ce qui représente une perte de temps aujourd’hui peut être un gain de performance demain. Mais comment s’y prendre ? Soit par le biais de formations externalisées, soit grâce à un programme « Train the trainers » réalisé par l’intermédiaire des recruteurs et RH de l’entreprise. Et en matière de contenu, nul besoin de formules booléennes complexes, le programme idéal nécessite de comporter à la fois les outils (utilisation d’un ATS, techniques de sourcing, bases de LinkedIn…), les process (priorisation des besoins, préparation des entretiens…) et les bonnes pratiques à adopter (promotion de l’entreprise, sensibilisation aux biais et à la non-discrimination…). Un quasi jeu d’enfant !
Une indispensable valorisation auprès du top management
Une fois le recrutement réévalué et les managers formés, l’étape ultime pour mettre le recrutement au cœur de la stratégie d’entreprise est de l’intégrer au plus haut niveau de décision. Pour prendre une avance notable sur la concurrence, la solution est simple : permettre aux directeurs recrutement d’être au Comex. Là encore, vous vous demandez peut-être quel est l’intérêt quand y figure déjà un DRH. Je l’entends. Mais, malgré les similitudes (travail dans l’urgence, manque de reconnaissance et de moyens, formation insuffisante…), leurs missions au quotidien sont aujourd’hui très, voire trop, différentes. Voyez plutôt : là où un RH est tourné au quotidien principalement vers l’interne avec pour objectif la rétention des talents, le recruteur agit à l’externe avec une mission d’acquisition. On peut faire un parallèle similaire entre un commercial et un chargé de compte. Les premiers identifient, ciblent, contactent, cherchent à convaincre, chouchoutent et passent la balle. Les seconds accueillent, entretiennent la relation et accompagnent au quotidien. Plus de différences que de similitudes donc ! Pourtant, lorsqu’on questionne les dirigeants sur leurs prérogatives no1 du moment, nombreux sont ceux qui évoquent le recrutement. Et 74 % d’entre eux se déclarent inquiets sur leur capacité à attirer de nouveaux talents, d’après une étude Robert Half de 2023.
« Le recrutement mérite une place de premier plan dans nos entreprises. Investir dans le recrutement, c’est investir aussi dans l’avenir de sa structure. »
Or, avoir son directeur recrutement au comex, c’est LA stratégie gagnante pour en faire enfin une priorité efficace ! Et ce quel que soit le niveau de croissance de l’entreprise. « Je pensais que ma place ne serait plus aussi légitime aujourd’hui, à l’heure où l’on recrute deux fois moins, mais en fait si. Mon rôle reste de challenger les managers, et notamment les C-levels, sur leurs besoins. Et c’est ce que je fais toutes les semaines en comex », confie Nicolas Serva. Vanessa, elle aussi, se voit considérée par son employeur non pas comme une fonction support, mais comme une fonction stratégique. Un parti pris fort, qui présente de nombreuses vertus à ses yeux. « Déjà, cela permet l’alignement de la stratégie recrutement avec la stratégie globale de l’entreprise. Et la réactivité et l’agilité s’en trouvent accrues. Ensuite, cette considération permet une indépendance bienvenue par rapport aux processus et aux priorités du département des ressources humaines », détaille la Chief Talent Officer de SFEIR.
Dernier argument et pas des moindres : « C’est un signal fort envoyé à tous les salariés de l’entreprise, comme quoi le recrutement est une fonction stratégique. Cela permet, par ricochet, de valoriser les équipes de recrutement et d’attirer les meilleurs recruteurs. » En effet, en étant en capacité de donner son avis en comex sur d’autres sujets, comme la finance, le marketing ou autre, le directeur recrutement est alors perçu comme un partenaire du business. De plus, une vraie équipe People peut ainsi être représentée au comex. Avec un binôme au lieu d’uniquement le DRH, les sujets humains ont deux fois plus de poids.
Le recrutement mérite une place de premier plan dans nos entreprises. Investir dans le recrutement, c’est investir aussi dans l’avenir de sa structure. Et cela ne peut avoir lieu que s’il (re)devient l’affaire de tous et toutes. Qu’on se le dise : prendre soin de votre recrutement, c’est s’assurer qu’il vous le rendra !
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Article écrit par Léo Bernard, édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
Inspirez-vous davantage sur : Léo Bernard
Formateur et créateur de contenus sur le recrutement
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