Thibaut Dupont : « On peut être agriculteur et vivre correctement de son travail »
Mar 07, 2023
6 mins
En un demi-siècle, le nombre d’exploitations a été divisé par quatre en France et la moitié des agriculteurs encore en activité doivent partir à la retraite d’ici dix ans. En cause de ce désamour, un métier très prenant qui génère peu de revenus. Si les plus passionnés ont de quoi être découragés, Thibaut Dupont et sa compagne Elsa Jirou, auteurs de Dans votre potager, tout va pousser (Éd Larousse, 2023), nous montrent qu’il est pourtant possible de vivre correctement du travail de la terre en suivant quelques conseils.
Il y a quelques années, la mutualité sociale agricole (MSA) a fait grand bruit en annonçant qu’un tiers des agriculteurs gagnaient moins de 350 euros par mois. Si le chiffre a depuis été contesté, dans l’imaginaire collectif, l’agriculture ne permet pas de vivre de son travail. Qu’en est-il réellement ?
Thibaut Dupont : Il est difficile de faire des généralités dans l’agriculture parce que ce n’est pas la même chose de reprendre une exploitation familiale que d’avoir tout à construire. Ça dépend aussi de la culture que l’on choisit, on ne gagne pas les mêmes revenus si l’on fait du vin, des légumes, des grandes cultures où l’on reçoit beaucoup d’aides de la PAC, de l’élevage… Dans notre cas, lorsqu’on s’est lancé avec ma compagne en 2016 dans le maraîchage sur petite surface, on avait pour objectif de montrer qu’il était possible de se verser un salaire décent en ne se tuant pas au travail.
Avant de changer de vie, vous étiez tous les deux journalistes à Paris depuis dix ans. Quel a été le déclic ?
Notre décision a été motivée par deux choses. D’abord, je trouvais que le métier de journaliste n’était plus vraiment utile. Dans notre société, je ne pense pas qu’on manque d’informations et c’est d’ailleurs devenu un problème : comment arriver à faire le tri dans ce flux continu ? Si on prend le sujet de la crise écologique, le débat est devenu stérile, on sait tous quel est le problème, quelles vont être les conséquences et plus ou moins ce qu’il faut faire. On a suffisamment analysé le problème, maintenant, il faut passer à l’action. Le deuxième point, c’est que nous voulions des enfants et qu’il nous semblait impensable de les élever à Paris. En changeant de vie, nous voulions répondre à plusieurs objectifs : avoir un métier utile, utiliser nos mains autant que notre tête, vivre dans la nature. Donc même si ce monde de la paysannerie nous était étranger, il nous a semblé réunir l’ensemble de ces critères.
Dans votre livre, vous expliquez que ni vous ni votre compagne n’avez de famille dans l’agriculture et que vous n’aviez jamais cultivé un bout de jardin avant de vous lancer. Ce n’était pas un peu utopique comme projet ? Quid de la peur de se planter (désolée pour le jeu de mots) ?
Il faut le dire, il y a six ans, on n’y connaissait absolument rien. Je n’avais jamais planté une salade, c’est pour dire. C’est aussi une des raisons qui nous a poussés à écrire ce livre : aider celles et ceux qui rêvent de se lancer, mais qui n’osent pas parce qu’ils n’ont pas les connaissances pour établir un plan d’action et s’en sortir. Après, concernant la peur de se lancer, beaucoup de nos amis nous disent qu’on est super courageux d’avoir sauté le pas et je comprends que l’on puisse voir les choses comme ça. Après, je n’ai jamais eu l’impression d’avoir fait preuve d’un courage particulier. J’y ai toujours cru et au pire, si ça n’avait pas marché, ça n’aurait pas été une catastrophe.
Justement, vous vous êtes laissés combien de temps pour que le projet soit viable?
Lorsque nous avons quitté BFM TV, nous avons pu cumuler l’allocation chômage avec la rémunération générée par notre nouvelle activité. C’est possible dans l’agriculture, mais plus généralement lorsqu’on se lance en freelance ou lorsqu’on monte une structure pendant sa période de chômage.
Dans notre cas, on s’était donné l’échéance de six mois pour trouver une ferme et un terrain qui rassemblait l’ensemble de nos critères : au moins trois hectares, une prairie non pâturée avec des haies et des arbres, un point d’eau (source, mare, bordure de ruisseau), un logement habitable (difficile de rénover une maison et de s’occuper d’un terrain en même temps) et pas de proximité directe avec un champ traité aux pesticides. Trois semaines après avoir commencé les visites, on a trouvé. C’était un peu rapide. Une fois qu’on a fait l’offre, on ne pouvait plus faire marche arrière. Ça fait un peu peur, mais c’est le lot de toutes les aventures. Et au pire, une maison, ça se revend.
Pour le reste, il a fallu qu’on passe des diplômes, j’ai fait un BPREA (brevet professionnel responsable d’entreprise agricole) et Elsa, un bac pro productions horticoles par correspondance alors qu’elle était enceinte. Au bout de la deuxième année, on a pu se verser l’équivalent d’un SMIC chacun.
Le maraîchage, c’est ce qu’il y a de plus simple pour commencer ?
