Managers : comment réagir quand une décision divise votre équipe ?

Jun 17, 2024

9 mins

Managers : comment réagir quand une décision divise votre équipe ?
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Gabrielle de Loynes

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La vie d’un manager est loin d’être un long fleuve tranquille. Surtout lorsqu’il s’agit de prendre des décisions à contre-courant. Promotion, augmentation, mobilité… certaines résolutions peuvent générer du remous au sein de votre équipe. Entre solidarité à bâbord et opposition à tribord, quand le vent de la discorde souffle, le manager se retrouve le plus souvent à fond de cale.

Trop souvent, en bon capitaine, le manager se retire dans sa cabine pour prendre une décision. Dans l’ombre et le silence, il fait ses calculs, médite les différentes options, bâtit sa stratégie. Une fois fixé sur le cap à suivre, il monte sur le pont et annonce à son équipage sa décision comme un boulet de canon. Une technique qui, selon le coach de managers et psychologue du travail Alexis Eve, ne marche pas. « Cette annonce d’informations top down ne permet pas à l’équipe de comprendre la décision, car elle ne dispose pas du même data set », explique-t-il. Non seulement elle ne fait pas l’unanimité, mais le manager a alors du mal à embarquer son équipe et sort le plus souvent les rames pour la faire appliquer.

Vous l’avez certainement déjà ressenti vous aussi que certaines décisions ne font pas l’unanimité. Est-ce un phénomène normal, ou faut-il au contraire s’en inquiéter ? Et comment réagir lorsque notre vision de manager est discutée par nos collaborateurs ? Vaut-il mieux battre en retrait, virer de bord ou garder le cap contre vents et marées ? Nos spécialistes en management et experts du Lab Alexis Eve et Luc Bretones nous livrent la conduite à suivre lorsque la décision du capitaine n’embarque pas son équipe.

Vent contraire : doit-on « garder son cap »?

« En 2024, prendre une décision de manière autocratique et camper sur sa position sans s’expliquer auprès de son équipe ne fonctionne plus », considère Alexis Eve. Tant et si bien que lorsque le manager prend une direction et observe que se lève un vent contraire, il adopte généralement l’une ou l’autre de ces stratégies : se justifier ou garder son cap. Un premier cas de figure qu’Albane, directrice de création au sein d’une agence de communication, a traversé récemment. « Je manage une équipe de cinq personnes très soudées, raconte-t-elle. La boîte a pris de l’ampleur avec l’acquisition de gros clients au portefeuille. Pour renforcer la solidité de l’entreprise et sa réputation, nous avons choisi de recruter en externe un directeur artistique avec une belle renommée. C’était un peu une carte de visite que l’on s’offrait dans l’optique de séduire toujours plus de grands groupes. » Mais l’idée de ce recrutement a été très mal reçue en interne. « Je crois que l’équipe aurait souhaité que j’accorde une promotion à une super graphiste au sein de l’équipe, avoue-t-elle. Notre conviction, c’était au contraire qu’il fallait un regard neuf et expérimenté, qui avait déjà fait ses preuves en tant que DA. Cette graphiste est très talentueuse, mais je voulais la garder dans son domaine, où elle excellait. »

Albane observe que l’équipe n’approuve pas son choix : « Je voyais bien qu’il y avait un froid, l’équipe tirait la gueule et faisait des messes-basses. Je me suis sentie obligée de me justifier et ça m’a même fait douter de ma décision. » Sans tarder, elle convoque une réunion : « Je leur ai expliqué la stratégie, et combien ce nouveau talent serait pour nous tous une valeur ajoutée, raconte-t-elle. J’ai vraiment remué ciel et terre pour leur démontrer que nous allions tous monter en compétence et faire croître l’activité. J’ai senti que le message était passé. Il a fallu un peu de temps pour digérer et, finalement, ce n’est qu’une fois notre DA trouvée que l’équipe a saisi combien la marche à grimper était haute pour nous tous. »
Quentin, fondateur d’une startup qui végétalise les entreprises, a fait quant à lui l’épreuve de garder son cap coûte que coûte. « Notre activité est intense durant les vacances, explique-t-il. Nous avons beaucoup d’entretiens à réaliser à cette période. » Pas question donc pour son équipe de jardiniers paysagistes de prendre des congés au cœur de l’été. Pourtant, la question d’une rotation pour permettre une permanence pendant la belle saison revient régulièrement sur la table. « Je m’y suis toujours opposé, car je sais combien c’est une période chargée : j’ai besoin de mobiliser toute l’équipe. »

Un jour, pourtant, il accepte de faire une exception pour un collaborateur dont la famille habite à l’étranger. « L’été, c’est le seul moment où il pouvait se réunir avec ses proches au Mexique, avoue-t-il. Il travaillait très sérieusement par ailleurs et ça me paraissait impensable de risquer qu’il nous quitte pour cette raison. » Lorsque l’équipe apprend la nouvelle, cette décision est vécue comme une trahison, un acte de favoritisme. « Ils ont crié au scandale, affirmant que ce salarié avait reçu un passe-droit. Ça a bien chauffé. J’ai convoqué tout le monde pour mettre les points sur les i et rappeler que la règle était de prendre ses congés en période creuse, mais qu’une exception pouvait être accordée pour une raison vraiment valable, comme le fait de voir sa famille une fois par an. J’ai terminé en ouvrant la porte : si l’un d’entre vous a un impératif pour prendre ses congés en été, qu’il me le fasse savoir. » Depuis, le débat est clos, mais le niveau d’ambiance au sein de l’équipe a sombré.

