Attention, changer de job n’est pas la solution miracle à tous les problèmes !
13. 10. 2021
7 min.
Journaliste indépendante
Un trader devenu fromager à succès, une commerciale proche du burn-out qui revit en céramiste… Les histoires de reconversions idylliques fleurissent ces deux dernières années, et plus le changement de cap est radical, plus l’histoire est séduisante. Pourtant, nul besoin de partir élever des lamas au Pérou pour se sentir mieux au travail : il suffit parfois de changer d’entreprise tout en restant dans la même branche, voire…. d’y rester. Car changer de boulot n’est pas le remède miracle à tous les maux, loin de là. Alors, comment savoir quand il est temps de partir, ou non ? Y a-t-il d’autres moyens moins radicaux que tout plaquer pour améliorer sa vie professionnelle ? Et si l’on s’en va tout de même, comment être sûrs de ne pas retrouver dans notre prochaine entreprise les mêmes écueils qui nous ont poussé à partir ? Réponses avec Florence Meyer, experte en transformation, coach et auteure du livre Je réussis ma transition professionnelle (Éd. Diateino).
La pandémie a conduit nombre de salariés à remettre en question leur situation professionnelle. Craignez-vous que l’on assiste à des reconversions ou des changements d’entreprises en cascade, parfois pour de mauvaises raisons ?
Oui, c’est un risque. Pendant la crise sanitaire, certains secteurs se sont vus contraint de mettre en place des plans sociaux, comme l’hôtellerie ou l’aviation. Certains salariés ont alors saisi l’opportunité du PSE (Plan de Sécurisation de l’Emploi, aussi connu sous le nom de Plan Social, que l’employeur doit mettre en place dès lors qu’une procédure de licenciement économique est envisagée, afin de limiter le nombre de licenciements et d’en atténuer les conséquences, Ndlr) en se disant que c’était le moment ou jamais de saisir un plan social aussi intéressant. Ils s’imaginaient de cette façon, avoir le temps et l’argent pour penser à leur transition professionnelle et monter un projet de reconversion le cas échéant. Or, pour moi, c’est vraiment une mauvaise raison de s’engager dans une transition professionnelle. C’est un peu prendre le problème à l’envers : la plupart des personnes dans ce cas de figure sont exténuées par toutes les dernières réorganisations et la pandémie, donc il y a un côté « Je prends ce qui passe, au moins ça me laisse du temps ». Je suis relativement inquiète pour ces personnes-là car elles ont l’illusion d’une sécurité financière (en général elles partent avec l’équivalent de deux ans de salaire), mais elles ne se rendent pas compte qu’il faut souvent plus que deux ans pour monter un projet professionnel fiable.
Vous pensez qu’il faut forcément avoir un projet professionnel défini pour changer de travail ?
Non, il y a un juste équilibre à trouver. Si on attend d’avoir un projet bien ficelé, on ne partira probablement jamais. Souvent, il suffit simplement de commencer à réfléchir à un projet pour se mettre en mouvement, on commence à entrer en relation avec telle ou telle personne, et cela ouvre de nouvelles portes, les choses s’accélèrent d’elles-mêmes. Mais ce qui me pose souci dans le fait de sauter sur l’occasion d’un plan social sans aucun plan défini par exemple, c’est que cela procure un faux sentiment de sécurité. Là où d’autres personnes, qui partent sans aucune compensation financière, ressentent un peu un sentiment d’urgence qui les contraint à passer à l’action rapidement, celles et ceux qui bénéficient d’un PSE, ou qui ont négocié leur départ avantageusement, ont tendance à se reposer inconsciemment sur ces garanties. Dans un sens, le sentiment d’urgence aide à avancer, et quand il est moins présent, cela peut être handicapant et apporter une fausse sécurité psychologique qui se paye plus tard.
Quelles sont selon vous les vraies « bonnes raisons » de quitter son travail ?
Ce qui m’apparaît comme l’une des meilleures raisons de changer de job c’est le conflit de valeurs, c’est-à-dire une personne qui ne se retrouve plus en phase avec les valeurs portées par son entreprise. Cette situation justifie une reconversion ou a minima un changement d’entreprise, parce qu’à terme, c’est vraiment quelque chose qui va saper l’énergie du salarié, le mettre en porte-à-faux et c’est difficile à porter. Être en conflit de valeurs avec son entreprise est encore pire qu’avoir un job qui nous ennuie ! Souvent, j’observe que quand on quitte un job pour cette raison-là, la transition se passe bien, puisqu’on peut difficilement avoir une prise sur les valeurs d’une entreprise.
On entend souvent que le plus important est d’aimer ce que l’on fait, mais finalement ce n’est pas si crucial que cela ?
En effet. C’est intéressant, car je viens de finir un livre sur l’histoire du PDG d’une entreprise de nettoyage qui a transformé son entreprise en entreprise libérée, et qui a obtenu des résultats étonnants : ses salariés sont super motivés car ils reçoivent de la reconnaissance, se sentent valorisés… Or, en soit, le contenu même du job n’est, a priori, pas des plus passionnants. Pourtant, ils sont très épanouis. Je pense qu’en soit ce n’est pas tant le contenu du travail lui-même qui compte, c’est plus l’environnement de l’entreprise : les valeurs portées par celle-ci, l’exemplarité du management…
On peut aussi s’épanouir en dehors du boulot ?
