Recruteurs : comment faire face à la colère des candidats recalés ?
10 juil. 2024
6min
Menaces, insultes, sarcasmes, agressions physiques… Il est une réalité du métier de recruteur que l’on ne connaît pas et qui, selon certains RH, tendrait à s’intensifier : l’agressivité de certains candidats recalés. Voici comment y faire face.
« Pauvre femme sans substance, une morue imbue de sa personne avec un esprit vagabond, cite la présidente Laurence Tardivel, à l’audience du tribunal de Nantes le 7 mai. Je me vengerai quand l’heure sera venue, je n’agis pas dans la demi-mesure. Je n’aime pas ce que la France est devenue. L’histoire, c’est la lutte des peuples, nous allons nous soulever. L’explosion sociale est proche. Veuillez agréer l’expression de mes sentiments machiavéliques. » Ces mots cinglants sont ceux d’un candidat adressés à une chargée de recrutement qui n’avait pas retenu son profil. Une réaction choquante, mais qui est loin de faire exception.
Menaces, insultes et sarcasmes
Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice de ReThink RH, remarque en effet « une hausse de la violence ces 15 dernières années » et « une désinvolture de plus en plus marquée en entretien, avec des tenues inappropriées, des retards, des propos déplacés et même une manière de s’exprimer plus familière, comme lorsque l’on parle à un ami ou à quelqu’un dans la rue ». Alors que, fait-elle remarquer, « on est face à une personne susceptible de nous offrir un emploi ».
L’experte, qui raconte avoir tout vu – des candidats alcoolisés ou encore ceux qui misent tout sur la drague –, dresse une liste d’agressions et incivilités refroidissante : « Certains utilisent le sarcasme pour nous dénigrer, critiquent nos questions, nous rabaissent, nous accusent de discrimination ou encore, menacent de nous faire une mauvaise réputation, de nous casser la gueule ». La recruteuse se souvient par exemple d’un candidat recalé qui avait assuré qu’il l’attendrait « à la sortie », estimant qu’elle l’avait fait déplacer pour rien. Sylvie, DRH dans le secteur commercial, sent également que « de plus en plus de candidats sont tendus, à fleur de peau et plus susceptibles de s’emporter » qu’il y a quelques années. « Mais sûrement parce que le marché de l’emploi est lui aussi très tendu », précise-t-elle.
Des demandeurs d’emploi de plus en plus tendus
Les candidats les plus agressifs, remarquent ces deux expertes, ont souvent le même profil : « Ce sont des personnes en difficulté, qui ont du mal à trouver un job, note Marie-Sophie Zambeaux. Elles sont dans une spirale négative et nous, en face, on représente l’entreprise, voire la société de façon générale, le capitalisme, le pouvoir. En étant le premier maillon de la chaîne de l’emploi, on est aussi le réceptacle de leur désarroi et de leur amertume. » Le souffre-douleur en quelque sorte. « Ils sont souvent pris à la gorge financièrement, confirme Sylvie. Ils enchaînent refus sur refus, ou alors ne reçoivent aucune réponse à leurs candidatures et n’en peuvent plus. Ils sont frustrés et en colère… Et le problème quand on emmagasine ce genre de ressentiment, c’est que ça finit toujours par exploser. » Bien sûr, ceci ne justifie en rien une agression ou une incivilité, mais a le mérite de proposer une explication.
En avril dernier, un rapport alarmant de France Travail (anciennement Pôle Emploi) publié par Politis faisait état d’une quarantaine d’agressions ou incivilités chaque jour dans ses 900 agences. Près de 16 000 signalements d’agressions ont ainsi été faits en 2023, soit 12 % de plus qu’en 2022 – qui en comptait 14 200. Même constat avec les incivilités qui ont augmenté de 17 % (+ 82 % depuis 2019) et les agressions verbales de 8 % (+37 % depuis 2019). Parmi ces 16 000 signalements figurent par ailleurs « 143 agressions physiques déclarées en 2023 : 45 sont des agressions physiques avérées sur agent et survenues en agence ou à proximité», précise le document.
Subir une agression au travail peut avoir un impact très lourd sur la santé physique et mentale, ainsi que sur l’essor de sa carrière. « J’en connais qui se sont reconvertis à cause de ça, explique Marie-Sophie Zambeaux. Ils ont décidé de faire un autre métier. Outre le fait que ce ne soit pas un secteur d’activité forcément bien payé et reconnu, ils se disent que ça n’en vaut pas la peine. » Comment éviter d’en arriver là ? Comment faire face à ce genre de situation et surtout, s’en remettre ?
