Petit éloge des transitions professionnelles qui prennent leur temps
14. 12. 2021
6 min.
Photographe chez Welcome to the Jungle
Quand l’envie nous prend de quitter notre entreprise, chacun a sa propre stratégie. Il y a ceux qui, d’un coup se lèvent de leur bureau et partent en claquant la porte, et ceux qui passent des semaines, des mois, des années à imaginer une transition sans jamais la mettre en œuvre, et qui culpabilisent… Un entre-deux existe aussi. Certains s’offrent le temps de sonder le marché et regardent les possibilités alors qu’ils sont en poste. Ils s’interrogent… Avant le grand saut ! Je suis plutôt de celles qui prônent les transitions professionnelles qui prennent leur temps. Car même si le monde tourne vite, le changement, lui, va à son propre rythme. Petit éloge des transitions tout en douceur…
S’éviter les faux pas
Pression au travail, relation pesante avec un manager ou avec un collègue, ennui, manque d’évolution… Nombreuses sont les raisons qui nous donnent envie de prendre la poudre d’escampette. On ne se sent plus à sa place alors on veut bouger, et c’est plutôt sain ! Ces difficultés que nous rencontrons nous font prendre conscience d’un besoin de réajustement. Mais elles peuvent aussi nous aveugler un peu. Parfois, on ne voit plus que les aspects négatifs de notre travail, ce qui accentue clairement l’envie de partir, mais peut aussi nous conduire sur une mauvaise piste.
Parce qu’on est souvent tenté de prendre le contrepied de ce qui ne nous convient plus. « Désormais, je veux un boss sympa », ou bien « je veux plus de concret, j’ai envie d’exercer un métier manuel ». Alors on change de métier, mais c’est un peu pour prendre la fuite. Parfois on est déçu. Vous trouverez peut-être un nouveau boss sympa, ou un métier plus artisanal, mais quid des conditions de travail, du lieu d’exercice, du rythme, des horaires, du salaire, de l’isolement, de la précarité, de la pénibilité… ? Le nouveau job arrive avec son lot de désagréments qui nous pousse parfois même à rétropédaler. Car oui, changer de travail n’est pas toujours une solution à nos problèmes. Alors pour éviter de bouger pour les mauvaises raisons, mieux vaut prendre le temps de faire le bilan !
Avant de devenir problématique, ce travail dans lequel vous êtes aujourd’hui vous a semblé une bonne option. Qu’est-ce qui fait que cela ne convient plus aujourd’hui ? Parfois, nos envies et nos priorités ont changé, d’autres fois, c’est le contexte qui a évolué… Il faut faire le deuil d’une étape et prendre un nouveau virage, se questionner sur ce qu’on ne veut plus et ce à quoi on aspire. Un manque d’autonomie peut nous pousser à quitter le salariat, mais l’entrepreneuriat est-il la seule solution à ce manque ? Changer de job, oui, mais pour quoi ? Que voulez-vous obtenir ou améliorer ? Quelle est la finalité de cette transition ? Trouver toutes les réponses à ces questions demande aussi du temps !
Tester, imaginer, se projeter, avant de changer
Le véritable changement commence au moment-même où vous commencez à envisager autre chose. Ce que le monde nomme reconversion n’est souvent que la partie visible d’une évolution qui a eu lieu en profondeur. Je le vois tous les jours dans les accompagnements que je mène. Se renseigner sur les métiers, entamer un bilan de compétences, rencontrer des professionnels que vous admirez, contacter un coach, regarder les offres, c’est déjà une évolution. Même si la transition ne se concrétise que six mois, un an ou trois ans plus tard ! On fait des scénarios, on se teste, on ouvre des possibilités. Le temps que l’on s’accorde permet d’explorer les options.
Certains se lancent partiellement, bénévolement ou en freelance dans un domaine qui les intéresse. L’occasion d’expérimenter, en toute sécurité, une nouvelle voie professionnelle. On parle de “job crafting” quand les ajustements se passent tout doucement, en interne d’une entreprise par exemple. Sur un poste donné, on prend le temps d’adapter en douceur ses tâches et missions pour mieux les faire correspondre à nos compétences et appétences. Le “slashing”, c’est-à-dire le fait de mener plusieurs activités de front, est aussi à la mode. Mais le cumul des occupations peut aussi être temporaire, le temps de se lancer dans quelque chose de nouveau et de quitter tout doucement un job qui appartiendra bientôt au passé.
Évoluer en douceur, c’est aussi se laisser le temps d’apprivoiser notre identité professionnelle à venir. Car il nous faut de temps pour s’imaginer autre, nous défaire d’une certaine image que l’on a de nous-même et se projeter ailleurs. Dans mon cas, avant de me consacrer au coaching, j’étais responsable RH au sein d’une entreprise internationale. Il m’a fallu m’habituer à cette nouvelle identité d’accompagnante tout en faisant le deuil d’une certaine partie de mon identité professionnelle, celle d’une femme qui évoluait au sein de structures internationales en mutations permanentes… Et alors que ma transition n’était pas encore entamée, ma mission d’écoutante et de psychologue bénévole au sein d’une association m’a beaucoup aidée à me projeter dans cette nouvelle voie.
