Recrutement : pouvez-vous imposer un test de personnalité à un candidat ?
07 mai 2024
8min
Astrologie, graphologie, MBTI… Les entreprises sont en quête de l'élixir infaillible pour éviter les erreurs de casting dans leur processus de recrutement. Dans cette recherche sans fin de l'employé idéal, les tests de personnalité ont une place de choix. Mais est-ce pour le meilleur ou pour le pire ?
Les organisations ne cessent de peaufiner leurs approches pour s’assurer que les petits nouveaux susceptibles de rejoindre leurs rangs collent parfaitement à l’esprit de la maison. Ainsi, 60 % des recruteurs des grandes entreprises et 44% des PME et startup se tourneraient vers cette méthode en France, tandis qu’elle explose à 79 % aux États-Unis. Mieux : une étude menée par les chercheurs de la Harvard Business School en 2015, auprès d’un échantillon de 300 000 candidats, montre que l’utilisation combinée de tests de personnalité et d’intelligence permet d’augmenter de 15 % l’efficacité du recrutement par rapport au même processus sans test, sur la base de la durée moyenne en poste.
Le procédé fait-il réellement ses preuves quel que soit l’outil utilisé ? Est-il souhaitable d’en faire un passage obligé, en exigeant des candidats qu’ils passent de tels tests ? D’autres méthodes, moins intrusives, existent-elles ? L’avocate en droit du travail Elise Fabing et l’experte en recrutement et marque employeur Marie-Sophie Zambeaux reviennent pour nous au cœur de la pratique, afin de questionner son efficacité et sonder des alternatives plus éthiques.
Panorama d’une pratique controversée
L’usage des tests de personnalité dans le recrutement est devenu une pratique courante pour évaluer l’adéquation des candidats à un poste spécifique, à l’équipe en place comme à la culture de l’entreprise. Ces outils visent à cerner les traits de personnalité, les motivations, les préférences comportementales et la capacité à gérer le stress, offrant ainsi aux recruteurs une perspective plus profonde sur leurs potentielles futures recrues. Julien, 34 ans, recruteur en cabinet de recrutement, est un grand adepte de l’exercice : « Nous utilisons les tests de personnalité pour affiner notre compréhension des candidats au-delà de leurs compétences techniques, explique-t-il. Ils nous aident à évaluer comment un candidat pourrait s’intégrer avec la culture d’entreprise et l’équipe existante. »
Parmi les tests les plus utilisés en France, on retrouve :
Le MBTI (Myers-Briggs Type Indicator) : qui mesure différentes dimensions de la personnalité à travers un questionnaire conçu pour le développement personnel.
PAPI (Personality and Preference Inventory) : qui évalue les traits de personnalité et les préférences, aidant à comprendre comment un individu peut s’intégrer dans un environnement professionnel.
SOSIE (Système d’Observation des Styles Interpersonnels d’Eysenck) : qui se focalise sur les styles interpersonnels, offrant un aperçu de la manière dont une personne pourrait interagir avec les autres.
BIG FIVE (Five Factor Model) : reconnu pour sa robustesse scientifique, il évalue cinq grands traits de personnalité qui sont considérés comme des prédictifs clés de la performance au travail.
Des outils particulièrement utiles aux yeux de Julien, qui s’estime préservé grâce à eux de certaines erreurs de casting : « Je me rappelle d’un candidat très sérieux pour un poste de direction. L’un des tests a révélé que, bien que très compétent techniquement, le style de leadership était très différent de ce que recherchait l’entreprise. » Mais également de rendez-vous ratés : « Un autre cas a impliqué un candidat qui semblait vraiment mal à l’aise lors de l’entretien. Les résultats du test ont montré une grande ouverture et une capacité d’adaptation élevée. Après un second entretien approfondi, nous avons mieux compris ses motivations et son potentiel. Il a été embauché et s’est très bien intégré. »
Mais jusqu’où peut-on aller pour les utiliser sans franchir la ligne rouge ?
Test de personnalité dans le recrutement : que dit la loi ?
Les obligations des entreprises à la loupe
L’utilisation des tests de personnalité en matière de recrutement relèvent de la zone grise. « Il n’existe pas de cadre spécifique régissant les tests de personnalité », démarre Elise Fabing, avocate en droit du travail. En revanche, le Code du travail impose des règles sur le recrutement de manière générale (articles L1221-6 et L1221-8) :
Pertinence des informations : les informations demandées aux candidats doivent uniquement servir à évaluer leur capacité à occuper l’emploi proposé ou leurs aptitudes professionnelles.
Lien direct avec l’emploi : toutes les informations et évaluations doivent avoir un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé.
Information préalable : les candidats doivent être expressément informés, avant leur mise en œuvre, des méthodes et techniques de recrutement utilisées.
Confidentialité des résultats : les résultats obtenus à partir de ces tests doivent rester confidentiels.
