Managers : comment réagir lorsqu’on n'est plus en phase avec sa hiérarchie ?
21 sept. 2023
6min
Représentant de la stratégie de l’entreprise devant les équipes, le manager peut ne pas se retrouver dans les décisions prises par sa direction. Une position délicate qui questionne la place du manager : peut-il aborder ses désaccords avec la hiérarchie ?
La vie en entreprise n’est pas un long fleuve tranquille pour les managers. Lorsqu’ils se retrouvent en désaccord avec leur hiérarchie, ils doivent assumer la double difficulté de lui être subordonné et de la représenter devant les collaborateurs. Difficile de ne pas se sentir démuni ou même illégitime, encore plus dans les entreprises entretenant un mode de gouvernance autoritaire et vertical. Pourtant, tous les différends ne sont pas insolubles et ils sont même plus courants qu’on ne le soupçonne.
Tous les désaccords ne se valent pas
Toute la bonne volonté du monde ne permettra pas au manager d’être aligné à 100 % avec son entreprise tout au long de sa carrière : mieux vaut accueillir le désaccord, relativement courant pour ce poste. « C’est normal de ne pas être tout le temps d’accord. Manager est un job paradoxal rempli d’injonctions contradictoires. Il faut les accepter, ça fait partie du jeu », explique Ludovic Girodon, spécialiste en management. Faire preuve d’esprit critique est d’ailleurs bon signe pour Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert des nouvelles gouvernances : « Les désaccords sont structurels de l’intelligence. Les collaborateurs les plus utiles sont ceux qui vont challenger avec de la positivité et veulent le bien de l’organisation, sans chercher l’affrontement. »
Les oppositions les plus courantes
Pas de quoi s’inquiéter lorsque la critique est constructive et motrice d’innovation. Cependant, certains désaccords risquent sur la durée de poser problème au manager :
- Lorsqu’ils le placent en contradiction vis-à-vis de la direction générale de l’organisation : « Si on n’est pas alignée avec la stratégie globale de l’entreprise, la frustration va augmenter et devenir insupportable avec le développement de comportements toxiques. Cela enlève le sens de la mission, l’engagement et la capacité d’innovation s’évaporent, et la performance avec », observe Luc.
- Lorsque les objectifs attendus ne correspondent pas aux capacités des équipes gérées : « Beaucoup de désaccords naissent d’objectifs qui ne sont pas atteignables ou réalistes : la vision de la direction n’a pas de sens par rapport à la réalité du terrain », analyse Luc.
- Lorsque les moyens mis à disposition ne sont pas à la hauteur des ambitions attendues : un facteur récurrent de décalage entre manager et hiérarchie selon Ludovic : « Il met les équipes en souffrance à cause d’objectifs trop ambitieux sans moyens supplémentaires. Cela crée un grand moment de solitude chez le manager lorsqu’il se heurte à un refus d’augmenter les moyens. Ce qui dérange là-dedans, ce sont les décisions déshumanisées et l’impression d’être un pion : lorsque le pourquoi des décisions échappe la compréhension du manager, il aura du mal à la défendre. »
Pour garantir la continuité de la stratégie hiérarchique auprès des équipes, celle-ci doit déjà faire sens auprès du manager.
Les signaux qui doivent alerter
Comme toujours, mieux vaut prévenir que guérir. Ludovic privilégie l’intégration d’un rendez-vous en tête-à-tête avec soi-même dans l’emploi du temps du manager : « Il faut dégager du temps pour soi et questionner son job, son rapport à son travail et à sa hiérarchie. Il y a beaucoup de déni et les managers prennent trop de temps à s’en rendre compte. » Prendre du recul et décortiquer son ressenti après les rendez-vous avec la hiérarchie est aussi essentiel. « On est censé sortir de ces points avec plus d’énergie qu’en y entrant. Si ce n’est pas le cas et qu’on ressort à plusieurs reprises de suite la tête basse, notamment parce qu’on ne se reconnaît plus dans les décisions prises par direction, il faut s’alerter », poursuit notre expert en management.
La manière dont est géré le désaccord, de la part du manager comme de la hiérarchie, va aussi peser sur la balance. « Si on le garde pour soi, sans avoir le courage d’aller remonter à sa propre hiérarchie et d’en discuter de manière saine, c’est un des signes que le désalignement est trop fort. Il faut adopter une attitude ouverte et poser des questions. En revanche, si cette démarche constructive rencontre un mur, il faut se poser la question de quitter la boîte », avance Ludovic. Si tous les décalages ne sont pas forcément fatals pour la carrière du manager en entreprise, certains signaux doivent remettre en question la viabilité du poste au sein de l’organisation.
