Flexibilité : les horaires décalés sont-ils la meilleure opportunité à privilégier ?

19. 11. 2024

6 min.

Flexibilité : les horaires décalés sont-ils la meilleure opportunité à privilégier ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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Face à des trajets domicile-travail saturés, les horaires décalés peuvent être une solution pour vos salarié·e·s qui vivent loin des bureaux. En évitant les heures de pointe, cette flexibilité allège le stress et favorise l’équilibre des temps de vie.

La semaine de quatre jours a été récemment mise en lumière pour repenser les rythmes de travail, mais elle n’est pas la seule option. Une autre piste prend de l’ampleur : la flexibilité des horaires séduit 44 % des actifs, selon une étude de la Fondation The Adecco Group et du CREDOC (2024). En France, on parle d’horaires décalés ou atypiques pour décrire les plages se situant en dehors des créneaux standards de 7h à 20h, du lundi au vendredi. À noter que ces rythmes non conventionnels ne sont pas toujours choisis : selon l’Observatoire des inégalités, 22 % des employés travaillent le dimanche, contre seulement 5 % des cadres supérieurs (Ministère du Travail, 2019). De même, le travail posté en « 2x8 » (alternance entre matinée et après-midi) concerne 11 % des ouvriers, contre moins de 1 % des cadres.

Néanmoins, pour certains postes, catégories de travailleurs ou géographies d’emplois, les plannings flexibles répondent aux besoins croissants de souplesse et de bien-être face à la « galère » des transports. Une galère qui peut avoir de réelles conséquences psychologiques, comme le prouve une enquête menée en Corée du Sud sur 23 415 salariés selon laquelle des trajets quotidiens de plus de 60 minutes augmentent de 1,16 fois le risque de dépression. De même, une étude européenne appelée « parcours urbains » parue en octobre 2024 a mis en évidence que le confort psychologique des employés est fortement influencé par la qualité de leurs trajets domicile-travail. Ceux qui empruntent plus de trois modes différents présentent un indice de stress supérieur à 5 sur 10, contre 4,3 pour ceux utilisant deux modes et 3 pour un seul. Alors, dans quelle mesure et comment mettre en place des horaires décalés ou flexibles ?

Les horaires décalés : un modèle gagnant-gagnant

Jean-Étienne Joullié, enseignant-chercheur en management à l’EMLV, rappelle : « Il existe plusieurs sortes d’horaires décalés : le travail de nuit, le travail posté ou en équipe […] et plus simplement le travail à des horaires dits ‘irréguliers’ (par référence à la norme 9h-18h). » Si les deux premiers types concernent principalement les « cols bleus » dans des secteurs fonctionnant 24h/24, les horaires irréguliers s’adressent à un public plus large, incluant des salariés autonomes et expérimentés. Mais quels sont les bénéfices croisés ?

Côté salariés : trois bénéfices avérés des horaires flexibles

La réduction du temps de trajet

En France, 75 % des salariés effectuant un trajet de plus de 60 minutes considèrent ce temps de transport comme désagréable, ce qui impacte négativement leur bien-être au travail. « En évitant les heures de pointe, les travailleurs bénéficient de routes moins encombrées, ce qui diminue la durée et la difficulté de leurs déplacements quotidiens. Cette réduction du trafic allège le stress associé aux trajets domicile-travail, améliorant ainsi la qualité de vie et permettant aux employés de commencer leur journée de manière plus sereine et concentrée », souligne Jean-Étienne Joullié. C’est d’autant plus pertinent que 74 % des actifs se rendent au travail en voiture et 11 % empruntent les transports en commun.

L’amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle

« C’est une réponse concrète pour s’adapter aux contraintes familiales ou personnelles. De plus, cette approche va au-delà du simple télétravail : elle s’inscrit dans une démarche de bien-être social, tout en maintenant le lien physique avec le lieu de travail », souligne également Jean-Étienne Joullié. En effet, les horaires flexibles offrent plus de temps personnel ou familial ( 51 %) et favorisent un meilleur équilibre de vie (43 %). Une flexibilité du travail profondément ancrée dans la culture d’entreprise d’Ignition Program. Nicolas Lepercq, responsable R&D du cabinet et docteur en management à l’université PSL-Dauphine, souligne que « cette liberté est une valeur structurante de l’entreprise ayant conduit à prendre en compte les demandes d’individualisation du temps de travail ». À tel point qu’une approche spatio-temporelle souple a été déployée permettant aux employés de choisir où et quand ils travaillent, afin de valoriser leur liberté et leur autonomie.

La diminution des coûts des transports

79 % des Français estiment que leur salaire ne couvre plus les frais de transport croissants. Pour 64 % des répondants, leurs frais de mobilité sont considérés comme les plus élevés parmi leurs dépenses professionnelles. Les trois postes de dépenses les plus importants étant l’essence (34 %), les repas (32 %) et les transports en commun (29 %). Résultat : si on leur donnait le choix, 49 % des salariés privilégieraient un modèle hybride, 42 % opteraient pour le télétravail à 100 %, et à peine 9 % choisiraient de travailler exclusivement sur site. Opter pour les horaires décalés, c’est donc la promesse de trajet moins longs, et potentiellement moins coûteux aussi pour leur porte monnaie (essence, prix des billets, économie d’un repas au bureau…).

