« Questionner son engagement, c'est réaffirmer sa volonté d’être heureux au travail »
23 mars 2023
5min
C’est quand le bonheur au travail ? Avec sa thèse « Être heureux au travail : vers un modèle explicatif du bonheur au travail », Marguerite Morice a scientifiquement décortiqué nos cerveaux de travailleurs et travailleuses. À travers ces recherches, la docteure en psychologie questionne la notion d’engagement et confirme sa dualité. Si celui-ci est une des clefs pour être heureux au travail, s’engager sans réciprocité peut aussi nous nuire.
Quand je me suis lancé dans ce projet de thèse, j’ai d’abord questionné la façon dont on pouvait définir le bonheur au travail, entendu comme la recherche d’un équilibre entre la personne que l’on est et le travail que l’on effectue. Il est lié à un autre concept, celui de l’épanouissement ou de la satisfaction, qui prend également en compte l’environnement dans lequel on évolue. Et chacun peut se poser la question de ses propres aspirations, de ce qui le fait vibrer dans son travail, de l’environnement professionnel qui lui sied le mieux.
Pour appréhender cet état de « bonheur » au travail, il m’a fallu 6 ans d’études pour constituer une échelle unidimensionnelle du bonheur, testée sur 847 personnes après une thèse validée scientifiquement. Elle se compose de neuf items, chacun mesure un seul et même concept qui est le bonheur, par degrés d’accord, de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord ». Le total, divisé par neuf, donne une moyenne arithmétique qui permet de se situer globalement sur cette échelle. Les items sont les suivants : j’éprouve du plaisir dans mon travail, je me sens utile, le respect des valeurs, l’éthique de l’entreprise, l’espoir pour l’avenir de l’employé, la possibilité d’apprendre de nouvelles choses, la liberté dans le travail, la reconnaissance et enfin… je m’investis avec passion dans mon travail.
« On peut très bien obtenir un niveau général faible (sur l’échelle du bonheur), avec un engagement très fort, et à l’inverse, être dans un bonheur global, mais ne pas vraiment s’engager dans son travail »
L’engagement nécessite une relation
L’engagement au travail a toujours été considéré comme une caractéristique clé du bonheur et de la satisfaction au travail. Mais quand on parle d’engagement au travail, de quoi parle-t-on au juste ? De manière courante on parle d’un sentiment d’attachement et de dévouement à l’égard d’une organisation et de ses objectifs. Il est généralement associé à une motivation intrinsèque, à une plus grande satisfaction et à une plus grande productivité.
Mais il serait trop réducteur de dire que l’engagement implique de fait un état de contentement au travail et il existe plusieurs formes d’engagement qui ne se traduisent pas nécessairement par le fait d’être épanoui dans son travail. On distingue par exemple l’engagement affectif, compris comme un attachement et implication envers une organisation, l’engagement normatif, lié aux tâches et rattaché à un sentiment de devoir envers son entreprise ou encore l’engagement de continuité (développés par les chercheurs Meyer et Allen), ou le fait de rester dans une entreprise parce qu’on juge le coût de la quitter trop élevé. C’est bien la preuve que, rester faute de mieux peut aussi entraîner une forme de loyauté, sans nous rendre nécessairement heureux, ou que l’on peut aussi s’engager dans son travail parce qu’on y apprécie simplement le cadre, mais pas les missions. Sur cette échelle du bonheur, on peut très bien obtenir un niveau général élevé en étant investi avec passion, mais on peut aussi être dans une satisfaction globale, sans vraiment s’engager dans son travail.
En résumé, l’engagement est une implication organisationnelle reliée à un attachement fonctionnel ou physique d’une part et psychologique d’autre part, lié au travail en soi mais aussi à son cadre, aux lieux, aux gens qui le composent. Et pour reprendre cette échelle du bonheur, l’engagement peut donc en être un critère, mais on peut très bien être globalement heureux dans son travail en y étant investi avec passion, et inversement. Pour prendre un contre-exemple, s’investir dans un travail qui ne vous rend pas heureux peut dans certains cas mener au surmenage et au burn out. Un manque de reconnaissance pécuniaire ou symbolique, l’absence de possibilités d’évolution, l’impression d’avoir fait le tour et de ne plus rien apprendre à son poste, un boulot qui grignote les heures de vie personnelle, des objectifs irréalistes ou des conflits internes… sont autant de raisons pour lesquels il est parfois préférable de se désengager de son travail pour ne pas sombrer. L’engagement est donc un critère du bonheur au travail, si et seulement si il est pleinement motivé par un désir et une réciprocité.
