Street sourcing : quand le recrutement descend dans la rue pour dégoter des talents
25 nov. 2024
7min
Rédactrice indépendante.
Recruter dans la rue, une idée farfelue ? Pas si sûr. Le street sourcing séduit de plus en plus les recruteurs en quête de profils divers et, parfois, éloignés de l’emploi. Une méthode surprenante mais exigeante mêlant inclusion, communication RH et stratégie.
Dans un contexte où recruter s’apparente à un défi dans certains secteurs, les approches divergentes sont les bienvenues pour attirer les talents. Parmi les méthodes alternatives, le street sourcing ou recrutement de rue séduit certains recruteurs : il s’agit d’aller à la rencontre de potentiels candidats directement dans les lieux publics. Les centres commerciaux, marchés, événements sportifs ou simplement les trottoirs des grandes villes deviennent alors de précieux terrains de chasse.
On se souvient du très médiatique coup de communication RH mené par Michel et Augustin. En 2015, la marque aux biscuits a envoyé sa responsable des ressources humaines dans le métro parisien pour recruter de nouveaux talents. Armée d’un tablier rouge, elle a interpellé les passagers en leur demandant : « Est-ce que quelqu’un connaît quelqu’un qui cherche un job ? » Cette initiative a permis de recueillir plus de 1 000 candidatures en quelques jours ! Mais au-delà de l’effet d’annonce, est-ce vraiment une approche de recrutement efficace ? Pour quels emplois ? Et comment mener à bien une stratégie de street sourcing ?
Street sourcing : chercher les candidats où ils se trouvent
Le street sourcing ou recrutement urbain repose sur un concept élémentaire, à contre-courant des canaux traditionnels tels que les jobboards ou les cabinets de recrutement. « C’est une méthode simple : aller vers les candidats là où ils se trouvent », présente Céline Magrini, Talent acquisition specialist au sein d’Est Ouvrages. Contrairement aux processus standards, cette approche repose sur l’interpellation directe : pas besoin de CV en poche, tout se joue dans l’échange immédiat, permettant de briser certaines barrières administratives ou psychologiques.
L’objectif est clair : instaurer un contact rapide et humain. « Les recruteurs présentent brièvement les postes disponibles et collectent les informations nécessaires pour recontacter les candidats intéressés », précise Abdel Belmokadem, fondateur de Nes et Cité, spécialisé dans la médiation emploi. Une approche particulièrement pertinente dans certains contextes ou pour répondre à des enjeux spécifiques. « Cela fait 25 ans que je pratique le street sourcing. À l’époque, j’allais chercher les candidats dans les quartiers, souvent face aux violences urbaines, car j’ai la conviction que l’emploi est un vecteur cardinal de paix sociale. Il s’agit notamment de répondre aux besoins des entreprises, en faisant le pont entre les jeunes des quartiers et l’emploi », renchérit-il.
Accessibilité, proximité, adaptabilité… les multiples avantages du street sourcing
Bien mené, le street sourcing peut générer des résultats impressionnants. « Nous avons touché plus de 28 000 personnes au niveau national et remis 10 000 personnes à l’emploi. Pour une petite structure comme la nôtre, c’est une réussite considérable », affirme Abdel Belmokadem. Mais quels sont plus précisément les avantages spécifiques du street sourcing ?
L’accessibilité et la diversité des profils
Cette méthode est particulièrement adaptée pour toucher des candidats dits passifs. « Ce sont des individus éloignés des plateformes de recrutement en ligne, peu familiers des réseaux professionnels ou simplement non inscrits dans une démarche active de recherche d’emploi », décrit Céline Magrini. En allant à la rencontre des candidats directement dans des lieux publics et en discutant avec eux, les recruteurs élargissent leur vivier de talents et accèdent à des profils parfois absents des circuits traditionnels : jeunes sans réseau, personnes peu qualifiées ou en reconversion… « Cela permet d’aller chercher des profils qui n’auraient jamais postulé d’eux-mêmes, dans les quartiers ou les zones rurales par exemple », souligne encore Abdel Belmokadem.
