Égalité des chances : que sont devenus les étudiants ayant reçu un coup de pouce ?
Feb 15, 2024
7 mins
Journaliste Modern Work @ Welcome to the Jungle
Développés au début des années 2000, les programmes d’égalité des chances pour l’accès au supérieur ont évolué. Véritable levier pour certains ou catapultage dans un environnement social et culturel radicalement différent pour d’autres : Noureddine, Anne-Lise, Memet, Nawel et Jöel racontent quel impact cela a eu sur leur parcours.
Noureddine, 26 ans : « Il y a un vrai travail à faire sur l’accès à l’information »
Je viens d’un milieu modeste avec des parents qui n’ont pas eu accès aux études supérieures. J’ai grandi à Rennes dans un quartier dit « prioritaire de la politique de la ville » (QVP), mon école primaire et mon collège étaient classés ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire). Au collège, la plupart des élèves étaient orientés vers des filières professionnels. Arrivé au lycée, je me suis pourtant dirigé vers un bac ES. Là, les enseignants nous poussaient vers des études universitaires, mais vu mes résultats, je me suis dit que je pouvais prétendre à une classe préparatoire. À mes 18 ans, je suis parti en classe préparatoire au lycée Janson-de-Sailly à Paris. J’ai constaté que les gens venaient majoritairement de CSP+. Il y avait des codes, un capital culturel à avoir, et des disparités que je devais combler par moi-même. Par la suite, j’ai intégré l’EM Lyon. J’en suis sorti diplômé et je suis actuellement responsable fusion-acquisition pour une start-up dans le secteur immobilier.
Pour en arriver là, j’ai dû bosser deux fois plus que ce qui était attendu, notamment pour passer outre les contraintes financières. Heureusement, j’ai eu la chance d’obtenir une bourse privée de la Fondation Francis Bouygues. Cela m’a aidé financièrement pendant cinq ans et j’avais un parrain qui m’accompagnait pour m’orienter dans le monde professionnel. Ça a été un vrai coup de pouce dans mes études. En me dirigeant vers la finance, j’ai fait appel à l’association Article 1 qui m’a accompagné pendant trois ans via un mentoring avec une banquière d’affaires. Elle m’a donné les clés pour comprendre les codes de ce milieu à la fois discret et élitiste. Par la suite, j’ai eu la chance de réaliser différents stages dans des banques d’affaires de premier plan.
Passer des HLM aux bâtiments haussmanniens du 16ème arrondissement de Paris était à la fois déroutant et amusant. Je l’ai pris comme un défi dans le sens où je n’étais pas plus bête que les autres et que j’étais convaincu de pouvoir m’adapter à n’importe quel milieu. Aujourd’hui, je souhaite renvoyer l’ascenseur. J’ai rejoint la Fondation Francis Bouygues où je parraine actuellement une étudiante et je suis mentor d’étudiants à Article 1. Ça me tient à cœur d’aider des jeunes qui, comme moi, viennent de milieux modestes. Pour autant, il y a un vrai travail à faire sur l’accès à l’information car des gens talentueux n’ont pas connaissance de filières auxquelles ils pourraient prétendre parce qu’on ne leur en parle pas.
Anne-Lise, 21 ans : « L’obtention de ma bourse, ce n’est pas quelque chose dont je pourrais parler ouvertement car c’est un privilège énorme »
Je viens de Nouvelle-Calédonie où j’y ai fait la majorité de mes études. Après mon bac, j’ai commencé une Licence en Langues Étrangères Appliquées, sauf que ça ne m’a pas vraiment intéressé et j’ai arrêté. En réalité, je voulais me tourner vers le numérique parce que c’est un domaine où l’on trouve facilement du travail. N’ayant pas été acceptée à l’IUT de la Nouvelle-Calédonie dans ce domaine, j’ai poursuivi mes études en France. Je suis actuellement étudiante à l’IIM Digital School. Mon projet est d’obtenir un diplôme dans la communication et de retourner en Nouvelle-Calédonie afin de pouvoir travailler dans les collectivités.
