Manager : le statut ne fait-il (vraiment) plus rêver les jeunes générations ?

18. 12. 2024

7 min.

Manager : le statut ne fait-il (vraiment) plus rêver les jeunes générations ?
autor
Alix Mardon

Journaliste

přispěvatel

On l’entend à toutes les sauces : les jeunes générations ne souhaiteraient plus du tout manager. Mais à rebours des clichés, une étude récente semble proposer une lecture plus nuancée de cette tendance. S’ils ne fuient pas les responsabilités managériales, les jeunes se proposent, en revanche, d’en redéfinir la fonction.

Se hisser au rang de manager, est-ce vraiment devenu une ambition de boomer ? Pas si sûr ! À l’heure où le management semblait avoir perdu de son attractivité aux yeux des jeunes, une étude signée PerformanSe de 2024 bouscule les clichés. Exit l’idée reçue que les 20-30 ans fuient les responsabilités : 58 % d’entre eux souhaitent, au contraire, prendre les rênes d’une position managériale, quand 68 % dépeignent même ce rôle sous un jour positif. En revanche, si cette aspiration semble présente en début de carrière, elle chute à 46 % chez les plus de 56 ans. Entre nouvelles attentes et réalité du monde du travail, quel regard portent réellement les jeunes sur le management ? Comment expliquer les nombreux préjugés à ce sujet ? Et pour quelles raisons assiste-t-on à un désamour du statut les années passant ?

La réticence des jeunes vis-à-vis du management, un cliché parmi tant d’autres ?

L’idée selon laquelle les jeunes ne veulent plus manager trouve son origine dans un réflexe vieux comme le monde : celui de critiquer les nouvelles générations. Et la GenZ fait, elle aussi, les frais de ce generation gap : « trop flemmards », « pas assez ambitieux », « focalisés sur leurs vies personnelles », « individualistes », « moins efficaces », tels sont les qualificatifs (peu reluisants) qui reviennent le plus souvent à leurs propos. « Aujourd’hui, taper sur les jeunes à tout bout de champ est un sport national dans bon nombre de médias », regrette Salomé Saqué, journaliste chez Blast et auteure de Sois jeune et tais-toi (Payot, 2023) qui appelle à un changement de regard, en s’employant à dresser le constat des difficultés inédites (baisse des salaires d’entrée, emplois moins qualifiés…) auxquelles ces nouveaux entrants sur le marché du travail font face.

Ainsi, on concluerait un peu trop vite à un désintérêt de ces jeunes pour grimper les échelons de la hiérarchie : pour 52,5 %, cette quête de responsabilités figure même en pôle position de leurs sources de motivation à embrasser le poste. « Cette idée reçue est souvent portée par des générations plus âgées, car elle leur permet aussi d’affirmer le modèle d’entreprise dans lequel elles ont évolué et fait carrière. Elles peuvent ainsi se mettre en avant, en bons élèves du monde pro », décrypte Michel Barabel, directeur des publications du Lab RH et co-rédacteur en chef du MagRH. En réalité, ce raccourci un peu simpliste minimiserait également un autre aspect, le désir de ces jeunes de se sentir plus légitimes à travers l’apprentissage de nouvelles compétences et connaissances, là où leurs aînés voient davantage dans la fonction managériale, une dimension performative en termes de statut et de prestige.

Si Elise, 27 ans, ne s’était pas rêvée manager, l’opportunité de passer de la coordination d’une petite équipe de stagiaires au poste de directrice commerciale de son entreprise, lui a clairement permis de gagner confiance en elle. « Ce n’est pas une chose à laquelle j’aspirais à l’époque car je ne m’en sentais pas encore prête, mais j’y suis allée ! J’ai appris sur le tas et ça me paraissait fou de faire ça sans trop d’études. Ça a été difficile au début. Mais malgré mon âge, personne ne s’est permis de remettre en question mes compétences, car j’arrive à créer un environnement qui donne envie de travailler. L’unique fois où une collaboratrice plus âgée a voulu discuter de notre différence d’âge et d’expérience, la conversation a été saine et sans difficulté », se remémore-t-elle.