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3 règles d’or pour agir à bon escient en cas de désaccord avec ses boss
Conseil n°1 : faire entendre sa voix à sa hiérarchie
Lorsque la hiérarchie de l’entreprise accueille le dialogue, la marge de manœuvre pour apporter ses suggestions s’en trouve renforcée. Une direction qui souhaite prendre soin de ses managers gagne à faire régulièrement des points en tête-à-tête d’après Ludovic. « Ils sont souvent mis en place pour les équipes, mais moins pour les managers et c’est dommage. Lorsqu’ils existent, ils devraient aider à prendre de la hauteur sur des questions stratégiques, et pas seulement se concentrer sur les sujets opérationnels. Sans ces rituels, impossible de déceler les désaccords », explique-t-il. Et encore moins de les résoudre. Luc Bretones préconise aussi le feedback dans la communication manager/hiérarchie : « Intégrés dans le fonctionnement de l’organisation, ils apportent une dimension factuelle lors de réunions rétrospectives dédiées ou lors du traitement des tensions dans des réunions opérationnelles avec sa hiérarchie. »
Jouer le jeu un temps et faire des retours réguliers permet aussi d’envoyer des signaux à sa direction. « Toutes les pratiques d’amélioration continue et de rétrospective qui permettent de montrer pour quelle raison on aurait pu faire autrement et en tirer un enseignement pour la suite sont profitables. Le dirigeant se rend compte de ce qui aurait pu être fait différemment », confie encore notre spécialiste de l’innovation managériale. Face à un objectif trop ambitieux, le manager peut cadencer le suivi d’un résultat clé avec des objectifs courts, à la semaine par exemple, avance Luc, afin de « discuter et proposer une rétrospective pour éventuellement corriger le tir de la stratégie sans attendre le résultat final. Il est aussi important de faire cet exercice à plusieurs. On arrive ainsi à anticiper une voie sans issue et en sortir de façon moins conflictuelle, avec une démarche rationnelle d’amélioration ». Un bon moyen de ne pas plomber les rapports, ni les résultats en bout de course.
En amont, il est aussi judicieux pour la hiérarchie d’opter pour des prises de décision plus inclusives, avec consultations des managers. « Les décisions prises en format de consentement impliquent le plus grand nombre, en prenant la décision sur la zone de tolérance de la plupart. Mais il est important d’affirmer les règles du jeu : organiser les moments de critique constructive, où elle est bienvenue, voire souhaitée, et ensuite il faudra vivre avec la décision prise », souligne Luc. Être impliqué dans le processus permet de mieux accueillir la décision, même si l’on n’est pas en accord avec celle-ci : hiérarchie et manager en ressortent gagnants.
Conseil n°2 : choisir ses combats
Antoine est à la tête d’un département d’accompagnement des assurances dans un cabinet de conseil juridique. Il se rappelle d’un différend opposant les assistantes comptables des chefs d’équipes et les collaborateurs du service de facturation : ces derniers bénéficient d’un jour de télétravail de plus que les autres. « Leurs tâches sont similaires et les assistantes ne comprenaient pas pourquoi elles avaient droit à moins. Cela a créé des remous dans les équipes. Dans mon cas et pour quelques autres chefs d’équipe, cela nous était indifférent si elles étaient en télétravail. Nos emplois du temps et notre présence physique en entreprise pouvaient s’accorder avec 3 jours de télétravail pour nos assistantes. Nous avons pu plaider auprès de la direction pour leur accorder un jour supplémentaire. Mais ça n’a pas été le cas pour toutes les équipes », se remémore-t-il.
Si Antoine a pu revendiquer des avantages pour sa collaboratrice, il était conscient qu’il n’était pas en capacité de faire changer toute la politique de l’entreprise. « Ma position de manager vis-à-vis de la hiérarchie me demandait d’adopter la perspective adéquate : je porte la stratégie de l’entreprise, mais je reste garant de l’efficacité de mon équipe. Parfois, cela demande de regarder uniquement à sa porte et de ne pas se lancer dans des croisades impossibles. Certains associés travaillent en interaction constante avec leur assistante, je ne peux pas leur demander d’y renoncer quand notre rythme n’est pas le même », avance-t-il. Dans certains cas, gagner une simple bataille est préférable à ambitionner une victoire totale.
Conseil n°3 : renforcer le lien avec les collaborateurs
Pas question d’instaurer une mutinerie avec l’aide de ses équipes. Le rôle du manager repose avant tout sur le lien qu’il incarne. « En toute circonstance, un manager ne doit pas dénigrer sa propre hiérarchie, même s’il n’est pas d’accord avec elle. Il doit rester positif, constructif et garant de ce pont entre l’équipe et la hiérarchie », pointe Ludovic. En revanche, rien ne l’empêche de doser pour mieux faire passer certaines décisions discutables. « Lorsque l’organisation demande des choses que le manager juge non éthique, c’est sa responsabilité en temps qu’individu doté de libre arbitre de faire le tri et d’adapter un certain nombre des demandes à un cadre éthique », indique Luc.
Toujours dans une optique de dialogue, le manager peut aussi rapprocher la direction et les équipes, afin que les deux parties puissent entamer directement une conversation. « Proposer au supérieur hiérarchique un temps d’échange pour répondre aux objections de l’équipe est une bonne manière de réagir. Notamment si le manager se sent en décalage ou si la hiérarchie perd le contact avec le terrain, car la discussion se passe alors à un autre niveau », renchérit Luc. Sans prendre parti, le manager se pose entre les deux instances en initiateur de discussion, qui reste l’outil privilégié pour réguler les conflits.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps
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