« Micro doré » : pourquoi vos paroles pèsent davantage depuis que vous êtes manager ?
18 déc. 2023
4min
Le « micro doré » n’est pas (encore) un phénomène social avéré. C’est pourtant une transition déroutante dans l’évolution professionnelle : devenir manager changerait la donne relationnelle car, tout à coup, votre avis compte et on vous écoute.
Mais pourquoi tendons-nous plus l’oreille depuis que Paul ou Lise a décroché son rôle de manager ? Quels sont les mécanismes psychologiques et sociaux à l’œuvre ? David Merchier, Chief Content Officier au sein de Welcome to the Jungle, a connu cette transition grisante dans sa carrière. Or, ce qu’il nomme le « syndrome du micro doré » l’a surpris : « Vous pouvez littéralement observer le changement dans l’œil (ou l’oreille) de vos collègues : un même argument n’a pas la même portée ou le débat ne se déroule pas de la même façon maintenant que vous avez la responsabilité d’une équipe. » Magie, miracle ou biais d’autorité ?
Ce qui est sûr, c’est que la personne concernée gonfle artificiellement sa confiance. David en témoigne : « Lors des réunions, j’ai remarqué que l’on me coupait moins la parole, on m’écoutait avec plus d’attention ». Mais peu à peu, s’installe une forme d’Hubris : « Obtenir cette légitimité nouvelle, même fictive, a flatté mon ego. J’avais l’impression que tout ce que je disais était plus intelligent et puissant. » Lors d’une réunion où il se voit monopoliser la conversation, une dissonance morale le rattrape : « Tout à coup, je me vois en position méta. C’est l’électrochoc : je refuse de devenir ce genre de manager. » Comment expliquer ce phénomène déstabilisant ? Et comment user de son autorité sans en abuser ?
Métamorphose managériale : quels mécanismes derrière le « micro doré » ?
Maurice Thévenet, Professeur à l’Essec Business School et auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur le management et la culture d’entreprise, explique cette écoute décuplée par trois aspects liés à la position managériale dans l’entreprise.
Une crédibilité ou une légitimité démontrée
« La crédibilité d’un manager repose sur son expertise, ses compétences et ses réalisations. On va donc plus facilement l’écouter car il inspire confiance. » Par exemple, lors de réunions stratégiques, un leader doté d’une expertise pointue est écouté attentivement, ses décisions étant perçues comme éclairées. Ses compétences démontrées dans la résolution de problèmes ou l’atteinte d’objectifs renforcent sa légitimité. Ou encore lors de situations cruciales, les équipes accordent davantage de poids aux paroles d’un manager, même promu récemment. C’est donc le critère de la reconnaissance de compétences qui peut traduire cette attention renforcée.
L’impact du manager sur la trajectoire professionnelle
Le pouvoir d’un manager s’étend à divers aspects professionnels : « Sur le plan hiérarchique, il ou elle influence les trajectoires de carrière, les rémunérations et la dynamique quotidienne au travail. Les collaborateurs dépendent de lui ou d’elle pour leur avancement professionnel ». Ces derniers auront donc tendance à être plus attentifs à ses propos, puisque le manager détient les leviers de leur progression. Ce phénomène est un corollaire du biais d’autorité, également connu sous le nom d’effet d’autorité : une tendance cognitive où les individus accordent plus de valeur aux opinions, informations ou décisions émanant d’une figure d’autorité. Ce biais peut parfois conduire les salariés à accepter des messages ou à suivre des directives sans esprit critique, simplement en raison du statut.
Une stratégie d’influence inversée
Cette écoute décuplée s’explique aussi par une stratégie implicite des collaborateurs qui tentent d’influencer subtilement leur manager. Bien informés et avec les bons leviers, ils peuvent en effet orienter les décisions de leur N+1. Ce phénomène est renforcé dans les nouvelles formes d’organisations : « Les barrières entre managés et managers s’affaiblissent car les organisations sont de plus en plus transversales. Et il n’est pas rare d’avoir plusieurs managers aujourd’hui ». De même, les codes relationnels changent et se répercutent sur les relations au sein des équipes : « On tutoie beaucoup plus son manager, il est plus accessible car on travaille collectivement dans des espaces partagés, sans cloison ».
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Comment tirer parti du « micro doré » (sans en abuser) ?
Assumer pleinement son rôle de manager
Ce type de situations déstabilisantes arrive davantage lorsqu’un collaborateur est nommé manager au sein de son équipe. « Il faut éviter cette configuration car il est plus difficile de changer de rôle social pour la personne. En effet, la plupart du temps, elle s’efforce de maintenir le même niveau de relation avec ses collègues, ce qui complique les prises de fonction », souligne Maurice Thévenet. La solution ? Nommer le manager dans une autre équipe. Si ce n’est pas le cas, il est important d’accompagner la personne afin qu’elle endosse pleinement son rôle avec les changements afférents. « La vie sociale – et donc professionnelle – est structurée via des rôles. Il faut s’y préparer afin de coller le plus possible aux exigences de la position, sinon, c’est l’échec assuré. »
Déjouer le piège du biais de confirmation
Ce phénomène psychologique se manifeste par une propension à valider et à renforcer ses propres convictions plutôt que d’examiner de manière impartiale des opinions divergentes. Avec une prise de fonction, le manager peut être influencé par son désir de maintenir une cohérence interne, ce qui conduit parfois à rechercher des informations qui confirment ses points de vue préexistants. Cela peut entraîner des décisions biaisées et une résistance à l’égard des perspectives de ses collaborateurs. Il est important de prendre le recul nécessaire et en conscience de ces travers naturels, comme le raconte précédemment David Merchier.
Passer d’un mode individuel à un mode collectif
Le corollaire du point précédent est de faire en sorte d’encourager la diversité d’opinions et de favoriser un climat de discussion ouverte. « En devenant manager, j’ai pris conscience que mon job avait changé : je n’étais plus un contributeur individuel mais je devais m’appuyer sur les autres pour faire émerger des idées », explique David Merchier. Pour cela, l’humilité est désormais son meilleur allié : « Je doute et demande plus souvent l’avis des personnes qui savent au sein de mon équipe. Et je ne manque pas de valoriser le travail collectif ».
Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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