Absolument, j’ai l’exemple d’une coachée arrivée avec un projet de reconversion professionnelle. Son hobby c’était l’écriture, d’ailleurs elle écrivait un roman au moment de notre rencontre. Pourtant, après réflexion, elle s’est aperçue que son job était certes loin d’être une passion, mais qu’il lui laissait le temps d’écrire. Donc, elle s’est dit : « Pour l’instant, je reste, et je verrai si j’ai besoin de changer d’entreprise plus tard. »
Avez-vous identifié au cours de votre coaching de « mauvaises raisons » de partir de son entreprise ?
Les conflits de personnes, ou alors le sentiment d’avoir « fait le tour » de son job. Selon moi, cette dernière peut être une mauvaise raison, car quand on creuse un peu, on s’aperçoit la plupart du temps qu’il y a beaucoup de façons d’enrichir son métier et qu’on peut parfois agrandir son périmètre, le renouveler, faire évoluer sa fiche de poste… Or, ça, les salariés n’en ont pas toujours conscience. Cela peut mener à un phénomène où, finalement, ils changent de boulot, et ont de nouveau ce sentiment d’avoir fait le tour du job au bout de trois ans dans le poste suivant et ainsi de suite. C’est dommage, car ce sont des personnes qui auraient parfois pu trouver une trajectoire plus riche en restant dans leur poste mais en creusant davantage leurs possibilités. C’est ce qu’on appelle le « job crafting » : le fait d’enrichir sa fiche de poste en fonction de ses talents et de ses envies. Il s’agit d’évaluer ce que l’on peut modifier dans notre fiche de poste actuelle pour trouver plus d’épanouissement au quotidien.
Et pour l’autre cas dont vous parliez, le conflit de personnes, que conseillez-vous dans cette situation ?
Il faut faire attention aux cas qui ressemblent à des fuites en avant, sur le mode « je suis dans une situation inconfortable, donc j’essaie d’en sortir à tout prix ». Évidemment il y a des situations où il faut partir tout de suite : si on se sent harcelé ou en danger par exemple. Mais s’il s’agit d’une situation « juste » conflictuelle, qui peut se régler. Là encore, il faut voir quelles pistes existent pour améliorer les relations. J’encourage souvent les personnes à se demander : « Qu’est-ce que vous seriez en mesure de tenter pour améliorer la situation que vous n’aviez pas encore osé faire, maintenant que de toute façon vous êtes prêts à partir ? » L’idée est de voir ce qu’ils peuvent changer dans la relation avec la personne concernée qui pourrait la faire évoluer, sachant qu’ils n’ont plus rien à perdre. Ça ne marche pas toujours, mais je trouve important d’avoir l’état d’esprit de tout essayer, plutôt que de laisser tomber trop tôt. Parce que là encore, le risque est d’entrer dans un phénomène de répétition : j’ai un souci dans une entreprise, je pars, et, bizarrement, je vais retrouver le même souci dans l’entreprise suivante. Tant qu’on ne travaille pas à repérer ce qui, dans notre comportement, peut générer ces scénarios d’échec, le cercle vicieux peut se perpétuer.
Comment procède-t-on concrètement pour savoir s’il est judicieux de quitter son entreprise ou métier ?
Lors de mes coaching, je propose des pistes avant que les personnes s’engagent dans une reconversion ou opèrent un changement de job. Le job crafting, dont je parlais tout à l’heure par exemple. Je vais demander à mes coachés de creuser si, en interne, il n’y a pas des projets stimulants dans lesquels ils peuvent s’inscrire, que ce soit à travers des bourses de projets, des hackatons (des sortes de marathons de programmation, durant lesquels des équipes de développeurs doivent développer un projet informatique sur un temps limité, Ndlr) … On peut également s’expatrier pour changer d’environnement sans pour autant changer de boulot, capitaliser et transmettre son expérience à un junior, que ce soit en faisant du mentorat par exemple, ou en rédigeant des bonnes pratiques… En fait, l’idée est d’abord de creuser ensemble pour bien voir s’ils ont exploité toutes les pistes possibles avant de tout plaquer.
Existe-il des façons de déterminer si un motif de départ est pertinent ou non ?
La question à se poser quand on sent que l’on a envie de partir est la suivante : « Est-ce que mon envie de partir est liée à une circonstance particulière ? Par exemple, je viens de me prendre la tête avec mon manager ou mon RH, j’ai un projet qui a été refusé… Est-ce que c’est lié à un événement négatif récent ? Est-ce que c’est lié à un PSE attractif ? » Il s’agit de discerner si la raison de notre départ est liée à des circonstances particulières éphémères, ou plutôt à un mouvement de fond, qui ferait écho à un désalignement avec nos valeurs personnelles.
Pour changer de boulot, il est important d’avoir le sentiment qu’on a tout fait pour que ça aille mieux et que ce n’est pas le cas (j’exclus les cas où l’on se sent en insécurité ou harcelé). À ce moment-là, il n’y a plus de questions à se poser, il faut partir. Mais une vraie bonne raison de partir, celle qui fonctionne le plus, c’est de se réaligner avec ses valeurs. C’est la boussole qui doit guider une transition professionnelle, et c’est ce qui est garant de la réussite de la reconversion. Il faut aussi trouver le bon timing : partir après avoir tout essayé mais avant d’arriver en burn-out !
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Photo par Welcome to the Jungle
Édité par Romane Ganneval
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