Réunionite : ces réunions qui vous coûtent plus que vous ne l'imaginez…
05 févr. 2024
6min
Un cadre passerait plus de temps en réunion qu'en vacances. La réunionite est un fléau en termes de temps et d’argent. Pourtant, de nombreuses organisations peinent à revoir leurs habitudes, alimentées, entre autres, par un modèle managérial qui semble immuable. Comment (oser) le subvertir afin de mieux collaborer ?
La réunionite est un gouffre financier. En moyenne, un salarié assiste à 17,7 réunions par semaine, en virtuel ou en présentiel. 2,3 millions d’euros de pertes par an seraient imputés aux réunions dites inutiles pour une entreprise de 100 collaborateurs. L’addition s’élève à près de 100 millions d’euros au-delà de 5 000 salariés. Côté efficacité, ce n’est pas mieux : seules 25 % des réunions aboutissent à des prises de décision, d’après une étude Opinionway-Enquête Humaine. Faut-il les éradiquer comme le prônent les chantres de l’asynchrone ? Un solutionnisme radical qui semble à l’encontre de notre nature profonde selon Philippe Silberzahn, professeur à l’EM Lyon business school et chercheur spécialiste des organisations : « En tant qu’animaux sociaux, nous avons le besoin vital d’être en relation et de mener des projets en collectif. Mais on oublie qu’une organisation est intrinsèquement complexe. Pour transformer les modèles en place, il faut d’abord l’accepter, puis partir du postulat qu’il n’existe pas de règles applicables de manière universelle. » La réunionite serait donc le fruit d’un paradoxe culturel : abreuvés de réunions (majoritairement inefficaces), nous semblons les abhorrer autant que les attendre ? La dernière enquête de Comet & Yougov démontre en effet que 62 % des Français plébiscitent l’utilité des réunions, alors qu’ils étaient 86 % à penser l’inverse en 2022. Comment sortir de cet imbroglio et « cracker le code » de la réunionite au sein de son organisation ?
Réunionite : le symptôme d’une défaillance culturelle et organisationnelle
Lorsque l’on souhaite s’attaquer aux réunions, le problème est souvent mal posé selon Philippe Silberzahn : « L’excès de réunions n’est qu’un symptôme d’une organisation dysfonctionnelle. Il faut s’intéresser aux causes du symptôme, en questionnant le besoin inextinguible de se réunir. » On plonge alors au cœur de l’organisation, en menant un diagnostic approfondi du modèle managérial. « Les managers, souvent des experts promus, ont un besoin de maîtrise et souhaitent juguler le risque en ayant accès au maximum d’informations. Or, ce modèle mental entraîne des comportements compulsifs en termes de réunions avec leur lot de conséquences : surveillance, burn-out… », ajoute l’expert.
Louis Vareille, expert du Lab, réuniologue et auteur de « La réunionite ça suffit ! » (éditions Eyrolles, 2022), met en perspective un autre défi culturel : « Beaucoup de salariés et de managers pensent que le progrès est impossible. La réunion est donc subie : ils ne voient pas de changement envisageable. Pourquoi ? La réunion touche à l’intime, c’est une remise en question comportementale qui challenge la capacité à embarquer les autres et à prendre le leadership. » Il ajoute une autre complexité organisationnelle : « Les entreprises étant de plus en plus complexes, le besoin de coordination s’accroît en conséquence. Les réunions s’empilent, sans prendre le temps de réfléchir aux modalités, ni aux objectifs. » Résultat : les agendas sont préemptés par des points, à hue et à dia.
En finir avec la réunionite ou comment trouver le point de bascule
Opter pour analyse systémique… plutôt qu’un patch technique
Quand on décide de s’attaquer à la réunionite, travailler sur le modèle managérial et organisationnel est un prérequis. « Cela ne sert à rien de réduire le nombre de réunions ou d’apposer des règles (durée maximum de 45 minutes, jours sans réunion…), si on ne confronte pas les problèmes sources. Une approche systémique permet de les faire émerger et d’agir en conséquence. L’une d’elles est la redéfinition du rôle managérial afin d’établir une relation saine à la réunion », souligne Philippe Silberzahn. Ceci permet à chaque entreprise de comprendre ce que signifie être manager en son sein et quel est le modèle mental associé. Louis Vareille corrobore ce nécessaire investissement sur le rôle managérial : « C’est lui ou elle qui est le chef d’orchestre de la modélisation des réunions en fonction de l’organisation matricielle et/ou hiérarchique : points projets, projets manager, one-to-one… »
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Insuffler une approche raisonnée des réunions
L’enjeu est de générer une prise de conscience collective des dysfonctionnements, via une phase d’audit approfondi des réunions. « Je commence par observer les pratiques du Comité de Direction (CODIR) et des équipes. En parallèle, une enquête interne est lancée auprès des salariés pour identifier les défaillances qu’ils perçoivent », explique Louis Vareille. En complément, une cartographie des différentes typologies de réunions est établie, permettant de calculer un coût moyen annuel qui met en lumière les enjeux financiers, souvent considérables. Des outils externes existent également pour l’estimer : le Meeting Cost Calculator proposé par la revue Harvard Business Review ou encore le Meeting-Meter, dénommé Picsou, créé par Louis Vareille. L’addition, souvent salée, favorise la mise en place de nouveaux réflexes en termes de pertinence et de frugalité : « Les managers conscientisent, petit à petit, leurs réunions en se posant des questions basiques : est-ce que ce point est nécessaire ? Qui doit être invité ? Quel est l’objectif ? » Cette introspection permet d’extraire l’entreprise de la réunion systématique, pour basculer vers un modèle plus raisonné.
