Managers : comment détecter le harcèlement moral et y faire face

24. 7. 2024

4 min.

Managers : comment détecter le harcèlement moral et y faire face
autor
Laure Ott Libera

Rédactrice et créatrice du podcast « Dis, c’est quoi ton travail ? »

prispievatel

Le harcèlement moral est un délit grave, que l’entreprise a l’obligation de prévenir au quotidien. Quelles sont ses manifestations au travail ? Et comment le manager peut-il l’identifier et agir ?

« Des actes mesquins, des micro agressions répétées, déstabilisantes, insidieuses » : c’est ainsi que Marie Donzel, directrice associée d’AlterNego, décrit l’essence du harcèlement moral. Qu’il soit le fait de l’employeur, de ses représentants, d’un ou plusieurs collègues (quel que soit leur niveau hiérarchique), il se caractérise par la récurrence d’agissements hostiles, de comportements abusifs, de paroles humiliantes ayant pour objet ou effet d’entraîner la dégradation des conditions de travail d’un individu. Des faits pouvant affecter ses droits, sa dignité, sa santé mentale ou physique, compromettre sa carrière… et condamnés par le Code du travail et le Code pénal.

En France, selon le baromètre Qualisocial X Ipsos (2022), 1 salarié sur 3 déclare avoir déjà été victime de harcèlement moral au travail. Pour 62 % des sondés, le harcèlement en entreprise est de plus en plus répandu. Une préoccupation prioritaire pour plus de 50 % des salariés, que seuls 4 % des managers et collaborateurs savent identifier.

Managers : 6 conseils pour détecter et gérer le harcèlement moral au sein de votre équipe

1. Avoir conscience du risque potentiel

« Depuis la révolution industrielle, le travail rime avec hiérarchie, rapport de force, dimension identitaire. Les managers ne voient pas qu’il existe des rapports de force au sein de leur équipe qui ne passent pas par eux ». Or, ils doivent sans cesse avoir en tête les risques psychosociaux (RPS) pour respecter l’obligation de sécurité et de santé de l’entreprise envers ses salariés, dans lesquels on retrouve ce type de violence interne.

  • Conseils : managers, (in)formez-vous. Quels sont les signes de harcèlement, comment (ré)agir d’un point de vue managérial, psychologique, légal ? Sensibilisez aux enjeux des RPS dès l’onboarding : qu’est-ce que le harcèlement moral, quelles sont ses formes et conséquences ? Comment alerter ? Des sujets à aborder via des conférences, des workshops, des campagnes de communication internes.

2. Instaurer un principe de co-vigilance

Il est par ailleurs fondamental de libérer la parole sur la santé mentale des collaborateurs. Pour Marie Donzel, « Les managers ne donnent pas toujours cette autorisation ». Or, ils doivent créer une safe place pour favoriser la co-vigilance. « La plupart d’entre eux n’aiment pas qu’on leur dise “Je trouve que Pierre est très fatigué”. Ils minimisent ou sont démunis. Or, s’ils n’encouragent pas la sécurité psychologique, le partage des ressentis, la situation risque de leur échapper ».

  • Conseils : encouragez vos équipiers à être attentifs à l’état physique, mental, la charge de travail des autres et aux relations interpersonnelles. Un salarié fait régulièrement l’objet de critiques infondées, de propos rabaissants, de moqueries en public par un ou des collègues, ou est écarté des événements de l’entreprise ? Un autre se voit confier une charge de travail excessive, est déclassé, ou n’est pas informé des projets en cours ? Ils doivent se sentir libres d’alerter sur ces méthodes de dénigrement et d’isolement.

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3. Observer les signaux manifestes et les dynamiques informelles

Un turnover fort, des conflits fréquents, des arrêts maladie répétés, une perte d’engagement, ou au contraire un sur-engagement doivent alerter. « Un collaborateur d’ordinaire partant pour les nouveaux projets, les temps collectifs, qui d’un coup s’isole en télétravail, cela peut être un signe. Le manager doit s’y intéresser », explique Marie Donzel. Quant aux signaux faibles, il doit aller les chercher, creuser davantage, en observant les relations informelles entre les collaborateurs, notamment pendant les temps de pause ou les afterworks.

