Jeunes anti-télétravail : et si la Gen Z revenait aux classiques ?
Sep 07, 2023
6 mins
Et si la jeune génération préférait travailler… au bureau ? À l’opposé de la tendance “full remote” plébiscitée par une partie de la Gen Z, ces jeunes qui font leurs premiers pas dans la vie active sont catégoriques : « le télétravail c’est merci, mais non merci. »
« Même si demain on me propose le job de mes rêves mais que celui-ci est à 50% en télétravail, je le refuserai », affirme bien déterminée Célia, étudiante en master en alternance chez Décathlon. Future cadre dans le marketing, la jeune femme n’en démord pas : pour elle le travail se fait dans les locaux de l’entreprise, et uniquement là-bas. Un point de vue qu’elle partage avec d’autres jeunes actifs qui témoignent de difficultés d’intégration, de formation et de séparation avec leur vie privée dû au travail à la maison. Au point de devenir complètement réfractaire à l’idée de télétravailler…
Le traumatisme des confinements encore présent
« J’ai le sentiment qu’on m’a volé deux années de ma vie étudiante », confie Jules, 22 ans. Créatif et extraverti, ce communicant dans l’industrie musicale a très mal vécu les confinements dus à la pandémie de Covid-19, synonymes de longues journées enfermé seul dans son modeste studio. Une période pauvre en intéractions qui a également laissé des marques durables chez Théo, 21 ans, consultant en immobilier : « Après ces périodes d’enfermement, les relations avec les autres étudiants ont été distendues, on ne se saluait plus quand on se croisait dans les couloirs. Encore aujourd’hui certains camarades de promo ont du mal à travailler en groupe. » Marqués par les cours à distance, ces jeunes qui arrivent sur le marché du travail sont prêts à tout pour ne pas recréer les conditions de ces situations passées en travaillant de chez eux. « Moins je fais de visio, mieux je me porte », ponctue Théo qui n’a pas hésité à refuser une intéressante opportunité chez un grand constructeur automobile qui s’effectuait à 90% du temps en télétravail.
Une réaction normale pour la psychologue du travail Daphnée Breton qui rappelle combien les confinements ont mis à mal la santé mentale de cette jeune génération. « La construction de liens sociaux, très importante à cet âge-là, a été supprimée pendant ces périodes de repli sur soi, explique la psychologue. Désormais en stage ou en emploi en télétravail, ils se retrouvent de nouveau seuls chez eux à essayer de s’intégrer dans des collectifs éloignés. » Soit le contraire de ce dont ils ont besoin. Comme le confirme Célia, 21 ans qui a à cœur de nouer des connexions profondes avec ses collègues chez Décathlon : « Les relations au travail se créent en grande majorité sur des temps off, comme le café du matin, la pause dej ou entre deux réunions. Cet aspect de la vie en entreprise est primordial pour moi, c’est ce que je privilégie en venant au bureau tous les jours. »
Un état d’esprit en adéquation avec la culture de son entreprise qui encourage les équipes à faire du sport ensemble le midi. Pour Jules enfin, le contact avec les autres est tout simplement la condition sine qua non à l’exercice de son métier : « J’évolue dans un domaine créatif dans lequel on s’énergise en échangeant avec ses pairs. C’est une grande source d’inspiration et c’est de loin ce qui me donne envie de me lever le matin. »
Un frein pour l’apprentissage…
« Au-delà de ne pas faciliter l’intégration dans les relations interindividuelles, le télétravail entrave l’apprentissage de son métier, ajoute Daphnée Breton. Quand on débute, on a souvent la maîtrise des connaissances académiques, mais pas les compétences et l’expertise du métier qu’on exerce, qui eux se construisent sur le terrain. Le faire seul et éloigné des autres, ne crée pas les meilleures conditions pour ces jeunes. » Et si nous avons besoin à tout âge de feedbacks pour progresser professionnellement, ce besoin est d’autant plus prégnant en début de carrière et ce fait plus difficilement à distance selon Célia : « Ce n’est pas rien de caler un rendez-vous en visio ou un appel téléphonique avec quelqu’un, cela rend la chose tout de suite plus solennelle… Quand je suis au bureau, il me suffit de taper sur l’épaule de quelqu’un pour lui poser une question et c’est réglé ! Je me permets davantage de solliciter les autres y compris des personnes qui sont dans d’autres équipes que la mienne et leur apport est très enrichissant. »
C’est également ce que regrette Théo avec le travail à distance : « Je sens bien qu’on me reprend moins sur ces erreurs, j’ai l’impression de perdre des informations et des conseils précieux. » Pour notre experte, ce tutorat éloigné peut générer la crainte permanente de mal faire chez ces débutants. Notamment car les retours par mail peuvent paraître plus froids et ne répondent pas toujours à toutes leurs questions. Une distance qui rend également l’assimilation des codes de l’entreprise plus difficile, car elle celle-ci fonctionne essentiellement par mimétisme au contact des autres.
