Grégoire Dossier : « Pour ma génération, l’orientation est un processus infini »
18. 3. 2022
6 min.
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste chez Welcome to the Jungle
« Comment savoir ce que l’on veut faire dans la vie ? » ; « Les études servent-elles encore à quelque chose ? » C’est ce que questionne Grégoire Dossier, 23 ans, diplômé en master de droit des sociétés et youtubeur, sur sa chaîne dépassant les 100 000 abonné·e·s. Depuis les bancs de la fac, il met en scène son parcours, parle des études, des diplômes et de la vie active à un public étudiant, toujours en quête de shots de motivations et de conseils pour surmonter l’angoisse de l’entrée dans le monde du travail et la vie d’adulte. Rencontre.
Tu as suivi des études de droit, mais tu as finalement décidé de devenir youtubeur. Pourquoi ce revirement en cours de route ?
J’étais un étudiant qui n’aimait pas trop ce qu’il faisait et j’ai trouvé ma passion sur YouTube. Au départ, je voulais être avocat en droit privé, j’ai fait des stages en ce sens. Ce n’était pas une passion, mais un travail, contrairement à YouTube où j’ai démarré en 2019. J’envisageais de porter une double casquette d’avocat le jour, de youtubeur le soir et de montrer éventuellement le quotidien de ce métier. Mais il était compliqué de concilier le métier d’avocat avec une autre activité. Et finalement, ma chaîne s’est bien développée et au bout d’un an j’ai réussi à en vivre.
Proposer des vidéos de conseils à des étudiants, alors que tu étais toi-même sur les bancs de l’Université : as-tu douté de ta légitimité avant de te lancer ?
J’ai toujours eu le rôle de confident de mon groupe d’amis. Ce qui a vraiment changé, c’est que maintenant je le fais devant une caméra et des milliers de personnes. Mais s’il ne m’a fallu qu’une semaine pour acheter le matériel, un micro, prévoir le script et partager ma première vidéo, j’ai mis trois mois à me convaincre que j’étais capable de le faire. Au début, j’avais tendance à anticiper les problèmes : j’avais peur que ça puisse avoir un impact négatif sur mes études… J’appréhendais aussi la critique. Je me disais qu’on n’allait peut-être pas apprécier d’avoir un youtubeur dans la fac, car le droit est un milieu plutôt traditionnel. En évacuant un par un ces questionnements, j’ai réussi à me convaincre de foncer.
Compte tenu de ton activité actuelle, considères-tu que tes cinq ans d’études n’ont servi à rien, comme tu t’interroges dans une de tes vidéos ?
En ce moment j’ai l’impression qu’on tape beaucoup sur les études. On peut penser que s’investir pour valider un diplôme et changer complètement de domaine après rime avec perte de temps. J’explique le contraire. Certes, ma vie professionnelle n’a pas changé grâce à ce que j’ai appris à la fac. Les études sont limitées dans le sens où elles ne donnent pas accès à toutes les opportunités professionnelles, mais forment à des compétences dans un domaine précis. Je considère que c’est à nous de compléter notre éducation. Même si mon métier n’a plus grand-chose à voir avec le droit, je ne renie pas du tout mes études et elles vont même me servir. Je vais créer ma société dans quelques mois, et je suis très content d’avoir fait du droit pour comprendre ce monde. En réalité, quelqu’un qui a fait des études, ça se remarque dans la manière de structurer ses pensées, d’écrire, de s’exprimer.
Penses-tu pour autant, qu’à diplôme égal, toutes les études se valent ?
Dans une FAQ, on m’a presque posé la même question : « est-ce que tu penses que les diplômes auront toujours de la valeur dans quelques années ? » La théorie veut que plus il y a d’étudiants qui ont un diplôme, moins celui-ci a de valeur. Mais comme on ne nous donne pas vraiment d’indicateur, j’ai essayé de créer mes propres critères en réfléchissant à ce qui faisait la valeur d’un diplôme. J’en retiens trois : est-ce que l’école a du prestige ? Est-ce qu’elle bénéficie d’un réseau qu’elle partage avec ses étudiants ? Et enfin, est-ce que ce diplôme offre une compétence ? Si on peut accéder à l’un ou l’ensemble de ces critères en dehors du champ académique, en apprenant en autodidacte sur Internet par exemple, alors oui, le diplôme perd de sa valeur.
Tu as des exemples de compétences apprises en dehors du champ académique et qui t’ont été bénéfiques au niveau pro ?
Lors de mon stage de M2, ma mission était d’écrire des articles juridiques. Mais mon tuteur s’est rendu compte que je savais faire du montage vidéo et il avait le projet d’interviewer des professionnels du droit. À partir de ce moment-là j’étais devenu leur monteur vidéo slash créateur de contenu, ce qui était beaucoup plus rare à trouver pour l’entreprise. Je n’ai pas acquis ces compétences à la fac, mais en regardant des tutos. Sur YouTube comme dans beaucoup de milieux créatifs, il faut être autodidacte. Les diplômes sont entre guillemets validés par les paliers que tu atteints. Quand tu dépasses un certain seuil d’abonnés, ça signifie que tu maîtrises ton montage, ton storytelling. Et pour préparer mes vidéos je me documente dans des disciplines qui me sont inconnues : c’est un apprentissage continu.