De même, le cadre qui envisage un métier plus manuel peut faire des stages durant ses congés ; le directeur artistique peut prendre quelques clients en freelance. On se confronte à la réalité, on chemine, on rencontre des personnes auxquelles on s’identifie (ou pas d’ailleurs), on apprend de leur expérience, on se cherche… Un véritable tremplin pour se lancer ! Le temps que l’on s’accorde permet aussi aux opportunités d’arriver, à leur rythme !
Des changements tout en lenteur, pour s’inscrire dans la durée
Par peur de rester bloqués, on peut être tentés de valoriser les décisions prises sur un coup de tête, « J’en ai marre, je m’en vais ! » On considère souvent que se bouger est une bien meilleure attitude que de rester immobile à se plaindre ou de s’éterniser dans un chômage qui fait peur… Les angoisses qu’éveillent en nous les transitions peuvent nous mettre une certaine pression, nous poussant à aller vite comme pour arracher un pansement, ou bien à accepter une option peu satisfaisante par crainte qu’il n’y ait rien d’autre… Les peurs sont bien normales à ce stade. Mais se mettre en mouvement en douceur, c’est se laisser le temps de les faire tomber une à une…
Je suis souvent surprise de voir que les personnes que j’accompagne sont parfois gênées d’envisager une solution intermédiaire, en attendant un changement professionnel plus radical. C’est le choix qu’a fait Ariane (le prénom a été changé), qui a accepté que son entreprise la mute en province, se disant que ce serait une première étape pour ensuite envisager un changement d’entreprise, une fois installée dans la nouvelle région. Pourquoi pas ! Les transitions par étapes peuvent aussi très bien fonctionner ! Une transition « vite faite » n’est pas toujours « bien faite ». Au contraire : que craignons-nous quand on est aussi pressé ? La question mérite d’être posée.
Les changements dans nos vies nous permettent avant tout de rééquilibrer quelque chose qui ne l’est plus. Et nous ne sommes pas toujours les seuls impliqués par ces transformations. Conjoint, enfants, entourage, tout le système va devoir retrouver une homéostasie. Une déstabilisation parfois difficile à encaisser ! Bien mûri, le projet n’en sera que plus solide. C’est d’ailleurs souvent pour cela que l’on ressent le besoin de se faire accompagner dans ces tournants. « La tendance la plus profonde de toute activité humaine est la marche vers l’équilibre », rappelle le biologiste et psychologue Jean Piaget. Ce n’est pas le changement pour le changement qu’il nous faut viser, mais un ajustement pour une croissance, pour un mieux être. Bref, une évolution intégrée dans une dynamique de processus de vie.
Une mise en mouvement, lentement, mais sûrement !
« Mon problème, c’est de me lancer », m’a confié un jour une personne que j’accompagnais. Le désir de se mettre en mouvement est grand, mais nous nous freinons. Et c’est bien normal, car parfois, si l’on ne bouge pas, c’est parce qu’on n’est pas prêt. Des objectifs trop ambitieux nous poussent à la procrastination. Il se crée alors un fossé entre notre intention et ce qui rend l’action possible : le fameux « intention-action gap ». Le calcul bénéfice-risque nous bloque. La vraie difficulté, c’est de gérer le rapport entre notre besoin de mouvement pour croître, et notre besoin de sécurité. Trop de challenge, et l’on est tétanisé. Trop de routine et l’on dépérit d’ennui. Identifier les craintes qui pèsent sur nous et les risques qu’une mobilité implique est une étape indispensable quand on envisage un tournant de carrière en toute confiance…
Vous manquez justement un peu de confiance pour vous lancer ? L’estime de soi se nourrit de l’action, comme le rappelle souvent le psychologue Christophe André. Alors pourquoi ne pas y aller progressivement ? Une recherche sur Internet, une discussion, une consultation de son solde CPF… Autant de petits pas qui vous mettent en mouvement, et vous apportent la satisfaction de voir que ça avance… « Le secret de l’action… C’est de s’y mettre », plaisantait le philosophe Alain. Tester, explorer, échanger, ajuster son projet, le plus important est de se mettre en marche, doucement, mais sûrement, vers son objectif de changement. Vous l’aurez compris, je ne fais pas ici l’éloge de l’immobilisme ! Bien au contraire ! Mais sortons des injonctions de vitesse. Dans les transitions professionnelles, une certaine patience peut être le signe d’un travail en profondeur. Au lieu de se mettre la pression, au lieu d’attendre d’être complètement acculé pour se forcer à bouger, on peut plutôt chercher à se fixer une date raisonnable pour se projeter. « J’aimerais avoir changé de travail d’ici l’été prochain », un bel objectif pour se projeter dans le changement. Chacun peut se faire confiance pour se mettre en mouvement, quand ce sera le bon moment.
Photo Thomas Decamps pour WTTJ, article édité par Gabrielle Predko
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