Lors de mes inscriptions, j’avais privilégié les écoles publiques parce que le privé était en dehors de mes moyens. C’est grâce à une bourse obtenue via l’Institut de l’Engagement que j’ai pu intégrer l’école. Ce programme accompagne des jeunes dans leur parcours d’insertion professionnelle en leur proposant des formations, du mentorat et des outils pour valoriser leurs compétences acquises lors de leur service civique ou de leur engagement bénévole. Issue d’une famille modeste et monoparentale, l’aspect financier est un enjeu important et aurait pu être un frein si je n’avais pas obtenu cette bourse. Pour autant, ce parcours m’a remotivée et c’est la première fois que je me sens vraiment bien dans mes études car je peux m’y consacrer pleinement. Je vais pouvoir me construire un large réseau avec des contacts professionnels de haut niveau et avoir de bonnes opportunités de stage.
Néanmoins, je ressens un décalage. J’habitais à Nouméa, une ville beaucoup plus petite que Paris. Là-bas, on sourit et on dit bonjour à tout le monde même si on ne se connaît pas, alors qu’ici j’ai l’impression d’être sur une autre planète. Les gens sont tout le temps pressés, surtout dans les transports. Mais surtout, je vois bien que je ne fais pas partie de la même classe sociale de certaines personnes qui sont plutôt aisés. L’obtention de ma bourse, ce n’est pas quelque chose dont je pourrais parler ouvertement car c’est un privilège énorme..
Memet, 27 ans : « Je croyais en la méritocratie, je me suis pris le revers de la médaille »
Je me suis construit dans mon quartier à Saint-Germain-lès-Arpajon (91). J’ai grandi dans une famille kurde, de classe populaire avec un père ouvrier et une mère maîtresse de maison. Pendant une grande partie de ma scolarité, j’ai été boursier échelon 7. J’ai fait un bac ES puis, à mes 18 ans, j’ai été catapulté à Versailles, au lycée Hoche en classe préparatoire économique. C’était ma décision, sauf que je n’étais pas prêt au décalage social et culturel donc j’ai abandonné au bout de deux mois. Par la suite, j’ai trouvé ma voie dans les sciences politiques à l’université de Nanterre. À la fin de ma Licence, j’ai candidaté à Sciences Po où j’ai été admis en Master Politiques Publiques en bénéficiant d’un dispositif d’égalité des chances. À Sciences Po, mon ambition était d’intégrer une école de la haute fonction publique, mais je me suis rendu compte que je ne voulais pas faire ça. Valider mon diplôme s’est révélé plus compliqué que prévu. Aujourd’hui, j’écris un livre pour parler de mon parcours qui est, selon moi, révélateur de certains dysfonctionnements dans la société.
Mon admission à Sciences Po est en partie due à mes engagements au sein d’un collectif d’associations qui s’appelle « l’ascenseur » et qui œuvre pour l’égalité des chances. Dans un premier temps, j’ai suivi un programme de l’ONG Yes Akademia, tremplin pour intégrer ensuite l’Institut de l’Engagement qui a signé une convention avec Sciences Po Paris. D’une certaine façon, mes engagements ont constitué un moyen de sélection alternatif. À ma fierté d’intégrer cette école s’est très vite substituée une désillusion palpable dès mes premiers pas dans l’établissement. J’y ai vécu un mal être qui était lié, à mon sens, au fait que j’étais un enfant des classes populaires dans un environnement social bourgeois. Les associations qui m’ont accompagné dans mon admission à Sciences Po ont réussi leur mission et je leur en suis très reconnaissant. En revanche, sur place, on se rend compte rapidement qu’on est l’exception qui confirme la règle du jeu social. À 18 ans, je croyais en la méritocratie et à l’égalité des chances mais je me suis pris mon échec à Hoche comme un effet boomerang. La méritocratie fait porter l’entièreté d’un échec sur les épaules du seul individu plutôt que de voir les raisons structurelles, sociales et collectives derrière.
Pour être tout à fait honnête, l’obtention du titre de Sciences Po m’a retiré la lourde pression d’un retour dans mon environnement social d’origine. Je savais que ce « titre » me permettrait de ne plus vivre dans la précarité. Après l’écriture et la publication de mon livre, j’aimerais travailler dans le service public, le milieu associatif ou politique.
