Le « volontourisme » : fausse bonne action, vrai impact négatif ?
09. 9. 2021
8 min.
Après un an et demi de pandémie, nombreux sont ceux qui ont eu envie de regoûter aux plaisirs du voyage cet été. Ce fut le cas notamment de Johan. Jeune développeur web, il a voulu mettre à profit sa pause estivale pour vivre une expérience professionnelle à la fois dépaysante et solidaire. Résolument déterminé à s’engager pour la « bonne cause », il souhaitait réaliser un volontariat auprès des plus démunis, dans l’idée de « voyager autrement ». Lors de ses recherches, il tombe rapidement sur des projets exaltants: « rejoignez un projet de protection d’éléphants et de tortues au Sri Lanka », « participez à la construction de salles de classe pour les enfants d’une communauté Massaï en Tanzanie ». Après réflexion, il prend sa décision : il part pour le Bélize afin d’effectuer une mission de volontariat de 3 semaines dans un centre d’accueil pour enfants défavorisés. Il a « toujours rêvé de découvrir ce pays » alors pourquoi ne pas « concilier l’utile à l’agréable » ?
Une intention qui semble tout à fait louable au premier abord. Pourtant, derrière ces missions gratifiantes sur le plan personnel et ces destinations qui laissent rêveur, se cache souvent une tout autre réalité. Pointé du doigt par de nombreuses ONG, le volontourisme - contraction des mots « volontariat » et « tourisme » - peut être proposé par des entreprises dont les motivations sont uniquement commerciales, souvent au détriment des populations qu’elles prétendent soutenir.
Une formule qui a séduit les jeunes occidentaux
Le volontourisme s’apparente à une « forme de tourisme humanitaire qui permet à des individus soucieux de s’engager dans une cause, de découvrir de nouvelles cultures et de s’impliquer dans des communautés locales dans une démarche de développement », comme l’indique France Volontaires, l’opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères public, en charge du développement et de la promotion des engagements volontaires et solidaires à l’international. Ceux qui souhaitent s’y essayer peuvent choisir la durée de leur mission, même si elle est souvent de courte durée (entre 1 semaine et 1 mois), la destination et le type de projet.
Impulsée dans les années 1990, cette tendance s’est considérablement développée dans les années 2000, notamment chez les jeunes européens et américains. Les raisons d’un tel succès ? Pour Clarisse Bourjon, chargée de mission plaidoyer à France Volontaires, elles sont multiples « mais cette tendance est largement corrélée au désir grandissant des jeunes de partir à l’étranger. Que ce soit dans le cadre d’une année de césure, d’un stage, ou de simples vacances, ils sont nombreux à se lancer dans ce type de mission, avec l’envie de rendre service et d’acquérir une expérience significative pour leur avenir professionnel. » Un séjour hors du commun, une manière de voyager alternative, en s’engageant pour une cause, et des compétences supplémentaires qui viendront garnir leur CV : telle est la formule qui a convaincu de nombreux jeunes occidentaux. Un package en apparence très attrayant qui masque très souvent de nombreuses dérives. « Ces organisations qui proposent des séjours payants, s’appuient sur un modèle économique reposant sur les profits tirés de cet engagement volontaire », alerte France Volontaires sur son site Internet. « Cette “marchandisation” du secteur du volontariat a des conséquences plus ou moins graves pour les communautés d’accueil comme pour les personnes participant à ces séjours. » Une fois sur place, de nombreux volontaires ont rapidement déchanté.