S’appuyer sur la déviance positive
Une fois le diagnostic posé, pour accélérer le changement, il est important de s’appuyer sur des ambassadeurs ou des champions internes. « Il s’agit de personnes que l’on identifie comme compétentes et innovantes pour infuser de nouvelles pratiques », explique Louis Vareille. Le réuniologue s’appuie sur le principe de la déviance positive issu des travaux de Zeitlin, Monique et Jerry Sternin au début des années 1990. C’est une méthode de changement social et comportemental reposant sur le postulat qu’au sein des organisations, certains individus sont capables de résoudre les problèmes de manière plus efficace que leurs pairs, même en disposant des mêmes ressources. Cette approche incite alors à explorer les problèmes et les solutions au niveau communautaire, dans le but d’instaurer une transformation organique pérenne.
Quatre pistes pour instaurer des réunions plus opérantes
Conseil n°1 : gérer le flux d’informations
L’un des enjeux majeurs des organisations est la gestion de l’information qui déferle par différents canaux, et de plus en plus rapidement. « La réunion constitue l’un des moyens de partager l’information. Mais il n’est pas le seul ! Chaque entreprise doit trouver son équilibre en fonction de sa culture et de ses outils », explique Philippe Silberzahn. Pour mieux l’organiser, il faut mettre à plat les différents canaux existants, les objectifs associés et les formats possibles. « L’idée est d’éviter de multiplier les réunions descendantes à 50 pour simplement communiquer. Les newsletters, les e-mails ou les vidéos, des formats dits asynchrones, sont plus adaptés et permettent de désengorger les réunions », décrit Louis Vareille.
Conseil n°2 : prendre le temps de modéliser ses réunions
La matrice « Time Space - Groupware Matrix » proposée dès 1988 par un informaticien suédois, Robert Johansen, pose les principes d’organisation de la collaboration dans une équipe grâce à deux axes :
- Spatial (ordonnées) : même endroit (bureau) / différents endroits (télétravail)
- Temporel (abscisse) : même temps (synchrone) / temps différé (asynchrone)
« Cette grille de lecture, que j’ai découverte pendant le confinement, a été une révélation ! C’est un formidable socle organisationnel pour les managers : il permet d’orchestrer leurs réunions sous plusieurs dimensions en réfléchissant aux différentes configurations possibles et à leur vocation (coordination, informatif, prise de décision…) », décrit Louis Vareille. En outre, cette matrice ouvre des perspectives encore peu exploitées : par exemple, les activités collaboratives asynchrones (envoi de documents de travail commun en amont) qui sont très utiles pour optimiser les temps synchrones et faciliter les prises de décision.
Conseil n°3 : séquencer les différents points d’équipe
Un séquençage de réunions structurées peut considérablement améliorer la collaboration selon Nelly Grellier, partner marketing et responsable du recrutement au sein du cabinet OCTO Technology. Précurseur, la manager a déployé des méthodes de réunions issues de l’agile depuis plus de 10 ans. Son enjeu ? Favoriser la transparence de l’information et la détection des signaux faibles. « Quotidiennement, nous avons un stand-up de 10 minutes, un temps indispensable pour soulever les problématiques, demander de l’aide et exprimer des besoins futurs. En complément, tous les lundis matin, nous travaillons sur nos différents projets en mode Kanban, une approche de gestion de projets visuelle et flexible, sur l’outil Trello. » Des rétrospectives trimestrielles suivent le modèle « keep, drop, start » pour encourager l’amélioration continue, évaluant ce qui a fonctionné, ce qui a échoué et des idées d’amélioration. « L’équipe participe activement en testant de nouvelles approches de réunions et contribue à redéfinir continuellement nos pratiques », insiste Nelly Grellier.
Conseil n°4 : créer des réunions en coresponsabilité
Alain Manoukian, PDG du collectif “Osez” au sein de Croissance Coaching pour l’Entreprise, a été pionnier dans la mise en place des réunions déléguées, un format coopératif proposé par le coach Alain Cardon. Le but ? Encourager la prise de décisions collective et la coresponsabilité, afin de rendre les réunions actives et efficaces. Le principe consiste à déléguer les responsabilités, en les répartissant entre différents rôles dont le nombre et la dénomination varient d’une organisation à une autre. Généralement, on y positionne un facilitateur qui anime la réunion, un cadenceur (timekeeper) qui veille au rythme des discussions, au partage de la parole, et évite les digressions, un pousse-décision qui provoque et enregistre les décisions, puis le coach ou l’observateur qui suit attentivement le déroulement de la réunion, en vue de donner un feedback en fin de séance. « Chaque participant est ainsi encouragé à être acteur. Un retour constructif est systématiquement donné pour s’inscrire collectivement dans une amélioration continue », pose Alain Manoukian. Pour une appropriation pérenne, le coach insiste sur l’exemplarité du dirigeant qui doit ouvrir la voie de la délégation.
Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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