  • Conseils : soyez attentif aux variations de comportement de vos équipiers dans leur façon de travailler. Profitez des temps d’échanges (in)formels pour les écouter, intéressez-vous aux changements de dynamique : « Est-ce que ce ne sont pas toujours les mêmes qui déjeunent ensemble ? Des clans ne se sont-ils pas formés ? ». À distance, la tâche est ardue : « Les tensions sont moins évidentes à détecter. Échangez fréquemment avec les télétravailleurs, par téléphone ou en visio ».

4. En cas de crise, éviter l’excès de charge émotionnelle

« Dès que des faits de harcèlement moral sont constatés ou rapportés, agissez sans délai. Dans ce cas, on note souvent une panique immédiate ». Or, en tant que manager, il faut garder la tête froide, pour (ré)agir de façon neutre. Investiguez, collectez par écrit un maximum de faits concrets, vérifiables, précis auprès de la victime et d’éventuels témoins. Comment se sent-elle ? A-t-elle besoin d’une aide externe, d’assistance, de repos ? Enfin, suivant la gravité des faits, impliquez la ou le DRH : une enquête interne sera alors initiée pour déterminer si le harcèlement est avéré.

  • Conseils : jouez votre rôle de manager. Montrez que vous êtes vigilant, cadrez les comportements inappropriés (les blagues, les excès d’autorité), et maintenez la continuité opérationnelle de votre équipe. « Le manager ne doit pas hésiter à se faire accompagner par un coach, un cabinet de conseil. En effet, la charge émotionnelle liée à la gestion de ces situations peut être lourde pour lui aussi. Il doit se défaire de ses propres opinions et affects le temps de l’enquête ». Concrètement, il doit écouter, comprendre, réfléchir, agir vite, de façon formalisée et factuelle. Quoi qu’il arrive, c’est l’occasion pour lui de rappeler les valeurs portées, de sensibiliser sans brimer. Car beaucoup de gens ne mesurent pas l’ampleur d’actes qui relèvent du harcèlement moral.

5. Au cours des auditions, cadrer les échanges

Le manager va devoir échanger avec la victime et le harceleur présumés, pour entendre leurs versions, prendre la mesure des faits. « Il va devoir engager des auditions en faisant référence non pas aux individus, mais à la relation, suivant le modèle PPP (Problème, Process, Personne) : “Tu pourras me dire tout ce que tu penses de Michel après. Là j’ai besoin de savoir quel est le problème, comment il se matérialise dans votre relation de travail” », précise Marie Donzel.

  • Conseils : du côté du harceleur, prévoir un entretien de recadrage l’informant de la réalité des faits, des risques encourus, pour stopper le harcèlement. Sans effet, une procédure sera lancée à son encontre.

6. Préparer « l’après » de façon constructive

Il est essentiel de ressortir grandi de chaque situation. En analysant l’environnement de travail, les facteurs déclencheurs : « Qu’est-ce qui relève des individus (collaborateurs, managers) et qu’est-ce qui relève de l’organisation, de l’entreprise et de son écosystème ? », interroge Marie Donzel.

Si le harcèlement moral est avéré, les RH sont tenues d’appliquer des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. « Avertissements, coaching… Il existe avant cela un panel de sanctions apprenantes : la personne doit comprendre ce qui se joue derrière. Sinon, on fabrique des ennemis de la cause des RPS ». Enfin, « être victime de harcèlement est un accident de vie professionnelle qui laisse des séquelles. Il ne faut pas laisser les personnes harcelées démissionner sans indemnités, ou accepter de moins bons postes. Il est primordial de les protéger ».

  • Conseils : pratiquez le micro management de carrière, accompagnez les victimes pour les remettre sur une trajectoire de progression positive. Aidez-les à se projeter à moyen et long terme. Le sentiment d’être compétent, intégré, l’estime de soi ont été affectés : il est crucial d’aider la personne à se reconstruire.

Article écrit par Laure Ott Libera, édité par Aurélie Cerffond ; photo : Thomas Decamps pour WTTJ