« J’ai compris que l’on était uniquement là pour prendre des photos avec les enfants »
C’est le cas de Karim, ce fonctionnaire d’une trentaine d’années, qui a réalisé un volontariat de 2 semaines dans un centre d’accueil pour enfants handicapés en Bolivie, lorsqu’il était étudiant. « Après quelques jours, j’ai eu la sensation que je n’étais pas à ma place. Je n’avais jamais travaillé avec des personnes en situation de handicap, comme la plupart des volontaires, et je me suis rendu compte que je n’avais rien à apporter. J’ai compris que l’on était uniquement là pour prendre des photos et des selfies avec les enfants. »
Si Karim estime qu’il « n’y a rien à retenir de cette expérience », beaucoup préfèrent retenir le positif tout en ayant conscience des limites de leurs actions. Géraldine (le prénom a été modifié), infirmière puéricultrice de 27 ans, qui a effectué un volontariat en Inde d’un mois auprès d’une association qui lutte contre la pauvreté infantile, garde « un souvenir inoubliable de cette expérience ». Mais elle avoue volontiers que quelques doutes subsistent quant à l’impact durable de sa mission. « Avec du recul je me demande concrètement ce que j’ai réellement apporté. Je n’ai pas l’impression que nos actions ont eu un intérêt sur le long terme. » Des interrogations légitimes que Chloé Sanguinetti, réalisatrice du documentaire « The Volontourist », a aussi connu lors d’un volontariat au Vietnam à l’âge de 18 ans. « Sur place, je me suis vite rendu compte que j’étais inutile. Mais, c’est plus tard, après mes études dans l’humanitaire que j’ai compris que ce type de volontariat pouvait aussi s’avérer véritablement néfaste pour les populations locales. »
Le business des orphelinats au Cambodge : un exemple probant
« L’exemple du Cambodge est particulièrement révélateur des dommages qu’engendrent certains types de volontariat sur les communautés autochtones », indique Chloé Sanguinetti, qui travaille actuellement avec plusieurs ONG au Cambodge. Avec l’ouverture du royaume au tourisme dans les années 2000 et l’émergence du volontourisme à cette même période, de nombreux jeunes occidentaux ont afflué aux pays des Khmers afin de réaliser de courts volontariats. « La plupart d’entre eux, ne disposant pas de compétences spécifiques, se sont tournés vers les orphelinats. Les gens pensent qu’il suffit d’être motivé et souriant pour venir en aide aux enfants », explique Chloé. De nombreux volontaires entretiennent l’illusion du “white savior” (sauveur blanc, ndlr) alors qu’en réalité, ces séjours répondent à leurs propres besoins d’enrichissement personnel. « Ces missions sont très gratifiantes sur le plan personnel, et vous ressortez avec de belles photos pour les réseaux sociaux » poursuit Chloé. Et c’est justement là où le bât blesse. Devant la popularité grandissante de ce type de volontariat, certaines organisations peu scrupuleuses en ont fait un véritable business. L’équation est simple : plus il y aura d’orphelinats, plus les jeunes occidentaux seront nombreux à payer des sommes astronomiques pour venir en aide à ces enfants démunis. Pour cela, certaines organisations n’ont pas hésité à “recruter” des enfants de familles pauvres avec la promesse d’une éducation et d’une vie meilleure. D’autres auraient même été arrachés à leur famille afin de remplir ces « faux orphelinats ». Ainsi, entre 2005 et 2010, un rapport de l’UNICEF datant de 2016 fait état d’une augmentation de 75% du nombre d’orphelinats, alors que de nombreuses études démontrent la baisse significative des véritables orphelins dans le pays. Une aberration confirmée dans ce même rapport : « 79 % des enfants âgés de 13 à 17 ans vivant dans des orphelinats au Cambodge ont en réalité au moins un parent vivant. » Une statistique édifiante qui semble confirmer l’obscénité de la situation : la création de ces orphelinats artificiels aurait davantage répondu à la demande croissante de volontaires, avides d’expérience humanitaire à l’étranger, qu’à une volonté de régler une situation d’urgence.
Le volontourisme : une action contre-productive ?
Concernant les séjours de volontourisme dans des écoles, des orphelinats ou des centres pour enfants, « les conséquences pour le développement personnel des enfants sont terribles. Ils s’attachent à ces volontaires qui ne restent rarement plus de quelques jours » déplore Chloé Sanguinetti. Des troubles émotionnels qui ne facilitent pas l’apprentissage des enfants, d’autant plus lorsque ces volontouristes s’improvisent professeurs. « La plupart du temps, il n’y a aucun suivi pédagogique de ces programmes, il y a donc de fortes chances que les volontaires enseignent la même chose que leurs prédécesseurs », s’indigne Chloé. Cette main-d’œuvre étrangère, gratuite mais non qualifiée, serait donc largement inefficace voire contre-productive, puisqu’elle masque un réel manque de professeurs dans de nombreuses zones rurales de ce pays, et, dans certains cas, elle représente un frein à la formation de professeurs cambodgiens.
Des conséquences pernicieuses pour le développement local dont Corentin Folhen, photo-journaliste, a aussi été témoin lorsqu’il a couvert la situation humanitaire en Haïti, suite au tremblement de terre en 2010. « J’ai notamment suivi des groupes d’américains qui se rendaient dans des écoles, où ils interrompaient le cours pour distribuer des bonbons, des stylos, pour faire des câlins aux enfants et se prendre en photo. Puis, ils distribuaient la plupart du temps des produits américains, laissant de côté l’économie et le marché local. » Une attitude qui a immanquablement fini par « dégrader les relations entre les haïtiens et les étrangers », comme l’a remarqué Corentin. À l’inverse du volontariat humanitaire encadré par de véritables ONG, les organismes de volontourisme auraient un effet négatif sur les populations qu’elles prétendent soutenir, décrédibilisant au passage l’action humanitaire dans sa globalité.