Je ne sais pas si c’est ce qu’il y a de plus simple, puisque l’apiculture et les ateliers de poules pondeuses ne nécessitent pas beaucoup de connaissances à l’installation. Mais je dirais que le maraîchage fait partie des spécialités pour lesquelles on n’a pas besoin de mettre un gros billet à l’installation. Lorsque nous nous sommes lancés à la ferme des Gobettes, nous avons investi un peu moins de 40 000 euros. Pour vous donner un élément de comparaison, si nous avions voulu faire de l’élevage de bovins ou des grandes cultures céréalières, l’investissement aurait dépassé plusieurs millions d’euros.
Pour quelqu’un qui voudrait se lancer, vous diriez que deux ans c’est l’échéance à garder en tête pour savoir si ça va marcher ou non ?
Je pense qu’il faut compter entre deux et quatre ans selon le contexte. Si ça a été rapide dans notre cas, c’est parce que nous avons trouvé un terrain qui s’y prêtait bien, nous savions exactement ce que nous voulions faire avec notre notre microferme, et enfin, nous nous sommes aussi très bien intégrés dans le territoire dans lequel on venait de s’installer, ce qui nous a aidé à trouver notre clientèle.
En parlant de clientèle, qu’est-ce que vous conseillez entre la vente directe à la ferme, aux restaurants ou la grande distribution ?
Un de nos objectifs quand on s’est lancé : développer l’attractivité d’un territoire en faisant en sorte que nos clients vivent dans le coin. Après, c’est une histoire de rencontre, parfois ça marche et d’autre fois, non. Comme notre ferme se trouve à 1h40 de Paris, on s’est dit qu’au pire, on ferait des marchés à Paris et des paniers dans les entreprises dans lesquelles nous avions travaillé. Une pression en moins. Finalement, on n’a pas eu besoin de plan B et on a réussi à s’intégrer. Au début, on avait cette image de couple de bobo parisiens qui venaient faire des légumes à la campagne, mais très vite, ils ont vu qu’on travaillait bien et ils ont été de plus en plus nombreux à nous acheter nos légumes.
Aujourd’hui, nous vendons nos légumes à la ferme, mais aussi en biocoop et à deux restaurants parisiens. Pour s’en sortir financièrement, c’est une obligation d’avoir différents canaux de distribution et nous l’avons bien vu avec le Covid ; des paysans qui vivaient bien de leur travail, ont connu deux années très compliquées quand les restaurants ont fermé leurs portes. Après, il faut bien réfléchir aux contraintes du territoire, ce n’est peut être pas une bonne idée d’ouvrir une Amap (association pour le maintien d’un agriculture paysanne entre un groupe de consommateurs et un agriculteur) si vous vous êtes installé au fin fond de la Lozère où il y a deux habitants au kilomètre carré.
Vous dites qu’il faut diversifier les canaux de distribution, mais aussi les cultures. Pour quelle raison ?
Maintenant vous savez qu’on y connaissait rien au début (rires), donc le fait de devoir remplir trente-cinq paniers chaque semaine, c’était un peu stressant. L’avantage quand on diversifie ses cultures, c’est qu’on peut rater une série de haricots ou de concombres, il y aura toujours de quoi remplir les paniers. Il ne faudrait vraiment pas avoir de chance en ratant tout en même temps !
Vous entamez votre sixième année d’exploitation à la ferme des Gobettes, comment imaginez-vous les années à venir ?
On a atteint notre objectif : on arrive à bien vivre de notre activité pour des heures de travail plus ou moins décentes. Nous savons déjà que nous n’allons pas agrandir l’exploitation puisque notre modèle, c’est la microferme. Après, on n’arrête pas de nous demander si nous faisons des formations pour des jeunes paysans qui voudraient se lancer. Je pense qu’on va finir par développer ce volet pour contribuer à notre échelle à la création de plus en plus de micro fermes sur le territoire français.
On est à un moment charnière : avec l’augmentation des coûts des matières premières, de l’énergie, des engrais, des semences… Nos prix deviennent de plus en plus compétitifs face à des légumes qui poussent toute l’année sous des serres chauffées et éclairées.
Enfin, quel conseil donneriez-vous à une personne qui hésite à se lancer ?
Si l’on vient à se poser la question d’ouvrir une ferme, ça veut dire que dans son quotidien, le métier que l’on fait, l’organisation de sa vie, l’endroit que l’on habite…, il y a sûrement quelque chose qui cloche ou qui ne nous convient plus. Je ne dis pas qu’il faut que toutes les personnes qui vivent dans les grandes villes partent à la campagne, on est pas tous fait pour ça, mais si on en a vraiment envie, il faut oser sauter le pas. La vie passe vite, demain on peut être renversé par une voiture et c’est terminé. Si vous avez peur, demandez-vous de quoi justement : qu’est-ce qui peut mal se passer ? Oui, vous pouvez perdre de l’argent, du temps, mais ça peut aussi bien se passer. Après, il ne faut pas tout idéaliser, si vous bossez dans le tertiaire en ville, il faut avoir en tête que votre cadre de vie va changer, vous achèterez moins de choses. Mais ça ne veut pas dire que vous vivrez moins bien, que vous serez moins heureux et que vous allez devenir des amish !
Article édité par Aurélie Cerffond ; Photographie de Thomas Decamps
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