« J’ai fait le tour de mon poste » : une formule peu appréciée des recruteurs
Sep 19, 2024
5 mins
Qui n’a jamais eu de velléités de départ en se sentant arriver au bout de son expérience dans un job ? Lorsque l’on est en maîtrise, qu’on gère bien nos missions et qu’on travaille efficacement avec ses collègues, mais qu’au fond, on a le sentiment d’être à l’arrêt ? C’est ce qui est souvent résumé par l’expression « avoir fait le tour de son poste ». Mais est-ce pour autant une bonne idée de le présenter ainsi en entretien ? Ne risque-t-on pas de faire mauvaise impression ? Faisons le tour de la question en la posant directement aux recruteurs.
Démarrer un nouveau job, c’est comme emménager dans un nouvel appartement. Lorsqu’on y pose nos valises, il faut un peu de temps pour prendre ses marques, tester des décorations, des agencement, meubler les pièces, jusqu’à lui faire atteindre tout son potentiel et finalement s’y sentir chez soi. Et puis un jour, on connaît toutes les pièces, tous les angles, tous les moindres recoins par cœur. Alors, certains se sentent parfaitement bien dans cet appartement, où leurs habitudes leur offrent un confort inégalable et un bien-être profond. Pour d’autres, cela peut être aussi le cas quelque temps, mais rapidement, ils se mettent à regarder par la fenêtre, avec une seule idée en tête : partir.
« J’ai fait le tour de mon job » reprend exactement ce parallèle entre le travail et un espace clos dans lequel on pourrait se sentir à l’étroit au bout d’un certain temps. Nombreux sont ceux qui utilisent cette expression pour expliquer succinctement les raisons de leur départ d’une entreprise. Mais celle-ci ne serait pas toujours bien accueillie par les recruteurs. Du moins, il peut être risqué de s’en servir en entretien pour plusieurs raisons.
1. C’est une formule incomplète qui permet toutes les interprétations
De l’avis de Caroline Koskas, directrice d’un cabinet de recrutement, l’expression est avant tout « galvaudée au point qu’on n’en comprend plus très bien le sens. » Dire qu’on a fait le tour d’un job peut avoir plusieurs significations. Cela peut venir d’un manque de liberté au sein de l’entreprise, d’un blocage dans l’évolution hiérarchique. Dans tous les cas, laisser au recruteur la possibilité de deviner ce qui se cache derrière cette expression revient à prendre le risque d’être mal compris. « En tant que recruteuse, j’ai le réflexe d’aller gratter cette affirmation pour comprendre ce que le candidat voulait dire, ce qui l’amène à avoir cette impression, rassure d’abord Caroline, mais un RH, un Directeur financier ou un chef d’entreprise n’a pas forcément ces réflexes, et peut rapidement rester bloqués sur une mauvaise impression ».
2. Vous passez pour un.e arrogant.e
De par la concision et le manque de nuance de cette formule, cela peut sonner comme si votre poste n’était plus à la hauteur de votre talent, ou comme si vous étiez un gros poisson voulant quitter sa petite marre. « Cela dépend aussi beaucoup de la manière dont c’est dit, et du reste de l’entretien », relativise Quentin Dupuy, cofondateur d’une start-up de la tech ayant mené des dizaines d’entretiens. Alors gare au ton que vous employez, et aux indices que vous donnerez pendant le reste de l’entretien ! « Il arrive que selon la façon de le dire, ou un ensemble de réflexions, des candidats donnent l’impression qu’ils se sentent au-dessus de leur poste et de leur entreprise, ce qui n’envoie pas un bon signal. » N’oubliez pas qu’en entretien, ce n’est jamais une bonne idée d’égratigner son actuel ou ancien employeur. Ne tendez pas le bâton pour vous faire battre en passant pour quelqu’un de trop confiant et peu respectueux de son entreprise.
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3. Vous devenez un mercenaire que vous n’êtes pas
Si les recruteurs et chefs d’entreprise comprennent parfaitement qu’on atteigne un plafond de verre et que l’on souhaite le dépasser en allant voir ailleurs, il est parfois difficile de croire que le « tour du poste » arrive au bout de deux ans. Caroline Koskas explique que l’emploi de l’expression peut être à double tranchant dans ce contexte. « J’entends plus souvent ces mots chez les candidats qui ont entre 25 et 40 ans. Cela vient d’une envie d’aller vite dans leur carrière et d’une plus grande exigence dans le salaire, les conditions et les missions que leurs aînés », précise la fondatrice du cabinet CK Talents. « À force, ce genre de phrases peut effrayer les chefs d’entreprise, qui la recevront peut-être comme une alerte à l’impatience et à la lassitude du candidat. » Pourtant, Caroline ne voit pas les changements rapides de poste d’un mauvais œil. « Personnellement, je considère que cela peut être de l’opportunisme, mais dans le bon sens du terme ! C’est-à-dire que l’employé est curieux, il est prêt à aller de l’avant pour être stimulé en permanence. » Ainsi, ne laissez pas penser que votre envie d’ailleurs vient de la fougue de votre jeunesse mais démontrez que c’est une décision mûrement réfléchie qui fait sens dans votre parcours. En somme, ne passez pas pour plus girouette que vous ne l’êtes !