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Recruteurs : 4 conseils pour faire face à la colère des candidats recalés
1. Ne le prenez pas pour vous
Plus facile à dire qu’à faire, mais essentiel : ne prenez pas l’agressivité des candidats personnellement. « C’est sûr que ce n’est pas agréable, ni même normal, que nous servions parfois de bouc émissaire, concède Sylvie. Et il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’aide si on se sent en danger, ou même à déposer plainte. Mais il faut aussi regarder la situation sous un nouvel angle, en se détachant émotionnellement », relativise-t-elle. « Ces personnes sont en souffrance, dans des situations souvent très précaires. Elles ne sont plus rationnelles ni objectives. » En d’autres termes, leur agressivité et leur méchanceté ne font qu’exprimer un mal-être et n’ont rien à voir avec votre valeur. Le candidat jugé à Nantes, qui s’est dit « dévoré par la souffrance » au moment des faits, a ainsi expliqué à la cour : « Personne ne veut me donner ma chance, j’en ai marre. C’est tombé sur elle, mais ça aurait pu être n’importe qui ».
2. Sollicitez un soutien psychologique
Pour autant, « il ne faut pas banaliser une agression et demander de l’aide », fait valoir Margaux Bergamelli, psychologue du travail. « Il y a une différence entre le conflit et la violence. Le conflit est plutôt constructif, car nous avons le droit d’exprimer un désaccord dans le respect. Mais quand une personne agresse, humilie ou rabaisse, c’est de la violence. » Et cela peut entraîner un état de stress post-traumatique important, voire invalidant. En effet, « notre corps nous propose de revivre ce qu’il nous est arrivé. Et ce souvenir violent nous apparaît avec la même intensité que la première fois », commente la psychologue. « Ça maintient dans un état d’hypervigilance et de stress chronique » qui vont avoir un impact sur la santé et la qualité de vie. Faites-vous accompagner et prenez le temps de vous remettre de ce que vous avez vécu. Aucun travail ne mérite que vous y laissiez votre santé.
3. Demandez un aménagement de poste
Sachez que l’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés. Les articles L4121-1 à L4121-5 du Code du travail lui imposent d’assurer la santé mentale et physique de ses effectifs, que ce soit en cas de harcèlement moral, harcèlement sexuel ou encore de violences physiques ou morales. N’hésitez donc pas à lui en parler et à lui faire part de vos besoins. Par exemple, si vous préférez ne plus recevoir de candidats pendant un temps et vous concentrer sur d’autres tâches, ou bien si vous souhaitez désormais faire passer les premiers entretiens en visio pour vous sentir en sécurité.
4. Rappelez-vous ce qu’est l’état de sidération
Après un conflit ou une agression, il arrive que l’on repense à ce qu’il s’est passé et que l’on s’en veuille de ne pas avoir eu la réaction appropriée, ou la bonne répartie. Il arrive même que l’on se repasse la scène en boucle, que l’on soit déçu de soi et que l’on perde confiance. « Les personnes agressées ressentent qu’elles ont manqué de pouvoir, qu’elles n’ont pas bien réagi et cela les affecte », explique Margaux Bergamelli. Mais cet état, qui survient lors d’un choc émotionnel, est un mécanisme de défense naturel appelé sidération psychologique. « En état de sidération, le cerveau se met en off, il bugge en quelque sorte, poursuit la psychologue. C’est une dissociation entre ce qu’il se passe et comment il s’en protège. Il est important de connaître ce phénomène de sidération psychologique. Cela permet de rationaliser ce qu’il s’est passé et de savoir que son manque de réaction n’est pas une défaillance personnelle. C’est-à-dire que ce n’est pas un manque d’envie de se défendre, mais juste une sorte de bug cérébral. » Et c’est normal !
5. Gardez votre calme et faites preuve de diplomatie
« Il faut informer les futurs recruteurs de cette réalité du métier et les y préparer, estime Marie-Sophie Zambeaux. Notamment en les formant à la communication non verbale et à la gestion de conflits, afin qu’ils puissent garder leur calme » et faire preuve de sang-froid. La spécialiste invite par ailleurs à se montrer diplomate et patient. Notamment pour ne pas abréger un entretien trop brutalement lorsque l’on sait que le candidat ne fait pas l’affaire, afin qu’il ne s’offusque pas et se sente respecté. « Il faut aussi bien connaître les questions qu’il est illégal de poser en entretien », rappelle l’experte. Et savoir quand rendre une réponse négative : « Autant les candidats n’aiment pas qu’on ne leur réponde pas, autant ils n’aiment pas non plus qu’on leur réponde trop vite. Car recevoir une réponse négative trop vite, c’est vexant. ».
Enfin, rappelons que la violence physique et verbale est passible de poursuites. Le candidat jugé à Nantes devra effectuer un stage de citoyenneté dans les six prochains mois et dédommager la victime – avec qui il ne doit plus entrer en contact pendant 2 ans – à hauteur de 400 euros.
Article écrit par Barbara Azais, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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