J'ai testé la semaine de 4 jours : voici les 5 leçons que j'en retire
19 déc. 2023
6min
Coach, consultante et formatrice spécialiste de l’équilibre de vie pro/perso
TRIBUNE - Vie pro, vie perso, équilibre, frontières à placer ou à effacer… Comment fait-on, en tant qu’individu ou qu’entreprise, pour garantir le bonheur et la réalisation de soi, au travail comme à la maison ? C’est le questionnement perpétuel de notre experte du Lab, Sandra Fillaudeau, créatrice du podcast Les Équilibristes et de la plateforme de conseil “Conscious Cultures”. Chaque mois, pour Welcome to the Jungle, elle nous livre son regard juste et mesuré sur un épisode de nos vies de travailleur·ses.
La semaine de 4 jours. The 4-day workweek. La semana de cuatro dias. Rares sont les idées vraiment innovantes en matière de ressources humaines qui se sont propagées à travers le globe aussi rapidement. Cela fait trois ans que j’écris pour Welcome to the Jungle, trois ans que mes tribunes sont l’occasion de recherches et de lectures de diverses sources du monde entier. En trois ans, et où que l’on regarde, la semaine de 4 jours est devenue un sujet incontournable, un peu comme une marque ou un bon slogan. Attractif, faisant rêver - moi la première ! - et malgré tout… évasif, difficile à imaginer. Quelque chose de formidable… en tout cas pour les autres.
Pour Clémence, avec qui je collabore chez Welcome to the Jungle, et dont j’adore entendre les récits de ses mercredis off depuis plus de quatre ans maintenant. Pour les équipes de LDLC, dont le fondateur et dirigeant Laurent de la Clergerie est également un des pionniers sur le sujet. Et plus globalement pour toutes ces entreprises, en France comme à l’étranger, qui égrènent les résultats quasi-miraculeux de la semaine de 4 jours : productivité accrue, bien-être des salariés et recrutements en hausse, baisse de l’absentéisme…
Formidable donc, pour les autres. Mais pour moi ? Pour moi qui suis nouvellement indépendante et tente déjà de jongler avec mille activités la semaine ?
Il a fallu attendre l’été 2023, alors que je suis arrivée en vacances dans un état de grande fatigue, pour que j’ose me demander : « Et si c’était possible pour moi aussi ? » Et si j’essayais la semaine de 4 jours ? Et bien je l’ai fait. J’ai testé. Et voici, en 4 mois, ce que j’en ai retiré.
1. La rencontre de l’envie et du bon moment
A l’été 2023, j’avais envie de travailler autrement, et c’était aussi le bon moment pour me poser la question. Cette envie s’était renforcée au fil des mois. Malgré une grande capacité à déconnecter le soir et le weekend, je finissais souvent mes semaines vidée. Mon travail est intellectuel et créatif – j’ai donc besoin de me nourrir pour trouver les idées qui feront mouche dans mes ateliers et conférences pour mes client·es. Et j’ai besoin d’espace pour « digérer » tout ce que je lis, entends, vis, pour que les connexions se fassent. Les études sont unanimes : pour créer, il faut du mouvement, physique et mental. Ce dont j’avais la sensation de manquer, le nez dans le guidon, à délivrer sans arrêt. Des lectures m’avaient aussi beaucoup marquée, Deep Work de Cal Newport en particulier. Je voyais l’allure de mes semaines, et je me disais qu’il y avait sûrement des choses à revoir pour me sanctuariser des temps dédiés à des tâches spécifiques. Un peu l’équivalent du Marie Kondo de l’agenda.
Il y a une phrase que j’entends souvent, et qui me rend très sceptique : « Je me mets à mon compte pour avoir plus de flexibilité ». Oui, le fait d’être à son compte donne plus de souplesse dans l’aménagement de son temps de travail. Mais la quantité de travail nécessaire pour faire décoller une entreprise, la rendre rentable et pouvoir en vivre, est incompressible. Surtout au début, quand on n’a pas encore les moyens de déléguer. Depuis que j’ai lancé mon entreprise, deux questions en particulier guident mes décisions : comment utiliser mon temps au mieux (consciente que c’est ma ressource la plus précieuse et que j’ai des options infinies pour l’utiliser) ? et comment être une bonne boss pour moi-même ? À l’été 2023, mon entreprise était suffisamment solide, pour que je puisse me poser la question de faire autrement avec mon temps de travail.
2. Le mercredi, « jour des enfants »
Le choix du jour s’est fait très simplement. Ce serait le mercredi, pas tellement parce que c’est « le jour des enfants » (oh que cette expression a pu me faire culpabiliser quand je travaillais et que mes enfants étaient tout petits), mais un peu quand même aussi. Un jour pour ne pas mettre le réveil, un jour pour traîner un peu plus longtemps en pyjama, un jour pour ne pas dire « dépêche-toi » !