Pertinence des méthodes d’évaluation : les méthodes et techniques utilisées pour évaluer les candidats doivent être pertinentes et appropriées par rapport à l’objectif poursuivi.
Les droits clés des candidats
« Ces tests peuvent être attentatoires à la vie privée et aux données personnelles », explique Elise Fabing. C’est pourquoi les candidats bénéficient d’un certain nombre de droits concernant les informations collectées et leur utilisation. En vertu du RGPD et de la législation française, les candidats ont le droit de connaître précisément quelles informations sont collectées, comment elles seront utilisées et qui y aura accès : « *La CNIL indique qu’ils doivent pouvoir avoir accès à une restitution complète et détaillée de leurs résultats. » Les candidats ont également le droit d’exiger leur suppression une fois le processus de recrutement terminé.
Mais qu’en est-il du consentement du candidat vis-à-vis du test de personnalité ? « Un candidat peut tout à fait refuser de se soumettre à un test de personnalité », affirme notre experte. Toutefois, elle note que dans la pratique, un tel refus peut parfois influencer la décision des recruteurs. Si un candidat est discriminé en raison de son refus de se soumettre à un test de personnalité, il peut tout à fait engager des actions légales contre l’entreprise. « Les sanctions pour discrimination peuvent inclure des amendes allant jusqu’à 45 000 euros et trois ans d’emprisonnement, et un risque de fermeture selon l’article 225-2 du Code pénal » prévient l’avocate. Mais dans les faits, peu de recours sont menés dans ce cadre : « Un recruteur pourra tout à fait se prévaloir du fait qu’il manquait de données pour prendre une décision favorable en raison du refus du candidat de se soumettre au test, ou bien se baser sur d’autres critères sans lien avec la personnalité du candidat. »
Test de personnalité : outil légitime ou miroir déformant ?
Une fiabilité mise à l’épreuve
Marie-Sophie Zambeaux n’y va pas par quatre chemins : « Le MBTI ne contient aucun indicateur de cohérence ou de véracité des réponses. C’est-à-dire qu’il ne dispose pas d’un mécanisme intégré pour évaluer si les personnes qui passent le test répondent de manière honnête et cohérente. » Une méfiance particulière envers l’un des tests de personnalité les plus populaires que cette experte en recrutement justifie par le détournement de son objectif initial : « *Le MBTI est un outil conçu pour le développement personnel, pas pour le recrutement. Sur leur propre site, ils précisent bien que l’outil n’est pas fait pour cela… C’est un usage qui est dévoyé. » Pour preuve, 50 % des candidats obtiendraient un résultat différent lorsqu’ils repassent le MBTI une seconde fois dans les 12 mois.
Ce constat révèle une faille fondamentale dans l’utilisation généralisée de tels tests : leur tendance à simplifier excessivement la complexité humaine, réduisant ainsi les individus à des catégories stéréotypées. « La tentation est forte de lier des métiers à des types de personnalités -par exemple, le commercial qui serait forcément extraverti- et il existe d’ailleurs des tableaux en ce sens pour le MBTI, le DISC… Ces tableaux procèdent souvent par généralisations, raccourcis et clichés », renchérit notre experte. Pour elle encore, c’est au candidat et à lui seul « de choisir le poste auquel il souhaite postuler et qu’il a envie d’exercer, et ce, en fonction de ses compétences, aspirations, intérêts, valeurs, de son expérience personnelle et du moment de vie qu’il traverse et non aux recruteurs ».
Demain tous les mêmes ?
L’utilisation intensive des tests de personnalité en recrutement est également critiquée pour son effet potentiellement homogénéisant sur la diversité des équipes. Selon Marie-Sophie Zambeaux, cette pratique peut conduire à une uniformité nuisible, particulièrement dans les environnements start-ups : « Si l’on se base sur les tests, on finit par recruter des clones. Bien sûr, on aura une bonne entente, mais aucune diversité, donc aucun esprit critique », souligne-t-elle. Ce risque d’entre-soi n’est pas seulement un problème éthique, mais aussi stratégique : « On peut dire bye-bye capacité d’innovation et de remise en question ! »
Au-delà du manque de diversité, le fait de se concentrer sur certaines personnalités, jugées a priori plus adaptées à tel poste, pour s’entendre avec tel manager ou telle équipe conduit finalement, selon notre experte, à une forme de discrimination sur la personnalité : « Cela peut sembler excessif, mais la pratique de la discrimination basée sur les résultats de tests de personnalité, comme le MBTI, est une réalité tangible dans certains pays, notamment en Corée du Sud, où il n’est pas rare que des entreprises exigent des candidats qu’ils passent le MBTI avant même de considérer leur candidature pour un poste. » On peut ainsi lire sur une offre d’emploi à temps partiel dans un café du district de Mapo, à l’ouest de Séoul : « Les personnes ENTJ et les ESFJ ne sont pas autorisés à postuler. » Un usage extrême, quasi dystopique, des tests psychométriques.