Et côté employeur ?

Deux avantages sont particulièrement notables :

  • L’étalement des présences : l’étalement permet de maintenir une disponibilité de qualité, notamment pour des services clients où une présence continue est nécessaire. « C’est une réponse efficace pour les entreprises qui souhaitent fonctionner sur des plages horaires plus étendues », précise Jean-Étienne Joullié.
  • L’optimisation des coûts d’infrastructure : les locaux sont utilisés de manière plus fluide et continue, dans la lignée du flex office. Bien que des ajustements soient parfois nécessaires pour maintenir l’efficacité opérationnelle, l’autre effet positif est le niveau d’engagement des salariés. « Des reports de réunions ou des ajustements dans les projets peuvent survenir, mais ils sont compensés par un haut niveau d’engagement interne », explique encore Nicolas Lepercq.

Horaires décalés : des freins culturels et sociaux indépassables ?

Tempo Territorial, réseau national qui accompagne les acteurs des territoires dans l’intégration de la dimension temporelle dans les politiques publiques, a tenté de mettre en place cette approche flexible dans la métropole de Rennes. « Bien que cette idée soit théoriquement efficace, elle n’a pas prouvé son efficacité en pratique », explique Lucie Verchere, animatrice du réseau. Pour la pro, deux obstacles majeurs freinent son adoption : « La culture française, où arriver tard ou partir tôt est mal perçu, et les contraintes personnelles et familiales (comme déposer ses enfants à 8h à l’école), qui limitent la flexibilité », énumère-t-elle. « De plus, en entreprise, l’introduction d’horaires décalés peut également entrer en conflit avec d’autres dispositifs comme les RTT, le télétravail et la semaine de quatre jours, rendant les ajustements compliqués. »

La thèse intitulée Mais pourquoi arrivent-ils tous à la même heure ? Le paradoxe de l’heure de pointe et des horaires de travail flexibles, rédigée par Emmanuel Munch, chargé de recherche au Ministère de la Transition Écologique, corrobore ces résultats du terrain. Sa conclusion ? Malgré une plus grande liberté dans la gestion de leur temps, de nombreux salariés continuent d’arriver aux heures de pointe, annihilant cette liberté offerte.

La thèse s’appuie sur plusieurs cadres théoriques pour décrypter cette forme de « servitude organisationnelle volontaire » :

  • les « contraintes de couplage » -la nécessité de synchroniser ses activités avec celles des autres- et les préférences individuelles : qui influencent les horaires choisis par les travailleurs, évoquée notamment par l’école scandinave de la Time-Geography (Hägerstrand, 1970)
  • le poids des normes sociales : inspiré de la sociologie compréhensive de Max Weber (1922), qui dicte des comportements collectifs, notamment l’idée largement acceptée d’arriver au bureau avant 9h30. Ceci renforce la pression de se déplacer durant les heures de pointe, même si une flexibilité est théoriquement disponible.
  • [la distinction entre stratégies et tactiques](https://journals.openedition.org/leportique/2820) : du philosophe, théologien et historien Michel de Certeau qui vient également analyser comment les travailleurs gèrent leurs déplacements. Malgré la montée des nouvelles technologies -qui permettraient une gestion plus flexible et spontanée du temps, comme le télétravail ou des applications de transport-, la majorité des salariés préfère encore utiliser des stratégies, c’est-à-dire planifier leur journée à l’avance. Conséquence : ils continuent de prévoir une heure fixe pour arriver au travail, en fonction des contraintes de leur vie personnelle et professionnelle, plutôt que d’ajuster en temps réel selon les conditions du jour.

Horaires flexibles : vers un nouveau compromis organisationnel ?

Cette forme de flexibilité, aussi attrayante soit-elle, pose encore quelques défis culturels et managériaux. Selon Jean-Étienne Joullié, « cela nécessite une gestion du temps élargie de la part des managers, qui doivent concilier les aspirations d’autonomie individuelle avec les besoins du collectif ». C’est pourquoi l’autonomie offerte doit s’accompagner d’une responsabilité collective. Des moments de collaboration sont donc essentiels pour nourrir et maintenir la transmission et les liens. « Au sein d’Ignition Program, ces rassemblements ne sont pas imposés contractuellement, mais sont intégrés dans le fonctionnement naturel des projets, témoigne Nicolas Lepercq. Chacun sait qu’il doit être disponible lors de ces moments clés, assurant ainsi la cohésion et l’efficacité de l’équipe. »

À l’heure où les entreprises redéfinissent leurs modes d’organisation, cette forme de flexibilité pourrait s’inscrire durablement comme un modèle hybride, capable de conjuguer performance et bien-être au travail. Parmi les répondants à l’enquête de Capterra, 66 % de ceux qui travaillent en présentiel ou en mode hybride évoquent la flexibilité horaire comme l’une des mesures recherchées pour encourager leur envie de se rendre plus souvent sur leur lieu de travail. Serait-ce l’alternative « acceptable » ou le compromis possible pour un retour au bureau plus adapté aux réalités individuelles ?

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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.