Demande d’augmentation : pourquoi c'est important de ne pas culpabiliser vos salariés
Nov 14, 2024
5 mins
À l’approche des entretiens annuels, bon nombre de collaborateurs souhaitent demander une augmentation. Notre experte Laetitia Vitaud revient sur les bonnes raisons de ne pas les culpabiliser d’une telle démarche, qu’elle soit acceptée ou non.
« La conjoncture est difficile », « Nous traversons une crise », « Ce n’est pas le bon moment pour parler de hausse de salaire ». Ce refrain, beaucoup de salariés l’entendent à l’approche des entretiens annuels, contribuant à un climat où l’idée même de demander une augmentation devient taboue. Ainsi, si 9 collaborateurs sur 10 estiment la mériter, seuls 50 % d’entre eux osent finalement franchir le pas selon une étude Opinion Way et Altays de 2021.
« La crise, la crise, la crise » : certain·e·s entendent même ce mot à toutes les sauces depuis qu’ils ont commencé à bosser. Si bien qu’ils sont comme l’entourage du garçon qui criait au loup : ils ne croit plus tellement à ces avertissements ! D’autant plus dans un contexte où favoriser leur pouvoir d’achat figure parmi leurs principales préoccupations. Dans ce cadre, pourquoi la stratégie de culpabilisation « en temps de crise » reste le piège à éviter absolument du côté des entreprises ?
La double culpabilisation : quand l’augmentation devient un fardeau
L’entretien annuel est presque toujours un moment anxiogène pour les collaborateurs. 41 % d’entre eux le redoutent, notamment en raison d’un pic de stress ou d’une difficulté à s’exprimer à l’oral ou encore parce qu’ils y voient un exercice avant tout subjectif. Alors quand on leur répète à l’envie que « C’est la crise », leurs craintes grimpent encore davantage.
Lors du fameux rendez-vous, deux scénarios se dessinent :
- Le salarié ose demander une augmentation, mais se la voit refuser en raison de la réalité économique de l’entreprise : on lui rappelle à demi-mot qu’avec la « crise », sa demande dénote d’un manque de solidarité, qu’il faut prendre en compte les difficultés et s’estimer heureux de ce qu’il a déjà. La demande légitime est présentée comme un acte d’égoïsme face aux défis de l’entreprise.
- Le salarié demande et obtient une augmentation : mais le ton reste tout aussi culpabilisant à l’égard du « traitement de faveur » dont il bénéficie. Ses efforts et résultats deviennent soudain accessoires par rapport aux sacrifices consentis. Parfois, s’ajoute à cela un message sous-jacent : il ne faut surtout pas en parler, car cette faveur pèse sur les finances de l’entreprise.
Dans les deux cas, le collaborateur ressort de l’entretien avec une impression amère. Il en vient à oublier que cette augmentation devrait être le fruit de son travail et de ses efforts, et non une faveur que l’entreprise lui accorde « par charité ». Dans les deux cas, la culpabilisation s’accompagne d’un isolement et d’un sentiment de solitude, délétères pour l’esprit d’équipe et le sens du collectif.
La crise, cet argument à la fois banal et contre-productif
L’argument de la « crise » pour justifier un gel ou une modération des salaires n’est pas nouveau. En réalité, il est aussi ancien que le salariat lui-même. Que l’économie soit en contraction ou en expansion, cet argument est devenu un outil classique pour modérer les attentes salariales. Pourtant, son usage systématique finit par éroder la confiance des salariés. Au fil des années, il est devenu une formule usée et banalisée, qui commence même à susciter de plus en plus de scepticisme parmi eux.
Car la « crise » sert surtout de toile de fond pour justifier des choix financiers discutables. Parfois, les collaborateurs constatent, année après année, que le discours de crise contraste avec la réalité des performances. Les profits affichés, les annonces de croissance ou les nouvelles stratégies ambitieuses sont des signes qui interrogent sur la sincérité de l’argument. Pourquoi toujours invoquer la « crise » quand les actionnaires voient leurs dividendes augmenter ? La contradiction crée alors un climat de suspicion, où l’on sait que c’est d’abord et avant tout un moyen de freiner la progression salariale.