Un jour “pour moi”, mais pas pour m’occuper à 100 % des enfants, justement…
Je prends donc du temps seule, et en même temps j’offre cette souplesse à ma famille en récupérant mes enfants plus tôt que d’habitude, pour accompagner mon grand à son activité. Par choix, avec joie, et pas parce que « c’est le jour des enfants ». Ça fait une très grande différence dans le ressenti de ces moments ensemble, précieux, que je savoure vraiment.
3. Définir le fait même de “travailler”
Ces mercredis, je leur ai donné un nom : « Buffer Wednesdays », les « mercredis-tampons ». Un jour pour les rendez-vous personnels, pour me former, pour prolonger les déjeuners. Mon cahier des charges initial concernant ce jour était : pas de travail !
Mais c’est quoi le travail en ce qui me concerne ? La formation, c’est un peu à cheval, non ? Et si j’ai une idée de newsletter, d’atelier, j’ai tout intérêt à la cueillir et à m’asseoir pour l’écrire. J’ai la grande chance d’adorer mon travail, et d’aimer travailler. Je me suis donc vite rendue compte que ce cloisonnement ne serait pas pertinent pour un travail comme le mien. Ce n’était pas tant une question de relâcher une contrainte, que je ne vis pas comme telle, mais plutôt de créer de l’espace et des temps dédiés. Le cahier des charges s’est donc affiné concernant mes mercredis : pas de rendez-vous professionnels, ni pour le coaching, ni pour mes clients corporate.
4. La semaine de 4 jours à l’épreuve de la vraie vie
Je me suis replongée dans les notes que j’ai prises au début de mon expérimentation. Les deux premières semaines : tout se passe bien ! Les choses se sont ensuite compliquées… J’ai attrapé la Covid-19 et, pour compenser les jours où j’avais été malade, j’ai dû rattraper la charge de travail sur mes mercredis. Plus tard, une opportunité d’intervention chez un nouveau client s’est présentée sur un mercredi, et j’ai accepté avec enthousiasme.
Créer du mou dans ma semaine, ça ne voulait pas dire la rigidifier autour du mercredi, mais au contraire, faire avec les imprévus, agréables ou un peu moins. Mon podcast s’appelle “Les Équilibristes” avec cette philosophie-là : l’équilibre est une succession de déséquilibres rattrapés. De la même manière, mes “mercredis tampon” sont une possibilité d’employer mon temps comme c’est pertinent, à ce moment-là. Sans contrainte d’agenda et d’horaires. Et être une bonne boss pour moi-même, c’est faire confiance à mon jugement sur le moment.
5. Concentrée, efficace… et à ma place
Les « Buffer Wednesdays » ont créé de l’espace dans ma semaine, et la sacralisation de cet espace. Il y a des questions que je ne me pose plus : les mercredis sont off par défaut, et je me donne la liberté d’employer ce temps en fonction de mes priorités du moment. Personnelles comme professionnelles.
J’ai gagné en efficacité (et j’emploie ce terme presque à contre-cœur, tant l’obsession de l’efficacité est loin de mes intentions dans ce que je partage ici), parce que chaque chose a sa place dédiée : les temps de concentration, les temps off, les temps personnels. La loi de Parkinson se vérifie : dans un temps contraint, les tâches s’accomplissent aussi bien. Je ne me suis jamais sentie aussi concentrée, efficace dans les objectifs que je me fixe. Et à ma juste place : à ma place au travail, à ma place en dehors. Quand ça tangue, quand le plan ne se déroule pas comme prévu, j’ajuste sans perdre le cap. La vie, en somme.
Je pense que vous l’avez deviné mais : mes Buffer Wednesdays continueront en 2024. Et je continuerai à tester des choses : autour de la délégation ou encore de la prise en compte des rythmes physiologiques dans l’organisation de mes journées.
Vous êtes peut-être salarié et lisez tout ceci en vous disant : « Très bien, elle a de la chance de pouvoir se lancer dans cette expérimentation, mais je n’ai pas cette marge de manœuvre, moi ! » Et bien sûr, vous avez raison. Mais après toutes mes lectures et après ces quatre mois, je suis persuadée que chacun peut bénéficier de toutes ces réflexions sur le temps de travail. Déjà, je vous invite à faire plusieurs choses : partager des articles sur la semaine de 4 jours dans votre organisation, évoquer le sujet en équipe, faites naître des discussions ! Et si la semaine de 4 jours n’est vraiment pas au programme, il y a sûrement beaucoup de leviers à explorer : organisation des journées, réduction des réunions, meilleure utilisation des outils de communication, zones d’agenda réservée au “deep work”, respect de la déconnexion… Autant de questions que nous explorons avec mes clients, et qui n’ont qu’un seul objectif dans le fond : répondre à la question : « Comment travailler mieux pour vivre bien ? »
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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