Manager, un rôle qui perd de sa superbe à l’épreuve des faits

Les nouvelles générations arriveraient donc sur le marché du travail avec une vision enthousiaste du management, attirées par la possibilité de jouer un rôle clé dans leur organisation et d’avoir un impact plus direct par leurs missions. Un engouement qui s’explique, en partie, par une méconnaissance des réalités du métier. « C’est plus facile de fantasmer une fonction que l’on n’a pas encore exercée », analyse Michel Barabel. Mais au fil des années, cette vision idéalisée du management s’érode, heurtée par les contradictions et les désillusions du terrain. Une fois le cap franchi, la fatigue, les limites et les contraintes se font sentir ! À commencer par les injonctions à gagner en performance tout en rationalisant les coûts, à considérer chaque individu à part entière tout en préservant l’esprit d’équipe…

Au-delà de cette méconnaissance des enjeux de la fonction managériale, il y a une dimension dans laquelle ces jeunes générations se retrouvent : le désir de challenger le statut vers un rôle de facilitateur ou de coach, qui valorise une gestion d’équipe centrée sur l’écoute, le bien-être et la cohésion. Pour 82 % des 20-30 ans, ces qualités constituent d’ailleurs de véritables prérequis pour tout manager. Or, elles figurent en bonne place des nouveaux modes de management, auxquels les jeunes managers s’accommodent plus facilement que leurs aînés. « Ce qui me plaît c’est de ne pas avoir un lien hiérarchique trop rigide avec mes collaborateurs, mais plutôt un rôle d’accompagnement et de formation. J’aime cette dimension humaine : créer chez eux l’envie de donner le meilleur d’eux-mêmes autrement. Je cherche à instaurer une bonne ambiance, à rendre les choses fun, tout en évitant de tomber dans le copinage », illustre Elise.

Néanmoins, force est de constater que cette appétence pour un management plus horizontal ne fait pas toujours le poids face à la dévalorisation progressive du statut. Les avantages d’autrefois, comme une voiture de fonction ou le prestige hiérarchique, ont laissé place à des responsabilités accrues sans nouvelle contrepartie. Paul (1), 27 ans, manager d’une dizaine de personnes dans la fonction publique, a rapidement déchanté face à la réalité du terrain. « J’ai toujours voulu manager car j’avais envie de prendre des responsabilités. Aujourd’hui, je manage des gens avec un âge proche du mien et il a été facile de nouer des liens avec eux. Mais, mon équipe doit être capable de faire la part des choses entre ces liens et le rapport hiérarchique à entretenir. Moi-même je suis le niveau intermédiaire entre eux et mes supérieurs, et il est parfois compliqué de gérer les personnes en-dessous de moi, en plus de celles au-dessus, sans dégrader les liens avec chacun », confie-t-il. Comment alors parvenir à faire perdurer l’attractivité du statut de manager pour les jeunes et les moins jeunes ?

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Conseil n°1 : ancrez une posture réflexive avant de promouvoir

Pour garantir une collaboration gagnante, ne confondez pas un excellent élément avec un manager en devenir. Ce n’est pas parce qu’un salarié excelle dans son poste aujourd’hui qu’il saura gérer une équipe demain ! La clé pour ne pas se tromper dans la promotion d’un salarié, c’est une évaluation anticipée qui pose le diagnostic de sa posture réflexive. Cette posture réflexive, c’est l’art de se poser les bonnes questions sans détour. « Ce collaborateur est-il capable de s’interroger honnêtement : comment je veux soutenir mon équipe ? Comment puis-je inspirer si je ne me connais pas moi-même ? Un manager qui manque de clarté sur ses forces, ses fragilités ou ses mécanismes émotionnels risque d’envoyer des signaux contradictoires », explique Michel Barabel. Tendez donc le miroir, avant le projecteur ! Encouragez vos managers à se regarder honnêtement, sans exagérer leurs qualités ou minimiser leurs défauts. Entre tests d’auto-positionnement, bilans de compétences et feedbacks 360°, des outils permettent d’identifier là où la réflexion coule de source, et là où il faut progresser. En se connaissant mieux, vos managers gagnent en authenticité et en impact.