Nawel (1), 21 ans : « Je travaille deux fois plus pour réussir en raison de mon identité »
Depuis la primaire, j’aime l’anglais et j’ai toujours voulu en faire mon métier. Mes professeurs avaient insisté auprès de mes parents pour que je sois en école privée. Ça a été une dépense conséquente pour eux. Après avoir fait un collège privé, je suis allée dans un lycée en ZEP où j’ai passé un bac général. Puis, j’ai fait une première année de Licence de droit que j’ai validée, mais je ne me voyais pas continuer dans cette voie. Mon grand rêve, c’était d’être diplomate. On m’a parlé d’une école de communication qui était une porte vers ce milieu. J’ai donc intégré cette école où je compte me spécialiser en communication internationale.
Dès le début de mes études, j’ai ressenti un décalage avec les autres. Mes parents sont issus de l’immigration. J’ai grandi avec un mélange de cultures française et marocaine et depuis le collège privé, je me suis toujours adaptée. Dans mon école, je vois que je n’appartiens pas au même monde que les autres, mais je suis habituée. Je me dis qu’il faut que je travaille deux fois plus pour réussir en raison de mon identité. C’est plus dur de trouver du travail, il faut toujours prouver qu’on mérite notre place et qu’on peut y arriver comme tout le monde. J’évite de dire que j’ai une bourse parce que je ne veux pas qu’on me pense moins légitime que ceux qui ont payé.
Je savais que mes parents n’avaient pas les moyens de payer 8 000 euros l’année donc je me suis renseignée sur les aides auxquelles je pouvais prétendre. Elle a été très difficile à obtenir, mais j’ai insisté. C’est donc mon école ainsi qu’une entreprise partenaire qui financent mes études. Je leur en suis reconnaissante parce que c’est une initiative qui ouvre des portes à des jeunes comme moi. J’ai d’ailleurs pu développer une nouvelle ambition : travailler dans la cosmétique. C’est un monde ouvert aux singularités de chacun et qui met en avant la diversité et l’inclusion.
Joël, 27 ans : « Si le service inclusion ne m’avait pas aidé, je n’aurais jamais croisé mon futur associé »
Je suis né en République Démocratique du Congo et je fais partie de la « génération Mobutu », en d’autres termes la génération conflits. Arrivé en France à l’âge de cinq ans, j’ai grandi à Bondy, en Seine-Saint-Denis. J’y ai fait mes études dans le public et du foot en centre de formation. Au collège, je suis passé d’une des pires ZEP du 93 à un internat dans une école catholique bien notée à Issy-les-Moulineaux. Ça a été un choc social et culturel. Par la suite, j’ai fait un bac pro maintenance des équipements industriels, sauf que moi, je voulais être footballeur. J’ai reçu quelques opportunités, notamment d’un club anglais. C’était une bénédiction pour ma famille parce qu’on parlait d’un salaire de 30 000 euros par mois. Malheureusement, je me suis gravement blessé et j’ai dû renoncer à une carrière dans le foot. Ça m’a lourdement affecté et j’ai remis en question mon avenir professionnel.
Une fois rétabli, je me suis lancé dans une première expérience business pendant trois ans, puis j’ai repris les études pour faire un BTS négociation et relation client. Une amie, qui est aujourd’hui ma fiancée, m’a parlé du Programme Grande École de l’EM Normandie où j’ai candidaté. Intégrer l’école a été un tournant dans mon parcours. Avant ça, je voyais beaucoup de portes se fermer parce qu’on me disait que j’avais un « accent de quartier » sur lequel j’ai dû travailler pour essayer de l’effacer. J’ai pu bénéficier d’un accompagnement avec du mentoring. Les conseils du service d’inclusion m’ont aidé à surmonter des obstacles et j’ai pu rencontrer des personnes au parcours varié, ce qui m’a permis d’améliorer mes compétences interpersonnelles.
C’est grâce à l’EM Normandie que j’ai pu rencontrer Emrick Lindsen avec qui j’ai co-fondé notre studio de jeux vidéo Munemjo Entertainment à travers lequel nous voulons diffuser les cultures africaines. Si le service inclusion ne m’avait pas aidé, je n’aurais jamais croisé mon futur associé. Depuis environ un an, notre entreprise multiculturelle compte des membres au Québec, au Sénégal, au Bénin, au Cameroun et en France.
(1) Le prénom du témoin a été modifié pour préserver son anonymat.Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ*
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