Manager entre vents et marées

Pris entre deux eaux, le manager ne sait parfois plus dans quel sens ramer. D’un côté, « se justifier revient à expliquer a posteriori à son équipe ce qui aurait dû lui être présenté avant, analyse Alexis Eve. Cela donne l’impression que le manager se défend. » De l’autre, il se débat sans bouée pour faire avaler à tous une décision non unanime. C’est la noyade assurée. « Il me semble qu’il existe une alternative, indique le coach, celle qui consiste à regarder la situation et admettre qu’on a raté la communication de sa décision. Le manager peut s’autoriser à revenir sur ses choix quand cela est possible et s’il pense que c’est préférable, mais il peut surtout reconnaître devant son équipe qu’à l’avenir il pourra communiquer autrement sa décision. Dans ce cas, il peut proposer une séance de 45 minutes de questions/réponses sur la décision annoncée, pour que son équipe puisse la comprendre et l’intégrer. » Pour l’expert, il faut en finir avec l’idéal du manager qui agit en « bon père de famille » et ne se trompe jamais. Loin du mythe du chef infaillible, son rôle consiste plutôt à « orienter son équipe avec des décisions les plus éclairées possibles vers la direction fixée ».

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Comprendre d’où vient le vent

Et si une décision ne fait pas l’unanimité, encore faut-il comprendre d’où vient le vent d’opposition. Selon Alexis Eve, il existe deux formes d’oppositions :

  • L’erreur de communication : « La première est la plus répandue et la plus facile à résoudre, assure-t-il. C’est l’écueil qui consiste à penser que, sous prétexte que l’orientation à prendre est claire dans la tête du manager, elle l’est pour tout le monde. » Pour l’éviter, le psychologue conseille de « construire ses décisions à terrain découvert », le parfait contraire de la décision du capitaine retiré dans sa cabine. Autant que possible, il recommande de co-construire avec son équipe et de l’impliquer dans la réflexion. « Je conseille au manager de présenter un projet à l’équipe durant 15 minutes et de laisser ensuite 45 minutes à l’équipe pour poser des questions et challenger cette orientation. »
  • Le désalignement : d’une manière générale, on le rencontre dans trois situations où le rejet de la décision implique un désalignement sur :

    • La mission ou la vision de l’entreprise : « C’est la métaphore du capitaine qui choisit de naviguer jusqu’en Australie, tandis qu’une partie de l’équipe souhaite aller en Nouvelle-Zélande, traduit le coach. Une partie de l’équipe est désalignée avec le projet de l’entreprise. »
    • Les valeurs ou la culture d’entreprise : « Si à bord le drapeau affiche une culture “on agit vite et au mieux, en acceptant une marge d’erreur”, explique-t-il, celui qui porte un drapeau “perfectionniste’’, ne sera jamais aligné avec ce qu’il percevra comme une culture du travail bâclé. »
    • La manière de travailler : « Si la boîte travaille de manière agile et qu’une partie de l’équipe a besoin de process plus structurés, détaille-t-il, le manager va nécessairement se heurter à un problème de fond. »

Faut-il avoir le consensus pour boussole ?

La co-construction évite le rejet de bien des décisions délicates. Pour autant, il ne faut pas confondre « co-construire » et « co-décider ». Car, si l’équipe aime être embarquée dans la réflexion qui mène à la décision, c’est bien au capitaine qu’il revient de prendre la décision in fine. « Beaucoup de sujets peuvent permettre de co-construire avec son équipe un cahier des charges, observe Alexis Eve. Par exemple, sur le choix des futurs bureaux, la culture d’entreprise ou les valeurs. Devant ces sujets qui impliquent le collectif, il faut chercher ce qui rassemble l’équipe, mais en aucun cas il faut chercher à contenter tout le monde. » Car, ne nous y trompons pas, le véritable consensus n’existe pas. Et ce n’est pas le rôle du manager que d’aller dans le sens du vent. « Son rôle est semblable à celui du coach d’une équipe de foot, illustre le psychologue. Sur le banc d’un match, il doit analyser et prendre les décisions y compris les plus délicates et les moins populaires. Si l’équipe est alignée sur la performance à atteindre et que la vision est claire, la décision sera acceptée. »