4. Votre motivation ne saute pas aux yeux
Quentin, lui, n’est pas si méfiant face à des candidats volages. « Aujourd’hui, on s’est habitué à voir des employés partir au bout de deux ans. Plus personne ne fait toute sa carrière dans la même entreprise, alors ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète, explique-t-il. Ce qui m’intéresse en revanche, c’est de savoir si le candidat laissera son empreinte ou s’il ne sera qu’un passager clandestin. » En effet, un autre problème avec cette formule, c’est qu’elle interroge sur votre capacité à apporter une vraie valeur ajoutée à l’entreprise. Peut-être que vous étiez très performant dans votre job mais que vous auriez pu lancer de nouveaux projets, agrandir votre équipe ou améliorer les process en place avant de quitter le navire. D’expérience, Quentin remarque que les profils qui emploient l’expression sont souvent assez scolaires, ce qui traduit, hélas, un certain attentisme, selon lui. « Ce sont des profils très bons pour accomplir les tâches quotidiennes mais assez peu proactifs. Quand on recrute quelqu’un, c’est évidemment pour que le travail soit fait, mais aussi pour que cette personne apporte quelque chose en plus et fasse grandir la boite. »
5. Vous ne semblez pas très fairplay
Si nous comparions le travail à un appartement au début, il serait en réalité plus pertinent de le comparer à une cellule de prison. Car on ne fait vraiment le tour d’un endroit que si l’on s’y sent bloqué et qu’on ne peut plus l’aménager différemment. Or, pour Quentin, parler d’enfermement donnerait l’impression de « rejeter la faute sur les autres, sur l’entreprise. Mais j’ai tendance à croire qu’il y a toujours un moyen de réinventer son poste et de créer des opportunités d’évolution. » Évidemment, ces opportunités ne correspondent parfois pas à ce que l’on souhaiterait et d’autres éléments retardent les changements. Dans ce cas, le problème n’est pas tant un blocage que des désaccords ou une perte de sens, et il est important de le préciser. Montrez que vous avez du recul sur la situation, que votre analyse est fine et que vous ne vous contentez pas de jeter la pierre autour de vous.
Une formule qui gagne à être complétée
Le plus important est donc d’entrer dans le détail pour ne laisser aucun doute au recruteur sur votre bonne foi et votre état d’esprit. Avoir fait le tour d’un job n’est pas une explication mais un ressenti qu’il faut expliquer. À ce titre, Caroline Koskas conseille d’être « le plus transparent et authentique possible », car si la lassitude et la sensation d’avoir fait son temps dans une entreprise existent, celles-ci peuvent découler de plein de raisons différentes. « Cela vient-il d’une volonté de grimper dans la hiérarchie de l’entreprise ? D’un désaccord stratégique qui vous empêche de vous projeter ? Est-ce l’envie de découvrir un autre secteur qui vous fait perdre en motivation ? De faire un gap financier après une stagnation qui a assez duré ? Il faut être capable de présenter une ou deux grandes raisons réelles qui expliquent votre besoin de changement. »
Pour Quentin, utiliser cette expression reste tout de même une erreur stratégique. « Pourquoi tourner les choses ainsi ? Le but d’un entretien n’est pas de montrer qu’on veut fuir une entreprise, mais bien qu’on veut en rejoindre une autre. » Il serait donc plus pertinent d’aborder ce qu’on a à gagner par ce changement de poste plutôt que ce que l’on est heureux de quitter. Parlez de votre « soif de nouveaux challenges », de votre « envie de découvrir un nouveau secteur » ou de « sortir de votre zone de confort ». Tournez le regard vers l’avenir, sur les éléments que vous pensez retrouver dans ce nouveau défi. C’est finalement une autre manière d’expliquer ce qu’il vous manquait dans votre dernière expérience.
Article édité par Gabrielle Predko et Camille Perdriaud ; Photo de Thomas Decamps
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