« Oui, trouver sa voie est une science ! » S. Rochat, chercheuse en psychologie
06. 9. 2022
5 min.
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste indépendante
Vous êtes-vous déjà retrouvé perdu quand il s’agissait de choisir une filière, un métier ou une formation ? Avez-vous déjà eu l’impression que vous vous étiez trompé de voie, alors que tout le monde autour de vous semblait savoir exactement vers quelle carrière se diriger ? Et pourtant, « bien s’orienter » n’est pas une compétence innée, réservée uniquement à ceux qui auraient eu la chance d’avoir été visités par la bonne fée « orientation » au berceau. À vrai dire, l’orientation serait même une science, à laquelle il est possible de s’initier tout au long de sa vie. C’est ce que nous explique Shékina Rochat, praticienne et chercheuse en psychologie du conseil et de l’orientation à l’Université de Lausanne.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi l’orientation est-elle une science ?
Nous pouvons parler de science de l’orientation dans le sens où il s’agit d’une démarche, qui repose sur plusieurs grandes étapes. Bien s’orienter est donné à tout le monde, à condition de suivre ces étapes, et de savoir mobiliser les différentes compétences que requiert chacune d’entre elles.
Quelles sont ces étapes, et à quelles compétences principales font-elles appel ?
Dans le domaine de l’orientation, on identifie cinq stades :
D’abord, se connaître soi-même, savoir ce dont on a envie ou non. Cela nécessite, par exemple, des qualités d’introspection et d’intelligence émotionnelle.
Ensuite, explorer et connaître le marché du travail, pour être à même d’identifier les bonnes opportunités. Ici, il s’agit notamment de faire appel à notre curiosité, à notre capacité à tirer parti des occasions quand elles se présentent.
Une fois ces opportunités repérées, il faut pouvoir prendre une décision, et donc être à même d’analyser et de délibérer.
Ensuite, intervient ce qu’on appelle la « mise en place », c’est-à-dire établir quels sont les différentes étapes à mettre en place pour pouvoir atteindre notre objectif. Si l’on veut se réorienter en suivant une nouvelle formation par exemple, il va falloir déterminer quel budget nécessite cette formation, quand s’inscrire… Cette étape demande de la persévérance et de savoir mobiliser ses ressources.
Enfin, une fois l’objectif atteint, reste la phase de « monitoring », où il s’agit de rester attentifs aux changements qui pourraient survenir dans notre for intérieur ou au niveau de notre environnement professionnel. Cela permet de savoir s’il est nécessaire d’ajuster notre plan ou de le modifier. Il faut donc savoir prêter attention aux changements, et faire preuve d’une bonne capacité d’adaptation.
Certaines compétences semblent plus difficiles à acquérir que d’autres, comme l’intelligence émotionnelle par exemple. Avez-vous des astuces dans ce cas pour apprendre à mieux se connaître et identifier ses aspirations ?
Ce que l’on recommande fréquemment pour augmenter la connaissance de soi et développer ses capacités d’introspection est de réfléchir à sa personnalité, ses intérêts, ses valeurs par exemple, au moyen de tests ou d’exercices. Cela permet de mieux comprendre la façon dont on fonctionne, est-ce que l’on est plutôt introverti ou extraverti, etc.
Ensuite, pour développer son intelligence émotionnelle, c’est-à-dire apprendre à identifier ses émotions, on peut s’exercer en prenant une liste d’émotions et en se demandant à chaque fois « qu’est-ce que je ressens à cet instant ? », en mettant des mots précis : est-ce de la peur ou de l’appréhension ? De l’enthousiasme ou de la joie ? Cela permet de mieux comprendre ce qui nous anime, nous effraie… Et, in fine, de savoir quel type de travail conviendrait le mieux à notre personnalité.
Est-ce que toutes les compétences peuvent s’acquérir ? Est-il possible d’apprendre à tirer parti des imprévus, à faire preuve d’une meilleure capacité d’adaptation ?
