Paris : passage obligé, rêve ou repoussoir pour les jeunes diplômés

Alix, étudiante en droit, a sauté le pas de « monter à la capitale » lorsqu’elle avait 21 ans. Après dix-huit ans de vie dans sa Vendée d’origine, suivis de trois années de licence à Angers, à une heure et demie du cocon familial, elle a jugé être prête pour plonger dans le grand bain parisien. « Me déraciner, c’était un pari que je voulais relever », explique-t-elle. Les pas prudents d’Alix vers la capitale font écho aux parcours de nombreux étudiants et jeunes diplômés néo-parisiens, partis à la recherche de nouvelles opportunités, souvent loin de chez eux.

Pour certains, la greffe parisienne prend

« Paris était comme un aimant pour moi », rapporte Alix. Malgré ses clichés qui n’en sont pas vraiment - à savoir des Parisiens toujours pressés et pestant contre des désagréments souterrains en tout genre - la Ville Lumière attire. Chaque année, le nombre d’arrivées de jeunes (18 - 29 ans) qui viennent débuter ou poursuivre leur carrière professionnelle dépasse celui des départs de cette tranche d’âge. En 2018, ce ne sont pas moins de 51 800 jeunes qui sont venus débuter ou poursuivre leur carrière professionnelle dans la métropole du Grand Paris selon l’Insee. La moitié provient de province ou des DROM tandis que l’autre moitié déménage depuis une commune située en Île-de-France. Cette migration parisienne des étudiants et des jeunes actifs en dit long sur les beaux restes de la centralisation.

Après tout, les lycéens l’apprennent en premier : la France est un pays monocéphale, autrement dit, à une seule tête. « La ville offre tellement d’opportunités qu’on ne sait plus où donner de la tête, explique Alix. J’ai rencontré plus d’étrangers et fait plus de musées en une année dans la capitale, qu’en dix-huit ans en Vendée. C’est aussi ici que j’ai pu me former un réseau tant amical que professionnel. » En plus d’être un terreau particulièrement fertile socialement et culturellement, Paris dispose d’un réseau dense d’établissements d’enseignement supérieur et d’un marché du travail des plus dynamiques, ce qui en fait l’une des plus belles zones de chalandise pour les étudiants et les jeunes diplômés.

L’Île-de-France (qui comprend les académies de Créteil, Paris et Versailles) est le principal pôle d’enseignement supérieur en France et en Europe : la région accueille plus du quart des effectifs d’étudiants du territoire national, tandis que la ville de Paris accueille à elle seule plus d’une centaine d’établissements du supérieur. La capitale - connue pour abriter certaines des meilleures écoles et universités du pays - regorge de belles opportunités pour ceux rêvant d’excellence et souhaitant intégrer des métiers très sélectifs. Etudier dans une prestigieuse université de la rive gauche réputée pour la qualité de son enseignement en droit relève pour Alix d’un premier accomplissement. « Plus encore que d’avoir des cours de qualité, c’est surtout l’idée de pouvoir aborder le marché du travail avec plus de sérénité qui m’a séduite. Avoir “l’étiquette” Sorbonne sur mon CV me rassure. Et c’est une tranquillité d’esprit qui, dans mon cas, était conditionnée à ma venue sur Paris », précise-t-elle. À l’issue de ses études en droit, Alix projette de passer le concours du Barreau de Paris, et rester dans la capitale pour profiter du dynamisme du marché du travail parisien.

« Trouver un stage est déjà assez compliqué comme ça. Donc exclure Paris, à savoir le centre économique et financier du pays, où se trouvent les sièges sociaux, c’est être prêt à tirer un trait sur de très nombreuses opportunités de stage et d’emplois, et un réseau pro de grande qualité », Faustine, étudiante en école de commerce

Un mal nécessaire pour une insertion professionnelle réussie

Si pour certains étudiants, à l’instar d’Alix, quitter la province pour Paris est un levier stratégique pour favoriser leur réussite professionnelle, pour d’autres, ce choix est moins stratégique que contraint. C’est le cas de Faustine, 24 ans, qui, à l’issue de ses deux années de classe préparatoire dans un lycée réputé de Paris, était très heureuse d’intégrer une école de commerce à Grenoble, loin de l’agitation de la capitale. « J’avais l’impression d’étouffer à Paris et dans ma chambre de bonne de 12m2. C’était comme un gros rouleau compresseur auquel j’avais hâte d’échapper. »

