« Recruter, ce n’est pas trouver une personne avec qui boire un verre »
23 juil. 2024
6min
Nicolas Galita, auteur de “Le recrutement ne s’improvise pas”, met en lumière la nécessité de professionnaliser le recrutement, en utilisant des méthodes scientifiques et en revalorisant le rôle crucial des recruteurs dans l’entreprise et la société.
Nicolas Galita est (re)connu pour son rôle de formateur à l’École du Recrutement, un organisme leader dans la transmission de bonnes pratiques en matière de sourcing et de recrutement. Sa trajectoire s’est enrichie par la production de contenus spécialisés en RH, influençant ainsi l’évolution du métier et du secteur. Son troisième livre, Le recrutement ne s’improvise pas, publié chez Eyrolles, vise à professionnaliser le métier de recruteur en s’appuyant sur une méthodologie rigoureuse afin de déconstruire certaines idées reçues. L’auteur y partage des pratiques rigoureuses et structurées, répondant aux nouveaux enjeux des recruteurs face à un environnement professionnel en plein bouleversement. Échanges et perspectives sur sa vision du recrutement méthodique et évolutive.
Pourquoi avoir écrit Le recrutement ne s’improvise pas ?
La raison principale est née d’une frustration personnelle face aux méthodes traditionnelles de recrutement, souvent axées sur l’intuition plutôt que sur des approches scientifiques. En menant de nombreux entretiens, je me suis rendu compte que beaucoup de décisions étaient fondées sur des impressions personnelles comme « je sens les gens » ou « j’ai un feeling », sans recourir à une méthode rigoureuse. Cette approche subjective m’a montré que le métier de recruteur n’était pas suffisamment respecté : pour preuve, les candidats ne nous apprécient guère, les managers et le grand public ne comprennent pas vraiment notre travail. Face à ce constat, j’ai ressenti le besoin de changer l’image du recrutement, perçu comme manquant de légitimité. Ce manque de reconnaissance professionnelle, j’en suis convaincu, vient de l’absence de formation structurée et de méthodes éprouvées. Mon livre propose donc un prisme plus formel du recrutement, intégrant des références en psychologie.
Vous mentionnez que le livre L’entrevue structurée a bouleversé votre vision des entretiens. Quels sont les principaux avantages de cette méthode par rapport aux approches traditionnelles ?
Il serait plus exact de le nommer « entretien comportemental » car il permet d’évaluer les compétences à travers des comportements, qui sont les manifestations visibles des compétences. Au lieu de rechercher une personne qui a fait « telle école » avec « tant d’années d’expérience », ce qui engendre des raccourcis, il est plus utile de se demander quels comportements on souhaite observer ou, à l’inverse, quels comportements on veut éviter. Ainsi, en prérequis, il s’agit d’identifier une dizaine de critères comportementaux prioritaires. Et en entretien, on va créer des questions spécifiques pour évaluer chacun d’eux. On peut également imaginer des scénarios, ce qui permet d’établir une grille d’évaluation en fonction des réponses obtenues. C’est beaucoup plus clair pour tout le monde, notamment au moment du feedback : ce dernier est fondé sur des faits et des résultats tangibles en accord avec un cadre objectif.
Cette approche structurée est-elle une révolution dans l’écosystème du recrutement ?
Recruter, ce n’est pas trouver une personne avec qui boire un verre ! Il existe encore beaucoup (trop) d’entretiens fondés sur le feeling. L’échange doit être une évaluation, non pas un jugement, où il faut analyser les compétences mais aussi l’adéquation à la culture de l’entreprise. Contrairement aux idées reçues, alors que beaucoup de recruteurs pensent que c’est abstrait, on peut – et on doit – jauger le “culture fit” de manière rigoureuse. Ceci étant dit, si les recruteurs que je forme et accompagne sont toujours partants pour changer les choses, dès qu’il s’agit de déconstruire l’établi et de restructurer leur propre approche, cela demande du temps. Ce n’est pas toujours évident : comme tout être humain, changer d’habitudes est compliqué car cela nécessite une remise en question de ce que l’on a fait depuis des années, avec des biais, peut-être de la discrimination involontaire…
Vous recrutez ? À vos marques (employeurs), prêts, partez !
Vous avez décrit votre parcours comme autodidacte, notamment dans le domaine du sourcing. Quelles sont les erreurs courantes que vous avez observées et comment les recruteurs peuvent-ils les éviter ?
Beaucoup de recruteurs n’aiment pas le sourcing, alors que cela peut vraiment être un métier passionnant en développant quelques techniques et en évitant quelques écueils. Pour moi, cela s’apparente à une mission d’investigation. La première erreur courante est de vouloir se lancer avec un mot-clé mal qualifié. Par exemple, je cherche un développeur iOS, je tape « développeur iOS » sur Google. Tu ne peux pas obtenir des résultats probants. D’une part, tu passes à côté de personnes qui expriment leur titre professionnel de manière différente ; d’autre part, tu approches des gens que tout le monde approche puisqu’ils ont une requête que je qualifie de « triviale », classique. Pour éviter cela, ma recommandation est de prendre le temps de réfléchir à comment aborder le poste. Quelques astuces : quels autres titres existent en français et, peut-être, en anglais ? Il est pertinent d’ajouter le féminin dans la requête. Un peu plus subtile encore : il faut s’interroger sur la taille et l’organisation des entreprises. Dans une organisation de taille moyenne, peut-être que c’est une autre personne qui couvre le poste en question, il faudra alors l’inclure dans les recherches.