Justement tu t’intéresses à de nombreuses disciplines comme la psychologie humaine, et tu abordes souvent la productivité et la motivation dans tes vidéos : est-ce que c’est parce que tu penses qu’aujourd’hui les jeunes risquent de s’ennuyer dans leur travail ?
Oui, mais ça commence même plus tôt. Dès les études, beaucoup d’étudiants ne trouvent pas de sens à ce qu’ils font. C’était mon cas. Ce que je recommande pour celles et ceux qui peuvent le faire, c’est de redonner du sens à leurs journées, en menant un projet qui change de la routine. Et même si on bosse 8h par jour, il suffit parfois d’une seule heure pour modifier la dynamique de toute une journée.
Et avoir un nouvel objectif, c’est ce qui permet de s’épanouir davantage sur le long terme ?
J’ai appris avec la psychologie que les êtres humains ont besoin de cohérence. Ce supplément d’énergie qu’on peut ressentir après avoir mené une action nous permet de rester dans une bonne dynamique, parce qu’on ressent les bienfaits de celle-ci. Pareil lorsqu’on parle de cercle vicieux : si chaque jour je ne fais rien en rentrant du travail, de manière cohérente, je continuerai à ne rien faire. J’incite donc les gens à créer un petit momentum, c’est-à-dire un petit pas en avant, dans le domaine qu’ils trouvent important : le sport, le travail, la vie sociale… Par exemple, si on subit son réveil tous les matins en arrivant au boulot fatigué, et qu’un jour on arrive à mettre en place une mini routine matinale en se levant plus tôt, à l’apprécier et arriver au boulot en pleine forme, c’est une petite victoire. Si on est habitué à finir tard et lessivé son travail, lorsqu’on arrive enfin à terminer plus tôt sa journée et profiter de sa soirée, c’est une petite victoire. Ces évènements positifs motivent à en obtenir d’autres.
Ce que je fais sur Youtube, c’est simplement de planter des graines de curiosité, et les personnes décident d’en faire ce qu’elles veulent. Mais en général, les personnes qui optent pour tenter de changer de dynamique constatent des résultats positifs apparaître dans leur vie.
Tu es suivi par plus de 100 000 abonnés sur ta chaîne. La plupart sont étudiants ou jeunes diplômés. Comment abordent-ils la question de la transition des études au travail ?
La principale inquiétude de ma communauté, c’est la crainte de ne pas trouver sa place ou de faire quelque chose qui ne leur plaît pas. Et comme on est cernés de messages qui manquent d’optimisme…ça n’aide pas. Le bruit extérieur nous donne l’impression que c’est fini, qu’il n’y aura jamais assez de place pour nous et que de toute façon, il y a trop de concurrence. Mes grands-parents qui regardent beaucoup l’actualité, pensaient par exemple que je n’allais pas trouver de travail à la fin de mes études. Ils avaient tellement entendu d’informations négatives à ce sujet qu’eux-mêmes étaient devenus pessimistes. Moi je pense qu’il faut se recentrer sur ses compétences, la valeur qu’on peut apporter à une boîte ou à soi-même et éliminer ce bruit en essayant si possible de trouver des messages optimistes.
Une autre raison pour ne pas angoisser, c’est de se dire que pour notre génération, l’orientation est un processus dynamique. À l’époque de mes grands-parents, ça devait être rassurant de savoir que toute personne qui cherchait du travail pouvait en obtenir. Mais faire le même métier pendant 40 ans ne m’a jamais fait rêver. Alors oui, je pense qu’on peut avoir le sentiment d’être un peu perdu, mais en même temps, nous occuperons des métiers amenés à évoluer.
« Comment savoir ce que l’on veut faire dans la vie ? », c’est le titre de l’une de tes vidéos. As-tu trouvé la réponse ?
On entend souvent l’expression « trouver sa voie ». Personnellement, je ne l’ai jamais trouvée. En revanche, j’ai rencontré des personnes pour qui c’était le cas. Mon conseil est donc de chercher des modèles qui nous inspirent plutôt que de restreindre son champ à un secteur dans lequel on a envie de travailler. Pour prendre mon cas, les sportifs et les youtubeurs étaient les seuls qui m’inspiraient vraiment, mais j’étais plus doué pour les vidéos que pour le foot. Ensuite, j’ai adapté mon projet à ma personnalité et à mes priorités, qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde et j’ai créé ma propre voie.
Une récente étude démontre que la jeune génération est aussi paradoxalement plus exigeante et priorise dans le travail, le salaire, le sens et le temps pour soi. Penses-tu que les métiers doivent s’adapter ?
Je pense que le modèle du salariat, qui a longtemps été la référence, est moins plébiscité aujourd’hui. Mais je crois que c’est une erreur de penser que tout le monde peut être indépendant. Un équilibre entre les deux serait plus intéressant. Avec d’un côté des personnes qui, sans passer par la case diplôme, créeraient elles-mêmes leurs valeurs en devenant indépendants et de l’autre, des étudiants débarrassés de l’anxiété liée à la concurrence des études supérieures et que les facs garderaient actifs dans leur apprentissage.
Édité par Sami Prieto et Romane Ganneval
Photographie par Thomas Decamps
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