Mais à son plus grand regret, Faustine a dû rebrousser chemin vers la capitale pour effectuer deux de ses stages en marketing dans de grands groupes commerciaux. « Trouver un stage est déjà assez compliqué comme ça. Donc exclure Paris, à savoir le centre économique et financier du pays, où se trouvent les sièges sociaux, c’est être prêt à tirer un trait sur de très nombreuses opportunités de stage et d’emplois, et un réseau pro de grande qualité. » Pour Faustine, Paris est un passage obligé mais temporaire, un mal nécessaire pour une carrière professionnelle réussie. « Je ne me voyais pas risquer de changer la trajectoire de ma future vie pro sous couvert que je n’aimais pas le métro et la grisaille parisienne. J’espère pouvoir capitaliser sur mon début de carrière à Paris et quitter la ville une fois que j’aurais un bon bagage. Pour moi c’est un sacrifice de quelque temps et qui, je l’espère, en vaudra la chandelle. »

Paris à l’épreuve d’une intégration compliquée

Quitter la région où l’on a grandi pour « monter à la capitale » n’est pas une mince affaire. Si pour certains, la greffe prend, pour d’autres, elle implique des complications. Difficultés à joindre les deux bouts, isolement du cercle social, déracinement culturel, nouveau rythme de vie : trouver sa place dans une ville nouvelle, chère, dense et anonyme demande une grande capacité d’adaptation.

À son retour dans la capitale pour son premier stage, la prise de conscience de Faustine a été rude. « J’ai reçu la même claque que lorsque je suis arrivée à Paris en prépa il y a cinq ans, confie-t-elle. Je me sens toujours en décalage par rapport à ceux qui m’entourent, surtout financièrement. J’ai l’impression que la ville concentre une grande partie des étudiants les plus aisés et les plus privilégiés, qui peuvent se permettre de profiter de la vie parisienne aux prix exorbitants, alors que je ne fais que de la toucher des yeux. Vivre ici, c’est vivre au-dessus de mes moyens, donc je fais très attention à mes dépenses, d’autant plus que j’ai déjà un lourd prêt étudiant qui pèse sur mon dos. »

« Beaucoup de parisiens et même de provinciaux (comme disent les parigots) pensent que Paris est la voix d’or pour réussir, alors que beaucoup d’autres villes présentent des atouts qui la valent tout autant », Antonin, 27 ans, designer graphique

Ces étudiants et jeunes diplômés qui arrivent à Paris ne sont cependant pas les plus démunis. Selon un rapport mené en 2018 par l’Observatoire des territoires, la migration vers les grandes métropoles est socialement sélective. Quitter sa région est surtout l’apanage des mieux nantis, à savoir de ceux qui sont davantage dotés en capital social et scolaire et de ce fait, mieux préparés à la mobilité. Celle-ci est donc plus fréquente dans les milieux sociaux supérieurs. C’est en tout cas ce que confirment les dires du sociologue Elie Guéraut dans un article du Monde : « L’attachement au territoire est une caractéristique forte dans les milieux les plus modestes. Ailleurs, on socialise et on initie ses enfants à la mobilité très tôt. »

La capitale, mais pas que

Antonin, 27 ans, aujourd’hui designer graphique, a pour sa part refusé il y a quelques années d’aller faire ses études à Paris, notamment en raison de la mauvaise expérience de sa sœur aînée dans la capitale. « Je me souviens qu’elle avait l’impression d’être dans un autre monde, très élitiste et fermé. Une sorte de microcosme qui ne collait pas du tout avec l’éducation que nous avions reçue. Mais aujourd’hui, elle s’y est faite, a développé son propre réseau et est devenue une “vraie parisienne”. » Un tel déracinement spatial s’accompagne en effet souvent d’un sentiment de déconnexion socioculturelle. Ce sentiment de ne pas être à sa place est souvent ressenti par les classes moyennes et populaires dans une ville où les codes sociaux sont primordiaux, en particulier dans certaines filières élitistes où règne l’entre-soi.