« On pense souvent à l’engagement en terme de production, au « faire », mais pas au suffisamment au « être ». »
Les entreprises doivent se montrer digne de confiance
Dans mon étude sur le bonheur, j’ai observé que les participants attribuaient particulièrement de points à certains items, comme l’apprentissage, le plaisir, l’utilité. Les scores les plus bas étaient le plus souvent reliés aux items de l’espoir pour l’avenir, l’éthique et la reconnaissance… Or ces trois items incombent aux relations au travail ainsi qu’aux conditions de travail, sur lesquelles on n’a pas toujours la mainmise…
Or on l’a vu plus haut : il n’y pas pas d’engagement sans relation. Quand on s’engage en tant que salarié, c’est soit auprès de quelque chose, soit auprès de quelqu’un, mais l’engagement n’existe pas pour lui seul. Si l’on s’engage auprès d’une structure qui ne nous considère pas, il peut y avoir une cassure dans le lien de confiance. Car l’engagement fonctionne comme un cercle vertueux. On pense souvent à l’engagement en terme de production, au « faire », mais pas au suffisamment au « être ». Or l’engagement affectif permet de prédire l’attachement, la fidélité, que l’on peut avoir pour son travail et son cadre. Il y a un lien très important entre l’engagement, l’attachement au lieu et le sens qu’on va donner à son travail. Tout cela contribue à l’épanouissement et au bonheur au travail. Il serait bénéfique pour les entreprises d’apporter un cadre de travail et des missions qui satisfassent les attentes de leurs salariés qui seront plus susceptibles de s’engager.
« Avant d’attendre qu’un surmenage ou un burnout ne se manifeste, il faut apprendre à mieux se connaître […] pour ensuite apporter du changement. »
Questionner son engagement, c’est réaffirmer sa volonté d’être heureux dans son travail
Mais peut-on réellement être heureux ou s’épanouir dans une activité perçue dès le départ comme une contrainte ? Cela peut prêter à sourire. Et pour cause, le mot travail a une référence clé dans l’inconscient collectif, au-delà de la contrainte, qui est la survie. Dès le départ, il paraît très compliqué d’y apporter une notion positive. Mais l’idée c’est de se dire que, comme on y passe 80% de notre temps, comment (et si je le souhaite) faire en sorte que ce temps-là ne soit au moins pas trop désagréable, si ce n’est pour arriver à quelque chose qui puisse me rendre heureux ? Poser la question du bonheur au travail, ce n’est pas en faire une injonction. C’est proposer d’être dans l’éveil et dans un état d’esprit qui vise à se questionner sur ses goûts, ses désirs, ses besoins, d’en prendre conscience pour ensuite trouver un équilibre avec son travail, son poste en tant que tel et puis un environnement.
À l’heure où la santé mentale au travail est un vrai sujet de préoccupation, travailler sur le concept du bonheur au travail c’est aussi éviter d’être dans le curatif, mais plutôt dans du préventif. Avant d’attendre qu’un surmenage ou un burnout ne se manifeste, apprendre à mieux se connaître, en s’observant et en prenant conscience de nos fonctionnements et désirs, pour ensuite apporter du changement (voir la pleine confiance de Ludovic Leroux). On peut accepter des responsabilités sans imploser, il est possible d’être engagé sans oublier sa vie personnelle, d’être épanoui dans son travail mais tout cela nécessite de se connecter à ses désirs et à ses besoins. Le bonheur au travail est le fruit d’une adaptation continue. Il nécessite une remise en question fréquente et d’accepter qu’il y ait des périodes de flottement, de latence, de réajustements, pour le salarié et pour l’entreprise. On peut donc parler de quête, mais pas de but précis car cela signifierait qu’une fois atteint, c’est terminé.
Finalement, s’intéresser au bonheur au travail, c’est aussi questionner les conditions dans lesquelles on évolue, remettre en question le sens de notre vie professionnelle dans l’optique d’un mieux-être personnel mais aussi global, et rien que pour cela, il vaut le coup d’être questionné.
Article édité par Clémence Lesacq ; Photographie de Thomas Decamps
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