Dans le livre, le brief apparaît comme une étape structurante pour préparer un bon recrutement : quels sont les éléments essentiels à y inclure ?
Il y a cinq éléments à récupérer dans le brief.
- Le contexte : pourquoi recrute-t-on cette personne ? Même si c’est la troisième fois que l’on recrute pour ce poste, il faut se poser la question.
- L’évaluation : qu’est-ce qu’on évalue ? Le job du recruteur est d’aller chercher l’information en posant des questions pertinentes : qu’est-ce qu’une personne performante ? Si tu devais prendre un « bout de comportement » de chacun de tes employés, ce serait quoi ?
- Les mots-clés : il faut aussi recueillir des mots-clés pour le sourcing. Toutes ces étapes sont une sorte de questionnement socratique pour comprendre les besoins sous-jacents.
- La proposition de valeur : contrairement aux idées reçues, ce n’est pas au recruteur d’inventer des avantages, c’est au manager de mettre en avant ce que le candidat va gagner en rejoignant l’équipe et l’entreprise. Il faut a minima trois bénéfices démontrés par des preuves pour éviter des annonces insipides et standards.
- Le processus de recrutement : il est clé de le définir de manière explicite au moment du brief avec l’ensemble des parties prenantes, ces dernières dépendant de l’organisation de l’entreprise : RH, manager, recruteur ou CEO.
Ma dernière recommandation pour affiner le besoin entre le recruteur et le manager est de réaliser un échantillonnage de 10 profils, puis de le présenter au manager pour valider la compréhension mutuelle. C’est important de comprendre pourquoi il ou elle valide ou non certaines personnes pour mieux appréhender son fonctionnement.
La rédaction d’une annonce est très importante. Vous revendiquez d’ailleurs des annonces longues : pourquoi ?
Je me suis beaucoup intéressé au copywriting développé au début du XXe siècle. J’ai compris qu’il fallait écrire pour recruter (et non pour faire beau). Comme une publicité, il faut que les personnes puissent comprendre ce qu’elles peuvent gagner à rejoindre une organisation, tout profil confondu. D’ailleurs, les études que j’ai pu lire démontrent que les pubs longues « convertissent » mieux, surtout pour les produits complexes. C’est le cas du recrutement. Ce qui veut dire qu’il faut s’inscrire dans une logique de “picking” : les candidats doivent pouvoir picorer dans les divers arguments présentés. C’est pourquoi un maximum d’informations est requis sur le contexte du poste, les bénéfices propres à l’entreprise, mais aussi les points faibles… car les talents y sont sensibles, ils y voient une forme d’authenticité. D’ailleurs, les inconvénients sont comme des filtres culturels afin d’attirer les personnes adéquates. Côté forme, ceci exige d’aérer et de bien structurer l’annonce, pour la rendre lisible.
Durant votre parcours, quels sont les principaux apprentissages que vous avez acquis ?
Quel que soit le métier, on n’est pas respecté si on n’est pas respectable. Dans le recrutement, il faut muscler son expertise pour sortir de la vision du recruteur chaman ! Comment ? En expliquant rationnellement nos décisions, en démontrant notre expertise en écriture d’annonce ou en réalisant des briefs exhaustifs. Notre métier dépend aussi beaucoup de la manière dont l’entreprise est organisée, du secteur ou de sa culture. Avant d’endosser le rôle de recruteur, il s’agit de trouver un environnement qui offre le bon positionnement. Autre point important que je mentionne dans le livre : le recrutement n’est pas un marchepied pour devenir DRH… Comme on l’entend encore souvent. On peut mener des carrières passionnantes dans ce domaine en prenant en compte, entre autres, la mission sociétale du recrutement. En effet, nous sommes la première ligne pour agir sur l’emploi, nous avons donc un véritable rôle dans la lutte contre la discrimination. Tout l’enjeu est de mener un recrutement juste et équitable en créant un système moins biaisé grâce à des processus, des grilles…
Comment voyez-vous l’avenir du recrutement ?
On observe une tendance croissante : celle de séparer le recrutement des autres fonctions des ressources humaines, signe que le job se professionnalise de plus en plus. Or, au-delà des formations RH qui restent généralistes, il existe un manque évident de filières spécialisées dans le recrutement stricto sensu. Subséquemment, les recruteurs doivent désapprendre des réflexes acquis pour adopter de nouvelles méthodes et concepts plus adaptés. Je dis souvent aux recruteurs – qu’ils ou elles soient en début de carrière ou expérimentés – l’importance d’interroger constamment leurs pratiques et leurs jugements. Ce doute permet de faire émerger des idées nouvelles et de changer le système. Quant aux nouvelles technologies, des outils comme ChatGPT sont évidemment structurants pour nos métiers. L’IA générative a déjà commencé à les transformer sur des tâches précises : rédiger des briefs, des annonces ou accomplir diverses tâches administratives. Pour aider les recruteurs à en tirer le meilleur parti, nous proposons une formation gratuite en ligne, où des cas d’usage concrets sont présentés.
Article écrit par Laure Girardot, édité par Ariane Picoche, photos : Thomas Decamps pour WTTJ
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