Corentin Eveno : « La répartie nous est utile à chaque moment de notre vie »
15 may 2024
8 min
Ancien adolescent bègue et timide, devenu champion d’éloquence, le jeune homme de 26 ans maîtrise désormais son débit de parole mitraillette. Enseignant en école de commerce, il conseille et coach personnalités politiques, chefs d’entreprise et avocats. L’auteur de « L’art d’avoir toujours réponse à tout, guide pratique de la répartie » (à paraître en juin aux Editions Eyrolle), dissèque pour nous, les réflexes et astuces pour avoir du répondant au travail et dans la vie.
Comment devient-on conseiller en prise de parole en public quand on est un ancien enfant bègue, timide maladif de surcroît ?
Enfant, j’avais un débit de parole très rapide et je butais sur les mots. Comme disait mon papa à l’époque, on avait besoin d’un « dé-cocodeur » (Coco était mon surnom) pour me comprendre. Que ce soit au téléphone ou pour demander du pain à la boulangerie, toute prise de parole était angoissante, sauf à la maison ou avec mes amis. À l’école, je participais peu évidemment, mais j’étais très bavard avec mes copains. Et mes oraux n’ont jamais été catastrophiques non plus. Je ne vivais pas ce bégaiement comme un handicap, c’était simplement ma façon de parler et je faisais avec. Après le bac, je voulais m’inscrire en droit, mais impossible de m’imaginer prendre la parole en public comme avocat par exemple ! Je dois tout à des anciens élèves venus présenter un concours d’éloquence pendant ma prépa. Ils ont réussi à me convaincre de m’y inscrire alors que c’était vraiment la dernière chose à laquelle je pensais. Une prise de parole a changé ma vie, si bien que j’en ai fait mon métier !
Comment vous êtes-vous préparé à votre premier concours d’éloquence ?
J’ai regardé toutes les vidéos de concours d’éloquence que j’ai pu trouver. Je devais assurer une plaidoirie civile sur une rupture de fiançailles et il fallait défendre l’une des deux personnes du couple. J’ai très vite écrit mon texte, et passé cinq jours à le répéter en boucle en m’enregistrant. Je me souviens avoir buté quarante cinq minutes sur une phrase avant de la modifier, et d’enrichir chaque jour mon vocabulaire. Si le jury m’a retenu, il faut avouer qu’il n’y avait pas non plus de quoi crier au génie. Mais pour moi, quel défi relevé ! Au fur et à mesure des tours, j’ai pris confiance et j’ai réussi à tenir jusqu’en demi-finale, en robe d’avocat devant 300 personnes.
Vous vous êtes ensuite pris au jeu…
L’angoisse du premier concours s’est peu à peu transformée en plaisir. Au bout d’une trentaine de présentations, je suis devenu accro à la parole. C’est mon côté obsessionnel, après les jeux vidéo, la magie, la littérature, c’était au tour de l’éloquence de devenir une passion, qui contrairement aux précédentes ne s’est jamais arrêtée.
En vous appuyant sur votre expérience d’enseignant et de coach vous avez choisi d’écrire un guide pratique de la répartie intitulé L’art d’avoir toujours réponse à tout (Ed. Eyrolles). Pourquoi précisément la répartie et pas seulement des conseils en prise de parole en public ?
Je me suis rendu compte que parler en public c’est important, mais cela reste occasionnel et réservé à certains publics, alors que la répartie nous est utile à chaque moment de notre vie. La répartie, c’est aussi être avec l’autre, dans une interaction saine et constructive, et non pas simplement dans une juxtaposition de monologues stériles. Le Robert en donne une définition simple : c’est une réponse rapide et juste. La justesse me paraît essentielle, car il ne suffit pas d’avoir une répartie spectacle, comme les célèbres punchlines de Laurent Baffie. Ça ne marche pas dans la vraie vie ! « Juste » signifie atteindre l’effet recherché : convaincre son auditoire et faire avancer la discussion en étant à l’écoute avec empathie. Lors d’une joute orale, il est essentiel de comprendre ce que provoquent nos mots et ce qui se cache derrière ceux de l’autre orateur.
« Savoir dire au monde ce que l’on veut, c’est avoir une chance de l’obtenir »
Est-ce important d’avoir du répondant au travail, ne peut-on pas s’en passer ?
Avoir de la répartie, c’est être capable de prendre une place dans la société en défendant ses idées ou ses croyances. Or savoir dire au monde ce que l’on veut, c’est avoir une chance de l’obtenir. Je ne pense pas qu’on puisse s’en passer ! Dans le cadre professionnel, il faut distinguer être à l’aise à l’oral, et être bon à l’oral : ce n’est pas qu’un souci d’efficacité, mais un confort du quotidien avant d’aller d’assister à une réunion, à un brief client ou en entretien en sachant rebondir quelle que soit la situation.