L’inclusion et la réduction des biais
Le street sourcing favorise également l’inclusion en s’affranchissant des critères classiques de sélection tels que le diplôme ou l’expérience, qui restent des outils discriminants. « Le street sourcing dépasse la barrière du CV : c’est une opportunité d’échanger directement avec les candidats, de mieux les connaître avant de formaliser avec eux un processus de candidature, ou pas, en fonction des besoins et des jobs à pourvoir », poursuit Céline Magrini. Ce contact direct permet aussi de mettre en valeur des soft skills ou des motivations que les filtres traditionnels auraient pu négliger.
Le renforcement de la marque employeur et l’engagement local
L’approche proactive humanise la démarche de recrutement et renforce l’image de l’entreprise en s’inscrivant dans une dynamique locale et de proximité sur le territoire. « En s’intégrant dans le tissu local, les entreprises peuvent surtout se faire connaître », ajoute Florent Letourneur, CEO de We Feel Good et expert en marque employeur. En allant directement à la rencontre des communautés locales, les recruteurs établissent des liens de confiance, tout en donnant une image d’ouverture et d’accessibilité à l’entreprise.
La rapidité et la réactivité
Le street sourcing se distingue aussi par son efficacité sur le terrain. « Pour des campagnes de volume ou des postes locaux, c’est une méthode qui peut donner des résultats rapides, à condition d’être bien préparée », précise Céline Magrini. Les recruteurs peuvent interagir directement avec les candidats, leur présenter les offres et même organiser des entretiens improvisés sur place. Cela réduit les délais de recrutement, notamment pour les postes nécessitant peu de qualifications ou urgents à pourvoir.
Une approche innovante dans les pratiques RH
En intégrant cette méthode, les entreprises démontrent leur capacité à s’adapter aux nouvelles réalités du marché de l’emploi. « Le street sourcing fonctionne mieux quand il est intégré dans une campagne hybride, avec des influenceurs locaux ou des outils digitaux », remarque Florent Letourneur. Cette combinaison entre innovation et proximité en fait une méthode intéressante pour les recruteurs qui souhaitent diversifier leurs pratiques, tout en renforçant leur impact au sein du tissu socio-économique local.
Street sourcing : de nécessaires limites à prendre en compte
Malgré ses avantages, la méthode présente toutefois des limites importantes, qui peuvent freiner son efficacité si elle n’est pas utilisée dans des conditions optimales.
Un ROI parfois décevant
L’un des principaux inconvénients du street sourcing est son retour sur investissement souvent limité, notamment pour des postes qualifiés ou nécessitant des compétences spécifiques. « Le coût d’acquisition d’un candidat reste élevé. Ce n’est pas toujours rentable », souligne Céline Magrini. Un avis partagé par Florent Letourneur qui ajoute : « Si vous cherchez des CDI qualifiés, c’est une approche chronophage : il faut interpeller un nombre conséquent de personnes pour identifier les bons profils, ce qui peut être fastidieux. » Cette méthode est donc plus particulièrement efficace pour des postes en volume et accessibles. « Si vous avez un gros volume d’offres dans des secteurs variés ou très accessibles, les probabilités de succès augmentent », précise Céline Magrini.
Un risque de discrimination involontaire
Une autre limite du street sourcing réside dans la perception qu’il peut engendrer. « Cibler certains lieux ou profils peut rapidement être perçu comme de la discrimination, même involontaire », avertit Florent Letourneur. Cette observation met en lumière l’importance d’une démarche inclusive et neutre dans le choix des lieux et des moments pour mener une campagne. Il est essentiel de diversifier les emplacements pour éviter tout sentiment d’exclusion ou de ciblage spécifique. Une sélection de lieux diversifiés et représentatifs de différentes catégories sociales garantit une démarche équitable et respectueuse des principes d’inclusion.