Bayonnais d’origine, Antonin a préféré poursuivre ses études à Toulouse : la ville préférée des étudiants. « Beaucoup de parisiens et même de provinciaux (comme disent les parigots) pensent que Paris est la voix d’or pour réussir, alors que beaucoup d’autres villes présentent des atouts qui la valent tout autant », défend-t-il. En plus d’une offre de formation dense, de nombreuses classes préparatoires et de grandes écoles, Antonin vante le coût plus abordable de la Ville rose, sans oublier « l’ambiance chaleureuse du sud ». Tout comme 70% des diplômés des grandes villes universitaires (Paris, Lyon ou Toulouse), Antonin a préféré s’insérer professionnellement dans le département où il a obtenu son diplôme. S’il n’avait pas exclu au départ la possibilité de s’installer à Paris pour lancer sa carrière, il estime que les liens qu’il a tissés au cours de ses études avec la communauté locale, ainsi que sa connaissance du marché du travail toulousain, sont des facteurs tout aussi favorables à son intégration professionnelle. « Tout mon réseau est à Toulouse, donc partir à Paris, où je ne connais personne, n’aurait pas forcément été plus profitable pour mon insertion professionnelle. Surtout que je pense pas que j’aurais été épanoui en vivant au milieu du béton parisien », dit-il en riant.

Paris, tu l’aimes, ou tu la quittes

Alors que depuis 2012, la capitale perd près de 11 000 habitants chaque année, ce mouvement d’exode parisien concerne des travailleurs de plus en plus jeunes. Comme Valentin, cadre de 28 ans, qui a largué ses 25 mètres carrés près de Montparnasse et acheté un 50 mètres carrés à Marseille, sa ville natale. Après avoir étudié et entamé une carrière de cadre à Paris, sa décision de quitter la capitale « plus tôt que prévu » a été précipitée par la période du confinement, qu’il a passée dans le sud de la France. « Pour moi c’était le déclic. J’étais moins stressé (malgré ce contexte très anxiogène) et je me sentais ressourcé. C’était comme avoir gagné 10 années de vie ! Mais je sentais mon anxiété remonter rien qu’à imaginer mon retour à Paris », se souvient-il.

« Je suis conscient de la chance que j’ai d’avoir pu quitter Paris sans trop de sacrifices. Ce qui n’est pas forcément le cas de certains de mes amis, qui ont dû renoncer à leur CDI parisien et voir leur salaire baisser », Valentin, 28 ans, cadre

La décision de Valentin de gagner en qualité de vie en s’installant en province fait écho aux parcours de nombreux jeunes diplômés parisiens pour qui le « travail hybride », mêlant distanciel et présentiel, est devenu une norme, voire la condition même pour qu’ils décident de conserver leur emploi parisien. « Avant, j’essayais de me convaincre que Paris était un passage obligé pour quelqu’un de carriériste comme moi, et que de partir signifiait forcément revoir mes ambitions à la baisse », se souvient-il. « Etant arrivé à un point de rupture, j’ai décidé d’en parler avec mon employeur, avec qui j’ai réussi à négocier un taux de présence de cinq jours par mois. » Un salaire parisien en poche, une relation amour-haine avec la SNCF et avec le clic-clac de son pote chez qui il dort lors de ses passages dans la capitale : Valentin a trouvé un équilibre qui ménage sa santé mentale et son portefeuille. « Je suis conscient de la chance que j’ai d’avoir pu quitter Paris sans trop de sacrifices. Ce qui n’est pas forcément le cas de certains de mes amis, qui ont dû renoncer à leur CDI parisien et voir leur salaire baisser. » Malgré ces concessions, aucun d’entre eux ne souhaite revenir en arrière : « C’est souvent un mal pour un bien finalement. »

Si l’on peut observer un « effet Covid-19 » dans l’accélération de l’exode des jeunes actifs à la recherche d’une meilleure qualité de vie et d’un peu plus de chlorophylle, il serait cependant inexacte de qualifier la capitale de repoussoir. Cependant, l’attractivité grandissante des villes de province contribue à rebattre les cartes de la « primauté » parisienne : les perspectives d’avenir professionnel se multiplient et constituent notamment une bonne solution de repli pour ceux pour qui la greffe parisienne n’a pas été concluante.

Article édité par Manuel Avenel, photographie par Thomas Decamps