Distinguer les véritables volontariats des offres touristiques déguisées
Autant de témoignages qui soulèvent une question légitime : faut-il d’interdire tout type de volontariat de courte durée ? S’il est difficile de répondre à cette question sans apporter quelques nuances, un rapport conjoint de l’UNICEF et de nombreuses ONG intitulé « Better volunteering, Better care » préconise de bannir certains types de volontariats comme ceux effectués en orphelinats, au Cambodge notamment. Pour Clarisse Bourjon, chargée de mission plaidoyer à France Volontaires, « il est tout de même important de continuer à promouvoir le volontariat ». Elle « reste persuadée que ces échanges culturels permettent une meilleure compréhension entre les peuples. » Mais précise « qu’il est impératif pour les volontaires d’identifier des organisations sérieuses en se référant, par exemple, au réseau de structures ayant ratifiées la Charte des volontariats. » Autre indice qui permet de distinguer les organismes sérieux de ceux qui promeuvent le volontourisme : le prix de la mission. Par exemple, il faut compter 2 300 euros (sans le billet d’avion) pour participer à la construction de salles de classe en Tanzanie pendant deux semaines ! Une somme exorbitante, dont il est difficile d’évaluer la part qui sera reversée aux populations locales. Des abus qu’ont connus Mehdi et sa compagne, lorsqu’ils sont arrivés au Togo pour effectuer un volontariat conventionné comme un stage dans le cadre de leur Master I en Psychologie clinique. « Nous avons passé un entretien avec une association qui nous proposait de faire un stage dans un orphelinat. Mais nous avons été surpris qu’en contrepartie, on nous demande de l’argent, mais aussi d’accepter de faire des sorties touristiques le week-end dont le prix était exorbitant ». Autre signe qui révèle l’incohérence de certaines missions : aucune compétence n’est généralement requise. Une belle somme d’argent permettrait donc à n’importe qui de se muter en professeur d’anglais ou en ingénieur spécialisé dans la construction de jardins d’enfants, le temps d’une semaine.
Se poser les bonnes questions
Si une partie de la solution réside dans la régulation et la lutte contre ces organismes malveillants, l’autre se trouve dans la réflexion personnelle des jeunes occidentaux concernant leur engagement. « Lorsque que l’on veut réaliser un volontariat, il faut quand même se poser les bonnes questions. Combien de temps ? De quelles compétences je dispose ? C’est extrêmement prétentieux, voire néo-colonialiste, de penser qu’on sera plus en capacité de construire un puits que les habitants d’un village, alors que l’on est dentiste », ironise Chloé Sanguinetti. Des interrogations pas forcément perceptibles par les étudiants en quête de sens dans leurs actions. Afin de lutter contre le phénomène, France Volontaires propose un accompagnement et répertorie les principales questions à se poser avant de partir. Quelles motivations ? Quels partenaires du projet ? Quel type d’accompagnement une fois sur place ? Quel sera l’impact durable de la mission ? Et bien d’autres pistes qui permettront aux personnes désirant s’engager de se poser les bonnes questions. D’autres ouvrages ont été réalisés dans l’optique de sensibiliser et de préparer au mieux un volontariat : entre autres, « Le monde m’attend ! Vraiment » de l’organisme Les Scouts et les Guides de France, le guide de Ritimo « Partir pour être solidaire » ou encore « The essential guide to volunteering abroad » pour les anglophones.
Dans certains cas, la lecture de ces ouvrages et l’accompagnement sur la préparation du séjour font réaliser que cette subite envie de faire du volontariat répond davantage à des désirs personnels qu’à de réelles velléités solidaires. « Mais ce n’est pas grave, il faut avoir l’humilité de se dire : si je ne vais servir à rien, je n’y vais pas ! », conclut Chloé Sanguinetti.
En définitive, la volonté de s’engager dans ce type de volontariat se doit d’être le fruit d’une réflexion personnelle et mûrie. Si l’action de certains organismes tel que France Volontaires, ou même des gouvernements, s’avère primordiale dans la lutte et la prévention contre le volontourisme, la solution demeure aussi entre les mains des personnes qui cherchent à s’engager.
Il convient donc d’être particulièrement vigilant vis-à-vis des missions de volontariat courtes à l’étranger. Si l’expérience apparaît très attractive, autant d’un point de vue professionnel que personnel, le principal reste avant tout de servir les populations locales, non ? Une conclusion que résume parfaitement Géraldine. « C’est une magnifique expérience qui favorise une remise en question personnelle, qui permet de faire des rencontres incroyables, et qui marquent à jamais. Mais je conseille de prendre le temps de choisir l’organisme avec lequel on part. Il faut s’assurer que les valeurs que défend l’institution correspondent aux nôtres. »
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Article édité par Eléa Foucher-Créteau ; Photo by WTTJ
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