Une méthode exigeante sur le plan logistique et administratif
« Le street sourcing demande une préparation importante et une vraie connaissance du territoire. Sans cela, c’est voué à l’échec », insiste Abdel Belmokadem. En plus des aspects logistiques, les contraintes administratives sont monnaie courante, comme l’obtention d’autorisations pour occuper des espaces publics. Ces démarches, auprès des mairies ou des institutions locales, peuvent compliquer l’organisation. « Les institutions locales peuvent parfois représenter un obstacle, surtout si elles ne soutiennent pas pleinement la démarche. C’est pourquoi il est crucial de construire un réseau local solide, notamment avec des entreprises et des partenaires institutionnels », précise Abdel Belmokadem. Une collaboration étroite avec les acteurs locaux peut non seulement faciliter les autorisations, mais aussi accroître l’efficacité des campagnes de recrutement.
Mode d’emploi : 3 étapes pour déployer une démarche de street sourcing à fort impact
Pour démontrer son efficacité, le street sourcing nécessite une méthodologie rigoureuse, structurée autour de trois étapes clés.
Étape n°1 : définissez bien vos personas pour imaginer la stratégie adéquate
La première étape consiste à identifier clairement les profils recherchés, appelés « personas », en fonction de plusieurs caractéristiques :
- Leur niveau de qualification : candidats peu qualifiés, profils en reconversion…
- Leur localisation habituelle : quartiers résidentiels, zones rurales, lieux de passage…
- Leurs habitudes et comportements : horaires où ils se trouvent sur le terrain ciblé, lieux fréquentés…
« Il faut aussi bien comprendre les besoins du client et adapter son approche en fonction du profil des candidats visés. Les outils comme des flyers, des signalétiques, et un discours clair et percutant sont essentiels pour capter leur attention », explique Céline Magrini. Une connaissance terrain d’autant plus importante pour adapter sa stratégie dans les quartiers ou les zones rurales. « S’appuyer sur des médiateurs locaux est clé pour établir la confiance. Ils connaissent les codes et la culture locale, savent où aller et à quel moment. Sans eux, le street sourcing peut vite échouer », ajoute Abdel Belmokadem.
Étape n°2 : ciblez les lieux et moments stratégiques
Le choix des lieux et des moments est déterminant pour la réussite d’une opération de street sourcing. Les zones à forte affluence, comme les marchés, les événements sportifs ou les centres commerciaux, sont particulièrement propices. « Parfois, nous organisons des job datings directement en pied d’immeuble ou même dans des fermes en milieu rural. Cela nous permet d’atteindre des populations spécifiques tout en établissant une proximité immédiate », rapporte Abdel Belmokadem.
Ces initiatives ne se limitent pas à l’approche directe. Elles peuvent être combinées à des forums emploi pour amplifier la notoriété et l’efficacité des actions. « Nous avons notamment combiné l’approche directe avec un forum emploi organisé au Vélodrome de Marseille », ajoute-t-il. Cette combinaison permet de multiplier les opportunités de rencontrer des candidats, tout en renforçant la visibilité des entreprises impliquées.
Étape n°3 : intégrez le digital pour maximiser l’impact
Pour maximiser l’impact du street sourcing, il est crucial de l’intégrer dans une stratégie hybride combinant approches digitales et terrain. Cette synergie enrichit les interactions initiées sur le terrain et prolonge leur impact. L’utilisation d’outils numériques, comme des applications et des systèmes de gestion de la relation candidat (CRM), facilite la collecte et le suivi des informations des candidats rencontrés. « Nous utilisons des outils numériques pour recueillir les données des candidats sur le terrain. Cela nous permet de rester en contact et de leur proposer des opportunités à long terme. Ce suivi est essentiel pour transformer une rencontre ponctuelle en une relation durable », explique Abdel Belmokadem.
En combinant présence physique et solutions numériques, cette approche phygitale optimise les efforts de recrutement. « Aujourd’hui, le street sourcing ne peut pas fonctionner isolément. Il doit être pensé comme un canal complémentaire, intégré à une campagne globale qui mêle terrain, digital et partenariats locaux », insiste Florent Letourneur. La mutualisation du tracking des données et des outils digitaux permet de faire du street sourcing un levier puissant pour enrichir les viviers de candidats, tout en restant flexible et adaptable aux évolutions du marché de l’emploi.
Ainsi, bien que le street sourcing présente des contraintes, il reste une méthode originale et efficace lorsqu’elle est utilisée de manière ciblée, dans un cadre bien structuré et en synergie avec d’autres outils de recrutement.
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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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