« Jeune salarié, j'ai testé la start-up... et n'y remettrai plus les pieds ! »
27. 11. 2023
5 min.
Face à un contexte économique incertain, et après avoir traversé une période de bouleversements inédite, de plus en plus de jeunes diplômés délaissent les start-ups et leurs montagnes russes pour des entreprises plus « installées ». Meilleur respect de l’équilibre vie pro/vie perso, plus grande stabilité financière, missions plus cadrées… nombreuses sont les raisons invoquées pour justifier cette désaffection envers les start-ups. Louise, Sarah et Simon témoignent.
Louise, 29 ans : « Ce que je faisais n’était jamais assez bien »
« Avant d’être dans l’entreprise où je suis actuellement, j’ai passé un an et demi dans une start-up dans l’immobilier. Ce qui m’a attiré au départ, c’était la possibilité de pouvoir faire mes preuves, de gagner en compétences : j’étais seule sur mon poste, je pouvais gravir les échelons assez rapidement… Mais tout s’est vite effrité. Il y avait une vraie pression sur les objectifs : tous les trois mois, on nous les augmentait, de sorte que même lorsqu’ils étaient atteints, ce n’était jamais assez. Chacun cumulait plusieurs missions, on nous demandait de faire de l’opérationnel, de la stratégie… On nous mettait la barre très haute, mais on ne nous donnait pas les moyens d’atteindre les objectifs fixés. Et quand on faisait remonter les problèmes, plutôt que de nous offrir des solutions concrètes, les managers faisaient peser ces échecs sur nos épaules, en nous demandant si on n’aurait pas pu optimiser telle tâche, ou alors, ils nous proposaient de recruter des stagiaires, que nous n’avions même pas le temps de former…
Au début, je me suis accrochée : j’ai vite eu des responsabilités, je traitais en direct avec le comité exécutif et c’était assez grisant. Mais rapidement, je me suis rendu compte que ce que je faisais n’était jamais assez bien. Nous subissions une pression constante, avec un salaire qui ne suivait pas forcément. Je n’arrivais plus à suivre psychologiquement, je m’étais énormément impliquée, et même si j’avais de belles réussites à mon actif, j’étais perpétuellement insatisfaite. J’ai fini par me demander quand cela allait s’arrêter.
Lors de mon dernier entretien trimestriel, on m’a reproché mon « manque de leadership ». On m’a fait comprendre que j’étais trop dans l’écoute, que « je ne posais pas assez mes couilles sur la table » et que je devrais prendre exemple sur ma hiérarchie – presque exclusivement masculine. Du coup, quand j’ai décidé de chercher ailleurs, je me suis spontanément tournée vers des entreprises qui avaient une bonne réputation, qui étaient établies depuis plusieurs dizaines d’années. Cette expérience m’a vaccinée des start-ups.
Avec le recul, je sais que j’y ai beaucoup appris, j’ai pu viser un poste que je n’aurais probablement pas eu ailleurs, mais le prix à payer était trop élevé. Aujourd’hui, l’entreprise dans laquelle je suis est plus hiérarchisée, le management est à l’écoute. Si je dis que je suis trop sous l’eau, on va m’écouter, on ne va pas me demander : « Est-ce que tu sais vraiment gérer ton agenda ? »
Le salaire est un peu plus élevé et si je travaille plus que mes heures, c’est toujours compensé. Il y a beaucoup plus de reconnaissance que dans mon entreprise précédente. La seule chose qui me manque, ce sont peut-être les rencontres : on s’est beaucoup serré les coudes lors de cette expérience en start-up, donc ça crée de belles amitiés… et les collègues me manquent un peu. »
Sarah, 34 ans : « Avant j’étais habituée à être constamment dans l‘urgence, là j’ai le temps de réfléchir »
« Après un début de carrière dans le marketing digital, j’ai récemment repris des études pour devenir data analyst. À la suite de ma formation, j’ai dû chercher une alternance, et évidemment beaucoup d’offres étaient en start-up. C’est là que je me suis rendu compte que celles-ci ne m’attiraient plus du tout. Dans ma précédente vie professionnelle, j’ai travaillé cinq ans dans une agence au fonctionnement start-up. À l’époque, je travaillais beaucoup, personne ne partait avant 19 h et il n’était pas rare de s’y remettre le weekend. S’il m’arrivait de partir à 18h, je devais me reconnecter après pour finir mon boulot. J’avais beau adorer ce que je faisais, la cadence était intenable et bien sûr, lorsque j’osais demander une augmentation, on me disait que les objectifs n’étaient pas atteints, même si je les avais largement dépassés ! Et encore, quand on était payé en temps et en heure, ce qui est assez compliqué sans service RH à proprement parler !