Quand les tests déraillent
Les tests de personnalité peuvent aussi révéler une facette trompeuse qui peut mener à des erreurs d’évaluation « Les candidats vont être tentés d’adapter leurs réponses pour répondre ce qui est attendu d’eux. » Conscients des attentes potentielles des recruteurs, ils peuvent adapter ou modifier leurs réponses pour correspondre à l’image qu’ils pensent être désirée. Ce phénomène, connu sous le nom de biais de désirabilité sociale, souligne la difficulté de capter une image authentique de la personnalité d’un candidat à travers de tels tests.
Marie-Sophie Zambeaux met également en lumière la nature situationnelle des réponses fournies par les candidats. En effet, l’efficacité des tests de personnalité est également susceptible d’être influencée par l’environnement dans lequel une personne se trouve, qui peut modifier de manière significative ses comportements et performances. « Si je suis de nature zen et sereine, mais que je suis dans un environnement toxique, avec un mauvais manager, je ne vais pas faire de miracle », illustre-t-elle. Qu’il soit positif ou toxique, l’environnement va finalement jouer un rôle crucial dans la manière dont les compétences et les traits de personnalité d’un individu se manifestent.
Notre experte conclut en nous mettant en garde contre « l’utilisation exclusive de ces tests pour prendre des décisions de recrutement cruciales », qui devraient plutôt être basées sur une évaluation plus nuancée et diversifiée des compétences et des qualités personnelles. Car même si on part du principe que les tests sont fiables, il reste un problème majeur : « les recruteurs sont peu ou pas formés à l’analyse de ces tests. »
Test de personnalité : adapter plutôt qu’imposer
Mode d’emploi d’un test fiable
Imposer un test de personnalité à un candidat -qui plus est sans en comprendre les contours et implications- semble être une démarche contre-productive. Il est essentiel de bien comprendre ces outils avant de les appliquer, voire de considérer des alternatives d’évaluation plus adaptatives. Voici quelques conseils pratiques pour intégrer efficacement les tests de personnalité dans les processus de recrutement selon Marie-Sophie Zambeaux :
Opter pour des outils validés scientifiquement : « Je recommande spécifiquement le modèle du Big Five, reconnu pour sa fiabilité et sa pertinence. »
Assurer la transparence avec les candidats : « Il est crucial que les candidats comprennent pourquoi et comment les tests sont utilisés dans leur évaluation. »
Intégrer le test comme un outil parmi d’autres : « Je considère les résultats d’un test de personnalité comme une information supplémentaire à prendre en considération, un outil d’aide à la prise de décision. Je n’en ferai jamais l’alpha et l’oméga de mes recrutements. »
Revalider les tests régulièrement : « Pour garantir qu’ils répondent toujours aux normes actuelles. »
Former les recruteurs à l’interprétation des résultats : « C’est essentiel pour assurer une interprétation objective et précise des résultats des tests. »
Les meilleures alternatives aux tests de personnalité
Pour aller au-delà des tests de personnalité, Marie-Sophie Zambeaux prône l’utilisation de méthodes d’évaluation diversifiées. Elle valorise particulièrement les entretiens structurés et les évaluations basées sur les compétences, qui, selon elle, « offrent des perspectives plus complètes sur les capacités réelles des candidats que les tests de personnalité seuls ». Notre experte recommande également d’intégrer différentes méthodes pour obtenir un profil plus précis et fidèle des candidats : « *Intégrer des simulations de tâches et des évaluations de compétences peut aider à contourner certains des pièges des tests de personnalité et à favoriser un recrutement plus inclusif et équitable. » Cette approche combinée permet non seulement de mesurer les compétences techniques et pratiques des candidats, mais aussi d’évaluer leur capacité à s’intégrer et à performer dans des contextes professionnels variés. Une bonne manière de réduire ainsi le risque de décisions basées uniquement sur les résultats de tests de personnalité, parfois trompeurs ou insuffisants pour prédire la performance réelle dans un poste.
Finalement, la question que l’on doit se poser n’est pas « peut-on » mais « doit-on » imposer un test de personnalité à un candidat ? La législation offre un cadre, mais l’éthique nous pousse à réfléchir au-delà des possibilités légales vers ce qui est réellement bénéfique. Marie-Sophie Zambeaux nous rappelle une réalité : « On cherche depuis toujours de nouvelles méthodes pour réduire au maximum le risque d’erreur de casting, mais il faut se rendre à l’évidence que le zéro erreur en recrutement n’existe pas. » Une perspective qui encourage à utiliser les tests de personnalité comme un outil parmi d’autres, enrichissant notre compréhension des candidats sans pour autant en faire le juge ultime de leurs aptitudes. En diversifiant les méthodes d’évaluation, on peut aspirer à un processus de recrutement plus équilibré, qui reconnaît la complexité et la richesse des potentiels humains.
Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo Thomas Decamps.
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