Conseil n°2 : boostez l’énergie mentale de vos managers

Dans un environnement rempli d’imprévus, un manager se retrouve challengé dans son énergie mentale. Au-delà des compétences techniques, il est donc important de l’aider à cultiver son capital psychologique, en se basant sur quatre éléments clés :

  • L’optimisme : aidez-le à voir le verre à moitié plein
  • L’espoir : faites-lui comprendre que, peu importe les épreuves rencontrées, le triomphe est toujours possible
  • La résilience : manager, c’est aussi savoir accueillir les mauvaises nouvelles et rebondir en conséquence
  • Les ressources personnelles : le sentiment que, quelque soient les éléments inattendus, il a lui-même les compétences pour relever les défis et sait que vous lui faites confiance pour cela

« Pour y parvenir, différentes approches s’offrent aux entreprises, conseille Michel Barabel. Le coaching, le mentorat ou encore les ateliers de co-développement permettent aux managers de renforcer leur confiance, d’affiner leur résilience et d’apprendre à mieux collaborer. Les formations axées sur le développement des compétences, comme l’empathie ou la gestion des feedbacks, sont également de précieux leviers pour consolider leur posture. » Un manager qui croit en l’avenir et rebondit face aux obstacles insuffle cette dynamique à ses collaborateurs. En boostant l’énergie mentale de vos managers, vous leur donnez les clés pour devenir de véritables catalyseurs de performance collective.

Conseil n°3 : gardez vos managers connectés à leur expertise

Quand des salariés performeurs deviennent managers, ils se retrouvent souvent projetés dans un rôle plus transversal, loin des tâches opérationnelles. Ce changement peut provoquer frustration et perte de repères. Pourtant, selon Michel Barabel, « on observe que les collaborateurs respectent davantage un manager qui maîtrise toujours son métier. Un bon manager ne doit donc pas se contenter de soft skills ou de gestion d’équipe. Il doit continuer à monter en expertise, rester informé des évolutions de son secteur et être capable d’échanger concrètement avec les membres de son équipe sur leurs tâches opérationnelles. Cela lui permet de conserver crédibilité et légitimité ».

Cela implique d’offrir à vos managers des opportunités de formation continue pour qu’ils restent experts dans leur domaine, mais aussi d’alléger leur emploi du temps. Trop de reporting ou de réunions inutiles risque de les déconnecter à la fois de leur métier et de leur rôle de leader. Un équilibre bien pensé entre expertise métier et management transversal permet à vos managers de rester performants, motivés et respectés.

Conseil n°4 : autorisez vos managers à souffler

Si on a longtemps eu l’image du manager égocentrique et robotique, on observe aujourd’hui le phénomène inverse : le manager sur-sollicité, qui prend tout sur ses épaules et s’épuise à la tâche. Résultat : il risque de dépérir ! « Il est temps de leur rappeler qu’ils ne sont pas des machines, alerte l’expert. ”Respirez, amusez-vous, prenez du plaisir, projetez-vous dans le futur” : voilà les mots d’ordre à leur transmettre. Être un bon manager ne signifie pas vivre collé à l’excellence opérationnelle, au “delivery” ou aux performances immédiates. À force de rester bloqués dans cet engrenage, ils finissent comme dans une machine à laver émotionnelle : essorés et à plat. » Les managers ont besoin de moments de joie, de réflexion et d’exploration pour recharger leurs batteries. Ces temps d’émotions positives ne sont pas du luxe, mais un carburant vital pour durer dans un métier exigeant.

Conseil n°5 : encouragez le leadership partagé

Le manager d’aujourd’hui peut avoir le poids du « super-héros », censé maîtriser le plus grand nombre de compétences. Cela peut donner l’impression qu’il doit être surhumain pour réussir. Mais en réalité, il n’a pas besoin d’exceller dans toutes ces dimensions. Pour Michel Barabel, c’est très clair : « Le rôle d’un manager repose sur deux piliers principaux : l’exemplarité et le partage de leadership. Être exemplaire signifie incarner ses valeurs, tenir ses engagements et inspirer son équipe par son attitude et ses actions. Cela peut représenter une part importante de son rôle, mais il n’est pas nécessaire de tout faire seul. C’est là qu’intervient le leadership partagé. Un bon manager identifie les forces de son équipe et délègue certaines responsabilités à des “champions”, c’est-à-dire des collaborateurs particulièrement compétents dans des domaines où lui-même est moins à l’aise. Cela permet de construire une dynamique collective où chacun joue un rôle clé, tout en renforçant la cohésion et l’efficacité. »
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(1) Certains prénoms ont été modifié

Article rédigé par Alix Mardon et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.