La raison principale pour laquelle je n’ai pas orienté mes recherches d’alternance en start-up, c’était pour préserver mon équilibre vie professionnelle / vie privée. Pour moi, il n’était pas envisageable de rentrer après 20h, ou de travailler pendant mes jours off. Sur le plan économique aussi, avec un crédit immobilier sur le dos, je ne pouvais plus me permettre de ne pas être payée à temps. Sans compter que les salaires sont souvent un peu en deçà du marché, et qu’il est rare d’avoir les avantages des grands groupes, comme un CE ou des RTT. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises sont fragilisées, or, si je travaille dans une structure qui vient à fermer, je ne perds pas seulement mon emploi, je ne valide pas mon diplôme non plus.
Enfin, ce que je reproche aussi aux start-ups : les périmètres des postes sont très larges, et quand on est junior, on n’a pas nécessairement l’expérience requise pour gérer des tâches aussi variées. Lors de mes recherches d’alternance, j’avais peur de me retrouver seule sur un poste, dans un métier assez nouveau pour moi et assez technique, et de ne pas avoir le bagage nécessaire, ou de n’avoir personne pour me former. J’ai finalement trouvé un poste dans une grande entreprise du CAC 40, et j’en suis ravie. Mais aussi, avec l’âge, on se rend compte que terminer tous les soirs tard pour se rendre à un apéro offert par son manager, ne nous intéresse plus tant que ça. Dans mon entreprise actuelle, il y a des petits événements en interne, mais c’est une fois par mois, et c’est ok de ne pas y aller. Là où j’étais avant c’était un peu mal vu de ne pas venir, ça faisait celle qui ne voulait pas s’intégrer. Aujourd’hui, tant que le travail est fait, on me fait confiance et ça suffit. Et surtout, j’ai le temps de faire mon travail. Avant j’étais habituée à être constamment dans l‘urgence, là j’ai le temps de réfléchir, de me poser sur un sujet… et de vraiment travailler ! »
Simon, 31 ans : « Je me suis rendu compte que mon travail ne pourrait jamais être reconnu à sa juste valeur »
« Au début de mes études, j’ai commencé comme chef de projet marketing dans une petite agence média parisienne. Sur le papier, le poste m’offrait beaucoup de responsabilités, l’entreprise avait une image assez cool, avec beaucoup de jeunes, pas mal d’événements internes organisés… Sauf que très vite, je me suis retrouvé dans un engrenage où mes missions dépassaient largement ce qu’une seule personne pouvait réaliser en une journée. Je courais sans cesse après le temps, et je cumulais les heures supplémentaires. Sous couvert de projets exaltants, je consacrais toute ma vie à mon travail. Très souvent, l’équipe partait boire des verres après le boulot, et comme nous finissions déjà très tard, je rentrais chez moi la nuit tombée. J’étais épuisé, je n’avais plus de temps pour voir mes amis ou ma famille. Quand j’ai commencé à vouloir mettre un peu de distance, on m’a reproché de ne pas être « corporate ». Le plus difficile, c’était que le job me plaisait, j’apprenais énormément, et donc j’avais d’autant plus de mal à arrêter la machine.
Quand on m’a finalement nommé manager d’une équipe de cinq personnes, j’ai pris de la hauteur et je me suis dit que c’était fini. Je n’avais plus les ressources physiques et mentales pour former de nouvelles personnes en plus de mon travail. J’ai mis du temps à partir, et quand cela a été acté, ce fut assez violent. On a considéré que j’avais « trahi » l’entreprise, on m’a coupé tous mes accès du jour au lendemain. Paradoxalement, cela m’a aidé à faire mon deuil : je me suis rendu compte que mon travail ne pourrait jamais être reconnu à sa juste valeur, quel que soit le temps que j’y consacrerai. À la suite de cette expérience, j’ai préféré orienter mes recherches sur des boîtes plus structurées et donc plus anciennes. Je voulais retrouver une forme de stabilité, avec des horaires respectés, des tickets resto, un CE, des RH à aller voir en cas de problème. Aujourd’hui, je ne regrette pas mon expérience en start-up, car j’y ai gagné en compétences, mais pour rien au monde je n’y retournerai. Je valorise trop ma vie personnelle pour la mettre entre parenthèses comme je l’ai fait ces années-là. J’ai aussi remis mon travail à sa juste place : je travaille pour vivre, pas l’inverse. »
Article édité par Romane Ganneval ; Photo par Thomas Decamps.
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