Managers, ne naviguez donc pas au gré des consensus. « C’est une manière classique de ne pas régler les problèmes », résume Alexis Eve. Une vision que partage Luc Bretones, consultant et spécialiste en innovation managériale : « Le consensus est impossible. Cela revient à aligner les préférences de chacun et c’est peu probable que le manager y parvienne. Ce qu’il doit en revanche rechercher, c’est le consentement de l’équipe à la décision. Plutôt que d’aligner les préférences des uns et des autres, il doit rechercher l’intersection entre les zones de tolérance de chacun. Or, ces zones sont bien plus larges que les préférences, puisqu’elles émanent de l’intelligence collective et non de l’intelligence émotionnelle de chaque collaborateur. »

Décider sans diviser : 3 conseils pour une décision assumée

Prendre une décision et la faire accepter par son équipe, ce n’est pas comme jeter « une bouteille à la mer ». On ne balance pas son projet à l’eau en attendant que l’équipe se mette en ébullition… Voici, selon Luc Bretones, la conduite à suivre pour naviguer entre les opinions contraires et emporter l’adhésion du plus grand nombre.

Conseil n°1 : retenir le mode de décision qui convient

La première étape consiste à « décider comment on va décider », suggère Luc Bretones. Il existe, selon lui, plusieurs modes de décision :

  • Autocratique : « Un mode directif et autoritaire qui a l’avantage d’être rapide et efficace. »
  • Démocratique : « Le recueil de l’opinion de tous a l’avantage d’être collectif, mais le vote conduit à une solution qui risque de frustrer ceux qui perdent. »
  • Technique : « L’instruction du dossier est confiée à un ou des experts qui proposent des recommandations. »
  • Stochastique : « Ce mode de décision à pile ou face permet de trancher. »
  • Par consentement : « C’est de loin mon préféré, puisqu’il permet de prendre une décision collective, mais rapidement et génère le moins de frustration. »

Si l’expert encourage le recours au mode de décision par consentement, il n’exclut pas que tous puissent être utiles selon le contexte. « C’est au manager de savoir quel est le mode de fonctionnement souhaité par l’équipe, explique-t-il. Et, ensuite, d’utiliser la palette de ces modes à bon escient. Il n’y a pas de jugement à avoir sur tel ou tel mode de décision, dès lors qu’il est aligné avec les aspirations de l’équipe. »

Conseil n°2 : définir le cadre de contrainte

Une fois le mode de décision choisi, le manager doit encore se poser cette question : est-ce de mon ressort ? Ou bien cette décision appartient-elle au cadre de contraintes inhérent à l’organisation ? « Tout n’est pas discutable en entreprise, affirme le spécialiste. Il y a des prérequis qu’il ne faut pas confondre avec ce qui peut être perçu comme une ‘’mauvaise décision du manager’’. » Ainsi, ce qui relève du chiffre d’affaires, du taux de marge, du budget constitue le cadre de contraintes. « Ça ne sert à rien de le discuter et de ressasser sur son environnement, insiste-t-il. Le manager doit donc expliquer à son équipe le cadre de contraintes et se concentrer sur ce sur quoi l’équipe a des leviers d’action et un pouvoir de décisions. »

Conseil n°3 : co-construire avec la décision par consentement

Lorsque la décision relève bien de la responsabilité du manager et que l’équipe a une véritable marge de manœuvres, Luc Bretones préconise le recours au mode de décision par consentement. Un gouvernail qui permet d’orienter le navire vers une direction à laquelle adhère immédiatement tout l’équipage.

  • Le manager vient tout d’abord avec une proposition : cette proposition va nécessairement faire ressortir des tensions qui distinguent la « situation non idéale » de la « situation résolue ».
  • La proposition va recevoir des objections : c’est ce qu’on appelle la « phase d’amendement ». Comme au Parlement, la proposition initiale est visée par des suggestions. « Il existe deux types d’objections, détaille l’expert. Celles qui améliorent la proposition initiale – l’amendement – et les objections létales qui disqualifient la proposition initiale. »
  • La décision finale est adoptée : si les objections enrichissent la proposition initiale, alors elles sont incorporées à la décision. « On rentre ici dans les zones de tolérances de chacun, explique-t-il. La décision finale est donc celle qui ne rencontre plus d’objection. On dit qu’elle est “good enough for now’’ ou “safe enough to try’’. C’est un processus de décision intégratif. » Co-construite, la décision finale est ainsi mieux acceptée et mieux appliquée.

« Oh Capitaine, mon capitaine », retenez qu’il est peu probable d’embarquer son équipe sur un cap qui conviennent à tous. Si vous cherchez l’harmonie à bord, vous risquez de flotter ou de voir poindre une mutinerie. Sortez de votre cabine, montez sur le pont et mobilisez votre équipage. Comme l’écrivait Philippe Pollet-Villard : « Dans un voyage ce n’est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru, et les détours surtout. »

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Article rédigé par Gabrielle de Lyones et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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