Entreprises, arrêtez de chercher à recruter des « A-Players » !
17 juil. 2024
4min
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Freelance Content Writer & Content Strategist pour start-ups B2B
Beaucoup d'entreprises, notamment dans le monde des start-ups, se targuent de recruter uniquement les talents les plus brillants. Mais cette quête effrénée de l'excellence est-elle vraiment la meilleure approche ? Pas si sûr…
« On recherche un top-performer pour rejoindre notre équipe d’élite », « Nous recrutons uniquement des A-Players prêts à se donner à fond et à exploser leurs objectifs », « Si vous excellez dans votre domaine d’expertise, nous voulons vous rencontrer»… On ne compte plus les offres d’emploi qui fixent des standards presque inaccessibles, ni les entreprises qui affichent leur volonté d’attirer uniquement la crème de la crème des candidats. Mais cette tendance est de plus en plus décriée. Pour Quentin Sinig, VP et leader impliqué sur les sujets People, Talent & Culture advocacy (ex-Kestra, ex-Strapi), c’est d’ailleurs très clair : les entreprises qui cherchent à recruter des A-Players font fausse route.
La quête des top performers, une obsession tout droit venue de la Silicon Valley
Les entreprises ont évidemment toujours cherché à recruter les meilleurs candidats possibles. Mais la volonté de viser exclusivement le haut du panier n’a pas toujours été aussi assumée. Le concept de « A-Player », qui désigne un salarié ayant des performances exceptionnelles et une capacité à dépasser constamment les attentes, a en effet émergé dans les années 1990. Il a notamment été popularisé par un certain Steve Jobs, qui insistait sur l’importance de s’entourer des meilleurs talents. Et il a été théorisé plus en détail en 2008 par le bestseller Who: The A Method for Hiring de Geoff Smart and Randy Street, qui est d’ailleurs considéré comme une bible pour de nombreux recruteurs.
Depuis, le secteur de la tech et l’univers des start-ups se sont largement emparés du concept, et cette quête des meilleurs talents est même devenue une norme dans les stratégies de recrutement. « J’entends sans cesse le terme d’A-Player depuis que je travaille en start-up, que ce soit dans la bouche des recruteurs, des CEO ou même des managers », note Quentin Sinig. « Ça m’a d’ailleurs toujours interpellé parce que moi-même je ne me suis jamais considéré comme un A-Player », souligne-t-il. Lui qui n’était pas particulièrement un élève modèle et qui, pour réussir, a parfois dû travailler deux fois plus dur que certains collègues plus doués, considère que cet élitisme affiché est une véritable dérive de la « Start-up Nation ».
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Le non-sens de la recherche de A-Players en recrutement
Il y a quelques années, des chercheurs de l’Université de Floride se sont intéressés au lien entre l’expérience de travail antérieure d’un employé et ses performances dans une nouvelle organisation. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, ils n’ont trouvé aucune corrélation significative entre les deux. Pour le dire autrement : les candidats les plus brillants sur le papier, c’est-à-dire qui affichent les diplômes et les parcours les plus impressionnants, ne sont pas forcément ceux qui obtiennent par la suite les meilleurs résultats.
Il faut dire que, comme l’explique Quentin Sinig, le succès d’un professionnel ne dépend pas uniquement de son profil. Il dépend aussi, et pour beaucoup, du contexte dans lequel il évolue : « Personne n’est intrinsèquement un A-Player. On peut être ultra-performant dans une situation X et médiocre dans une situation Y », explique-t-il.
Et cela entraîne deux implications majeures :
1. Le recrutement devrait être axé avant tout sur l’adéquation : plutôt que de chercher les « meilleurs », mieux vaut chercher à recruter des talents qui sauront répondre aux besoins réels de l’entreprise, travailler efficacement avec le reste des équipes, et qui ont le potentiel de progresser et évoluer avec l’organisation. Pour cela, Quentin Sinig insiste sur l’importance de s’appuyer sur un process structuré : « On ne peut pas se contenter de juger un candidat en prenant quelques notes sur le coin d’un cahier, il faut utiliser des scorecards et des grilles d‘évaluation précises, pour éviter au maximum les biais », défend-il.
2. La création d’un environnement propice à la performance est tout aussi importante que la qualité des recrutements : aucun professionnel, aussi doué soit-il, ne peut réussir dans son travail si les conditions nécessaires à son succès ne sont pas réunies. En d’autres termes, il n’y a pas de A-Player, il n’y a que des entreprises qui savent révéler et maximiser le potentiel de chaque salarié. Quentin Sinig résume donc : « Tout l’enjeu est de créer un cadre propice à l’épanouissement et au développement de chaque talent, avec un soutien managérial et des opportunités de formation qui répondent spécifiquement aux besoins du profil en question. »
Un dangereux frein à la diversité
Quentin Sinig souligne par ailleurs les effets pervers de cette quête de l’excellence dans le recrutement : « Quand on pense à un A-Player, on a tendance à imaginer spontanément un homme blanc hétérosexuel d’une trentaine d’années », explique-t-il. Pour lui, le concept est un symbole de la « culture bro » présente dans le monde de la tech, qui consiste à entretenir une forme d’entre-soi, avec des comportements masculins dominants et ultra-compétitifs, qui excluent les femmes et les minorités.
Utiliser des termes forts comme « A-Player », « top-performer » ou encore « overachiever » dans ses offres d’emploi n’est en effet pas neutre. Ces expressions peuvent créer un effet d’intimidation et d’exclusion, surtout envers les femmes qui, comme l’ont montré des études, postulent à des emplois seulement si elles remplissent 100 % des critères énoncés (tandis que les hommes postulent même s’ils n’en remplissent que 60 %).
Pour promouvoir une réelle inclusion et favoriser la diversité des talents, il est donc crucial d’adapter un vocabulaire plus modéré dans les offres d’emploi, et de hiérarchiser clairement les critères de sélection, en différenciant les must-have des nice-to-have avec transparence. De quoi filtrer efficacement les candidats, sans pour autant décourager celles et ceux qui ont tendance à s’auto-censurer.
L’humilité, nouvelle clé du succès en recrutement ?
Quentin Sinig dénonce finalement l’esprit toxique qui peut émaner des start-ups affichant leur ambition de ne recruter que le top du top. « Cela révèle une forme d’arrogance », note-t-il, qui peut d’ailleurs participer à repousser les candidats. C’est d’autant plus vrai lorsque les entreprises prétendent recruter uniquement des A-Players tout en proposant des conditions peu alléchantes.
Pour attirer et fidéliser les meilleurs, il faut évidemment s’en donner les moyens en construisant une Employee Value Proposition (EVP) unique, et en offrant des packages salariaux au-dessus du marché. Sans cela, les organisations ont peu de chance d’attirer (et de fidéliser) les profils que tout le monde s’arrache…
Finalement, c’est donc peut-être plutôt en misant sur l’humilité et la transparence que les entreprises ont le plus de chances de convaincre les talents dont elles ont besoin, tout en favorisant un environnement de travail inclusif et respectueux. Alors, et si on laissait tomber le buzzword « A-Player » et qu’on optait pour la culture du « suffisant » plutôt que du « parfait » ?
Article écrit par Ingrid de Chevigny, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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