… et délimiter le pro du perso
« Je comprends que certaines personnes soient plus productives chez elles, mais moi c’est l’opposé : j’ai beaucoup de difficultés à me concentrer. Je ne flâne même pas sur les réseaux sociaux, c’est juste que je ne me sens pas “en condition” : chez moi, je n’arrive pas à me dire que je suis au travail ! », confie Célia. Tout comme Jules qui confesse se laisser plus vite distraire par ce qui l’entoure comme par une vaisselle à faire qui traîne dans l’évier par exemple… Il faut dire que plus on est jeune, plus, la plupart du temps, le logement est petit. On bosse alors sur un coin de table de notre salon-chambre-cuisine qui n’a pas besoin de la nouvelle fonction bureau.
Un espace restreint sans garde-fous pour sonner la fin de la journée travaillée : « Chez moi je continue à répondre aux mails jusque tard dans la soirée sans même m’en rendre compte, raconte Jules. Typiquement, si j’ai accès à un bureau, l’ambiance studieuse stimule mon envie de bosser, je suis plus concentré et en fin de journée je laisse mon ordinateur et c’est terminé. » En proie aux mêmes difficultés pour cloisonner sa vie privée, Célia explique avoir développé une éthique personnelle stricte à ce sujet : « Je travaille sur mon lieu de travail, je vis dans mon lieu de vie, point. Quitte à me rendre dans des locaux quasi vides au mois d’août ou la veille de noël, c’est toujours mieux que de bosser chez moi. »
Une délimitation stricte qui serait une bonne façon de se protéger du risque d’hyperconnexion pour Daphnée Breton : « L’ordinateur portable et le smartphone nous empêchent de couper avec notre job. Quand on a plus de bouteille, on arrive plus facilement à dire stop. Mais en début de carrière c’est difficile de poser des limites, surtout quand, encore une fois, on n’a pas forcément eu de modèle, qu’on n’a pas pu observer la pratique des équipes. »
À contre courant
« Mon point de vue anti-télétravail étonne beaucoup, notamment quand j’en parle avec ma tutrice, d’autres collègues ou même d’autres étudiants de mon âge. Je comprends que pour les autres c’est synonyme de flexibilité, et que l’on est probablement une minorité à ne pas aimer ça, mais à part le fait de me lever plus tard le matin je n’y trouve pas mon compte. Et encore : j’apprécie la transition que m’offre le trajet avant de me rendre au travail », explique Célia qui n’a posé qu’un jour de télétravail sur les douze annuels dont elle bénéficie à la grande surprise de son équipe.
Jules aussi détonne au sein de son groupe d’amis qui plébiscitent en majorité le travail à la maison : « J’ai des amis qui rêvent d’être en full remote ! Mais on n’a pas tous les mêmes besoins, cela dépend du métier, du secteur d’activité et beaucoup selon moi de la personnalité de chacun. » Sans enfants, avec peu d’obligations, ils confient avoir moins besoin de jongler avec des contraintes domestiques, même si la situation pourra évoluer dans le temps comme l’analyse Théo : « J’apprécierais sûrement d’être en télétravail le mercredi pour m’occuper de mes futurs enfants, mais pas aujourd’hui. »
Bosser à l’ancienne
Rejoindre un collectif, venir travailler tous les jours au bureau, privilégier les rendez-vous et les échanges réels au détriment du virtuel… contrairement aux idées reçues sur les digital natives, la jeune génération voudrait-elle travailler « à l’ancienne » ? À cette question, Daphnée Breton aime à rappeler qu’à l’instar de leurs aînés, la plupart des jeunes actifs cherche avant tout la sécurité de l’emploi.
« On parle beaucoup du travail hybride, de la volonté des jeunes de travailler en autonomie, de casser les codes…, mais en début de carrière, ils souhaitent avant tout un minimum de sécurité et un salaire décent, précise la psychologue du travail. Le rapport de force ne s’est pas encore inversé : les employeurs restent dominants sur le marché du travail sans proposer de plan de carrière à long terme. Charge aux individus de les construire eux-mêmes, d’où le besoin de monter vite en compétences pour ces jeunes, bien conscients de la situation. » En fin de compte, il semblerait que nombre de jeunes aient envie d’embrasser les codes classiques du monde de l’entreprise, avant peut-être de les casser, mais dans un deuxième temps.
Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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