Bien sûr ! À vrai dire, souvent nous possédons déjà en chacun de nous les compétences nécessaires, mais nous ne pensons pas à les mettre au service de notre orientation. Par exemple, beaucoup de gens ont l’impression que tout leur parcours s’est fait au hasard, par chance… Mais souvent, on se rend compte que c’est eux qui ont su tirer parti des situations. Quelqu’un qui dirait « j’ai voulu devenir menuisier parce que j’ai rencontré un artisan par hasard à une soirée », d’accord, mais comment est-il arrivé à cette soirée ? Et comment en sont-ils venus à discuter de menuiserie ? Et suite à cette soirée, qu’est-ce qu’il a fait, s’est-il renseigné sur les différentes formations ?
Souvent, en creusant, la personne se rend compte qu’elle a mis en place différentes actions qui lui ont permis d’identifier qu’il y avait des opportunités professionnelles et qu’elle pouvait en bénéficier.
Comment expliquer que certaines personnes ont plus de facilité que d’autres à mobiliser leurs compétences pour bien s’orienter ?
Il y a effectivement des disparités entre les personnes. L’environnement familial joue, mais aussi l’environnement socio-culturel. Si l’on vient d’une famille qui a favorisé l’exploration de notre individualité par exemple, il y a des chances qu’on ait pu développer une meilleure connaissance de soi que d’autres personnes, chez qui le dialogue était proscrit. De la même façon, les différentes expériences auxquelles nous avons été exposé tout au long de notre vie vont jouer : est-ce qu’on a eu des loisirs, est-ce qu’on a beaucoup été au contact des autres, est-ce qu’on a été confrontés à différents métiers….
L’un des obstacles les plus difficiles à surmonter quand il s’agit de bien s’orienter est de réussir à prendre la « bonne décision ». Comment être certain qu’on ne se trompe pas ?
On parle d’indécision chronique pour parler de gens qui n’arrivent pas à prendre de décisions, non seulement dans leur environnement professionnel, mais aussi à titre personnel. Souvent dans ces cas-là, on constate une forte anxiété liée à la peur de faire les « mauvais choix », et des conséquences que cela pourrait avoir. Ce sont aussi la plupart du temps des personnes qui ont une faible estime d’elles-mêmes.
Quand on fait face à ce type de difficultés, nous essayons de pousser les gens à réfléchir plus loin que leur peur, en leur demandant : « Qu’est ce qui se passerait dans le pire des cas, si vous décidiez de faire ça ? Et dans ce cas, que feriez-vous ? » Cela permet aux gens de mettre des mots sur leurs craintes, et de s’apercevoir qu’en fait, si cette situation arrivait, ils sauraient quoi faire. Ils prennent conscience que leur scénario catastrophe n’est souvent pas si catastrophique que ça, et qu’il y a toujours des solutions.
Quels sont les principaux critères à garder en tête pour apprendre à bien s’orienter ?
L’orientation concerne à la fois le choix d’une formation, d’un métier ou d’un poste, et il faut bien savoir faire la différence entre chacun. Par exemple, au moment de choisir sa formation, souvent on va se baser sur nos intérêts scolaires, nos compétences… Exemple : j’aime bien la chimie, je suis fort en maths, je vais tenter médecine.
Ensuite, on va devoir choisir un métier, et là, cela va plutôt faire appel à notre personnalité : si on est introverti, qu’on aime bien avoir sa routine, on va faire de la recherche en médecine plutôt que de la pratique par exemple.
Plus tard, interviendra le choix du poste, et dans ce cas il va falloir prendre en compte nos valeurs : si la valeur qui compte le plus pour nous est d’aider les autres et que l’on se retrouve à faire de la recherche en médecine pour une grosse entreprise pharmaceutique, on risque de se sentir en décalage.
Dans la mesure du possible, il s’agit vraiment de garder une cohérence entre ses intérêts, sa personnalité, et ses valeurs tout au long de notre vie au moment de faire ses choix.
On entend beaucoup parler de « life design » dans le domaine de l’orientation, de quoi s’agit-il exactement ?
C’est un modèle théorique qui a beaucoup été promu avec l’évolution des technologies : le monde change rapidement, donc il faut savoir s’adapter. L’idée de base du « life design », c’est que la carrière et la vie personnelle sont intrinsèquement liées, et que l’orientation ne va pas prendre en compte uniquement l’aspiration professionnelle, mais toutes les sphères de notre vie. C’est une trajectoire que l’on façonne au fil de notre existence, on ne se lance pas dans une voie toute tracée pour toute la vie, il s’agit de réfléchir sans cesse sur ce qu’on a envie de faire et où est-ce qu’on va.
Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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