En quoi l’écoute de l’autre est essentielle ?
C’est le conseil numéro un : les remarques que l’on reçoit sont souvent sur-interprétées. L’émotion nous paralyse car on se sent attaqué, et c’est là qu’on manquera de répartie. Avec du recul, on réalise que ces propos sont rarement personnels. Je conseille pour contrer ça de lister les critiques reçues pour mieux les analyser et ainsi mieux les déconstruire. Si au travail votre manager vous adresse des feedbacks négatifs, demandez-vous ce qui se cache derrière. « Pourquoi m’a-t-il dit ça ? Est-ce pour me descendre, ou alors ai-je vraiment fait des erreurs, ou était-il simplement de mauvaise humeur, etc.. ? » Cela permet de prendre de la distance et garder en tête vos réponses lorsque vous affronterez à nouveau la situation.
Dans votre guide, vous abordez des techniques de respiration, cohérence cardiaque, méditation… En quoi peuvent-elles nous aider ?
Les exercices de cohérence cardiaque fonctionnent à très court terme, l’inspiration stimule le système nerveux sympathique (celui qui augmente la fréquence cardiaque) et l’expiration le parasympathique (qui apaise). Une des méthodes les plus connues et efficaces est le 3-6-5 : trois fois par jour, six respirations par minute (cinq secondes d’inspiration, cinq secondes d’expiration) pendant cinq minutes. On peut les pratiquer juste avant une prise de parole importante pour déstresser. Et ça marche !
« Les grands orateurs ont souvent testé des dizaines de fois l’impact de leurs citations ou de leurs réflexions sur leur public »
La méditation, que j’ai apprise lors d’un stage au Népal, est efficace sur le long terme. Elle se déroule en trois étapes : je focalise mon attention sur un élément, une flamme ou ma respiration, je dérive naturellement dans mes pensées, j’en prends conscience, puis je reviens sur l’élément comme point de fixation. Il ne s’agit pas de vider ses pensées, mais de les observer. Rendre cette pratique quotidienne, les yeux ouverts, dans des lieux réels, aide vraiment à trouver les réponses en répartie.
Donc avoir de la répartie ne signifie pas forcément répondre du tac-au-tac. Le temps et le silence ont-ils leur rôle ?
Evidemment ! Le silence doit cependant être un choix et pas une contrainte. C’est aussi une technique subtile pour gagner du temps afin de comprendre l’autre, et trouver une réponse appropriée. Dans un débat, une discussion ou un entretien d’embauche, le temps est difficile à maîtriser car il y a une distorsion entre la réalité et l’impression. Une pause vous paraît une éternité, et pourtant elle sera invisible pour vos auditeurs. On peut s’entraîner à laisser trois secondes après chaque point. Le pic de stress étant là au moment de la prise de parole, mieux vaut le laisser passer et en profiter pour reprendre son souffle.
Vous assurez qu’on peut avoir de la répartie sans aucune prédisposition particulière. Alors quels dispositifs mettre en place ?
La formulation de la réponse est au cœur d’une bonne répartie. On peut en effet avoir des prédispositions, mais, comme le sport de haut niveau, c’est une pratique assidue et répétée qui nous rend vraiment meilleur. Les grands orateurs ont souvent testé des dizaines de fois l’impact de leurs citations ou de leurs réflexions sur leur public. Et ils s’améliorent jusqu’à trouver la phrase choc. La difficulté, c’est que chaque situation va avoir ses règles. Le plus important est donc de s’appuyer sur l’autre : lors d’une réunion où les points de vue s’affrontent, ne cherchez pas le meilleur argument mais celui qui a le plus d’effet sur votre interlocuteur, en vous demandant d’abord sur quel terrain aller. Instinctivement, j’utilise des canevas, comme des dessins à colorier. Il s’agit de plans types avec trois étapes. 1 : je me focalise sur une idée, 2 : je l’annonce, je l’explique, 3 : enfin je l’illustre. Et je profite de chaque étape pour penser à la suivante, ce qui évite les va-et-vient tout en ayant l’avantage de la concision.
Ces canevas s’appliquent-ils au monde du travail, auriez-vous un exemple ?
Cette assertion est valable dans les contextes argumentatifs, donc dans le monde professionnel, dès qu’on est amené à argumenter. Imaginons une situation où vous devez convaincre votre patron d’adopter une nouvelle méthode de travail pour améliorer l’efficacité de l’équipe. Plutôt que de simplement présenter des arguments basés sur des données et des chiffres, vous pouvez prendre en compte les préoccupations de votre patron et les défis spécifiques auxquels il est confronté. S’il est particulièrement préoccupé par la rentabilité et la productivité de l’équipe, vous pourriez souligner comment cette nouvelle méthode peut augmenter le rendement et réduire les délais de livraison, avec des gains financiers pour l’entreprise à la clef. S’il s’avère plus sensible à la satisfaction des employés et à la réduction du stress au travail, vous pouvez mettre dans la balance l’équité dans la répartition de la charge de travail, la collaboration et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Vous dévoilez dans ce livre votre méthode des tiroirs, un classique du discours politique ou des humoristes d’impro. En quoi consiste-t-elle ?