Les entreprises risquent alors de provoquer exactement ce qu’elles cherchent à éviter : un désengagement de la part de leurs salariés. Les collaborateurs, désabusés, choisissent de ne plus fournir que le strict minimum. La confiance s’effrite, d’autant plus quand les salariés échangent plus ouvertement sur leurs conditions de rémunération et leurs augmentations. Ils comparent et partagent leurs expériences. Certains n’hésitent plus à vérifier les faits, à demander des explications et à exprimer leur mécontentement face à des décisions qu’ils jugent injustifiées.
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Les inégalités de pouvoir face à la négociation individuelle
Côté salariés, il existe des stratégies différentes : il y a celles et ceux qui choisissent d’ignorer le discours de crise pour négocier malgré tout et il y a celles et ceux qui se plient aux règles imposées. Les premiers savent que la « crise » n’est qu’un instrument de négociation. Ils sont souvent en position de force, plus expérimentés et sûrs d’eux. Ils savent que tout est toujours négociable et n’hésitent pas à sortir du cadre pour obtenir ce qu’ils souhaitent.
Mais tout le monde n’a pas cette liberté. Les seconds, au contraire, respectent le cadre fixé. Il s’agit des « bons élèves » qui, par courtoisie, respect du collectif ou loyauté envers l’entreprise, ne challengent pas ce qu’on leur annonce. Mais lorsqu’ils découvrent qu’il y a des petits malins qui ont quand même obtenu une augmentation, ils peuvent rapidement se sentir exploités, développant de l’amertume et du désengagement au travail. In fine, cela nuit donc à la performance de l’entreprise sur le long terme.
Le comportement de « bon élève », souvent loué pour son sens de la responsabilité, expose les collaborateurs à des disparités salariales au fil du temps. Sans surprise, il existe un biais de genre en la matière : 48 % des femmes n’osent pas demander une augmentation à leur·e supérieur·e contre seulement 28 % des hommes, selon le baromètre de l’égalité professionnelle Audencia-KPMG réalisé par OpinionWay de 2023. Et lorsque ces dernières s’y risquent, en se montrant déterminées dans leurs demandes de revalorisation, leurs démarches sont souvent perçues plus négativement. De quoi amplifier les inégalités salariales entre hommes et femmes !
En cas de crise véritable, la nécessité d’un dialogue transparent
Bien sûr, toutes les « crises » ne se valent pas. Certaines entreprises, durement frappées par la récession, la baisse des exportations ou encore l’inflation des prix de l’énergie, n’ont d’autre choix que de réduire leurs coûts et baisser leur production, parfois même via des licenciements ou des baisses de salaires. On peut citer ici le cas de Volkswagen, qui a annoncé récemment la fermeture prochaine de plusieurs usines en Allemagne, la suppression probable de plusieurs milliers d’emplois et une réduction de 10 % des salaires pour les employés restants.
Pour éviter la spirale de défiance face aux discours de « crise » ne servant qu’à freiner la hausse des salaires, un effort de transparence s’impose. Plutôt que de jouer sur la culpabilisation et de maintenir des discours alarmistes, les entreprises devraient adopter un dialogue ouvert et continu sur les résultats et la conjoncture. Lors des entretiens annuels, il est essentiel de rappeler les performances réelles de l’entreprise et les résultats attendus. Un salarié qui comprend les enjeux de son entreprise est plus enclin à faire des concessions salariales. Mais elles doivent alors s’appliquer à tous : quand crise il y a, l’existence de « profiteurs » peut provoquer un scandale et abîmer fortement la marque employeur.
Au final, les crises ne devraient jamais devenir un prétexte pour diminuer ou ignorer la valeur des collaborateurs. Au contraire, elles représentent des moments où l’engagement de chacun est essentiel pour traverser l’épreuve. Valoriser cet engagement par un dialogue honnête et une reconnaissance juste des efforts fournis, c’est un investissement payant. Mais aussi, le bon moyen de fidéliser les individus et de renforcer la résilience collective face aux chocs conjoncturels et aux défis futurs.
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Article rédigé par Laetitia Vitaud et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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