Imaginez un meuble rassemblant un ensemble de techniques, d’effets de style ou de références qu’on utilise régulièrement quand une même situation se présente plusieurs fois. C’est le cas du « Ben voyons » qu’Eric Zemmour utilise à l’envi pour se sortir d’une question piège. Chacun doit trouver son style. Les plus faciles sont l’autodérision et l’égo trip. À chaque attaque, je peux surenchérir à mon égard. Eminem avait fait ça dans un rap, le stand uper et chroniqueur Paul Mirabel est aussi un spécialiste. Quelqu’un qui ose rire de lui-même a aussi une grande confiance en lui. C’est mieux que créer une escalade en répondant ou en se vexant ! Quant à l’égo trip, il permet de feindre l’arrogance, en se mettant très en valeur, toujours avec humour évidemment. Et il a le bénéfice de convaincre à force de répétition… Pour que ce soit juste, il faut vous demander l’effet que vous voulez provoquer et appliquer le style que vous avez travaillé qui correspond le mieux pour cela.
« C’est vrai que j’ai très peu de barbe je vous l’accorde, mais j’ai beaucoup d’expérience ! »
Comment transposer l’autodérision et l’égo trip au monde de l’entreprise ou des relations professionnelles ?
Imaginons un dirigeant d’une entreprise d’informatique qui doit assurer une présentation en réunion. Au début de la réunion, il souffre d’un problème technique. Plutôt que de paniquer, l’autodérision fera gagner du temps en disant : « Heureusement que vous êtes là parce que vous pouvez constater que je suis très mauvais en informatique ». Avec l’option égotrip cela donne : « Soyez sereins, je suis dirigeant de la meilleure entreprise d’informatique avec les meilleurs collaborateurs au monde, ce sera réglé dans deux minutes ! » Dans mon métier, j’ai un tiroir egotrip que j’utilise souvent. En cas de compliment sur un conseil donné, je réponds très souvent : « Je sais, c’est mon métier ! » De même, j’utilise souvent l’auto-dérision en cas de remarque sur mon jeune âge par rapport à mon métier. « C’est vrai que j’ai très peu de barbe je vous l’accorde, mais j’ai beaucoup d’expérience ! »
Vous êtes encore jeune, et on vous le reproche parfois sur les réseaux sociaux… Quelle a été votre réaction ?
J’ai eu un gros bad buzz sur Twitter (désormais X) généré par un utilisateur qui avait qualifié une de mes vidéos de « gênante ». Il est vrai qu’elle n’était pas aussi drôle que je l’aurais voulu, mais la machine s’est emballée. On ne fait pas l’unanimité, la répartie sert à ça aussi ! J’aurais réagi si cela remettait en cause tout mon travail. J’ai simplement fait l’autruche et choisi l’indifférence. Si les remarques des réseaux sociaux sont constructives, j’y réponds. Si elles sont personnelles, j’essaye de comprendre ce qui se cache derrière pour répondre au fond du problème. J’ai reçu par exemple ce commentaire : « Je n’ai absolument rien compris à votre vidéo ; si vous voulez être journaliste faites des études au lieu de produire des bouses comme celle-ci ». Je me suis concentré sur « Je n’ai rien compris » en donnant des explications plus précises, et en laissant de côté l’insulte. Je ne réponds jamais à une insulte par une autre insulte : soit je ne réponds pas, soit j’essaye d’en comprendre les motifs.
Quel type de répartie nourrir sur un réseau social professionnel tel que Linkedin ?
L’enjeu numéro Un sur les réseaux est toujours la crédibilité, que l’on va mettre en place via notre manière d’écrire ou par la valeur apportée. C’est ce qu’on appelle l’Ethos en rhétorique. Il faut donc toujours se demander avant de répondre à un commentaire : « Ma réponse favorise-t-elle ou nuit-elle à ma crédibilité ? » Je conseille d’essayer de chercher ce qui se cache réellement derrière un commentaire négatif pour pouvoir répondre au fond du problème plutôt qu’à la forme de la critique, soit en lisant entre les lignes, soit en questionnant sur les raisons du commentaire. Et évidemment ne pas prendre les choses trop à cœur et garder à l’esprit que la personne critique uniquement un seul post qu’elle a vu, et qui est loin d’être représentatif de notre activité.
Article rédigé par Caroline Douteau et édité par Aurélie Cerffond, photo de Thomas Decamps.
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