Repenser le contrat de travail : l’indispensable pour (enfin) fidéliser la gen Z ?
01. 10. 2024
5 min.
Les nouvelles générations semblent nourrir de nombreuses interrogations, à commencer sur leur rapport au travail. Jugés plus volages, oisives, voire égocentriques, elles déroutent les employeurs qui peinent à les fidéliser. Pour notre experte Laetitia Vitaud, la question du contrat de travail est l’un des facteurs essentiels qui mérite d’être ré-envisagé pour y parvenir.
C’est souvent que l’on entend des grincheux affirmer que « les jeunes ne veulent plus travailler » ou que « les gen Z ne veulent plus de CDI ». On a beau leur rappeler que, sur le marché du travail, les plus jeunes se voient offrir des contrats précaires plus longtemps que leurs aînés, qu’ils ont davantage de difficultés à se loger avec les salaires qu’on leur propose, et qu’ils ne sont pas naturellement « déloyaux », ces clichés ont la vie dure. Le fait est que le turnover des plus jeunes est important, même en CDI. Il est vrai qu’ils quittent plus souvent l’entreprise avant même la fin de leur période d’essai. La raison ? Le « contrat » de travail, au sens le plus large de l’expression, ne fait pas le job pour beaucoup d’entre eux.
Comprenez que, selon l’idée héritée de l’économie industrielle de la seconde moitié du XXe siècle, il faudrait que les contraintes soient alignées avec les contreparties du travail : on endure des conditions de travail pas folichonnes, mais en contrepartie, on nous garantit une vie stable et confortable. Or, les jeunes générations se retrouvent souvent bloquées dans des contrats précaires, peinent à accéder à un logement avec des salaires stagnants, et ne voient plus le CDI comme le Graal qu’il a pu être pour leurs aînés. Pour changer leur rapport au travail, il est donc essentiel de leur offrir un autre « contrat ».
Le CDI, un contrat de travail en déroute ?
À plusieurs égards, le CDI n’est plus un modèle de contrat de travail adapté aux nouvelles générations. Je vois notamment 3 raisons à cela.
Raison n°1 : le CDI reste l’apanage des moins jeunes
D’abord, il est essentiel de rappeler que l’on propose aux jeunes beaucoup moins de CDI qu’à leurs aînés au même âge. Il y a une cruelle ironie dans tout cela : à force de répéter que « les jeunes ne veulent pas de CDI », on justifie le fait de ne plus leur en proposer et de ne les payer qu’au lance-pierre. C’est ce que dénonce la journaliste Salomé Saqué dans son livre Sois jeune et tais toi (Payot, 2023). « À diplôme égal, on ne dispose pas des mêmes chances que ses parents d’obtenir un emploi correct », constate cette dernière.
Même s’il a nettement diminué, le chômage des jeunes reste plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale. Quand ils ont un emploi, ils sont plus nombreux à rester dans des formes de contrats précaires (CDD, stage, intérim, micro-entreprise, etc). Le lien entre jeunesse et pauvreté devient de plus en plus évident : entre les baisses des salaires à l’embauche, la précarité accrue des emplois et la durée prolongée des études, les jeunes restent dépendants plus longtemps.
Résultat ? Le poids des inégalités à la naissance pèse plus lourd que jamais, confirmant qu’« il vaut mieux hériter que mériter », comme l’écrit encore Salomé Saqué. La journaliste dresse un constat glaçant, qui remet en cause le mythe de la méritocratie auquel une grande partie de la jeunesse ne croit plus.
Raison n°2 : le CDI a une valeur souvent moindre pour la gen Z
Il faut bien admettre que les (rares) fois où on leur propose un CDI, il arrive que les jeunes n’y voient pas de valeur. Historiquement, le CDI représentait bien plus qu’un simple contrat de travail. C’était un moyen d’accéder à une sécurité financière, à un logement et de bâtir une carrière stable, avec des avantages comme une retraite décente et une progression salariale régulière. Mais pour les plus jeunes, ces contreparties ont largement diminué, tandis que le côté aliénant du travail persiste souvent.
Tant et si bien que les jeunes sont nombreux à quitter leur emploi avant même la fin de leur période d’essai. Ils cherchent des environnements de travail plus épanouissants, offrant davantage d’autonomie, de flexibilité, et surtout, un sens à ce qu’ils font. Je m’éloigne ici du domaine strictement juridique qu’évoque le mot « contrat », mais c’est essentiel pour comprendre les mutations à l’œuvre.
Le modèle contractuel dominant permettait à certains d’avaler la couleuvre d’un travail aliénant : la pointeuse, les tâches répétitives et la subordination… en échange d’un salaire qui progresse, de la possibilité d’accéder au logement, d’une bonne retraite et du sentiment d’appartenance à une équipe (pour le pire et le meilleur). Le CDI, c’était tout ça. Mais pour les plus jeunes, ça ne l’est plus depuis longtemps déjà : les salaires stagnent, l’accès au logement est complexe, la retraite arrivera tard et le sentiment d’appartenance a fait la place à un sentiment de solitude (le numérique aidant).
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Raison n°3 : le CDI mérite de voir ses contraintes et contreparties repensées
Puisque les contreparties ne sont plus au rendez-vous -qu’il faudra travailler 43 ans pour toucher sa retraite, qu’on aura plus de mal à posséder ou louer un logement décent…-, alors pourquoi accepter les côtés les plus aliénants du travail ? Surtout que des modalités nouvelles se sont développées avec la révolution numérique. On peut être à son compte et choisir ses clients et missions. On peut télétravailler davantage. On peut choisir ses horaires et travailler de manière « asynchrone ». Et bien plus encore.
Pour les employeurs, cela veut dire qu’il faudra soit enrichir les contreparties proposées (en aidant les jeunes actifs à se loger ou en leur offrant d’acquérir de nouvelles compétences rapidement) et/ou proposer des conditions de travail beaucoup plus épanouissantes et émancipatrices. Parmi ces contraintes, la subordination fait partie de celles qu’on a le plus de mal à accepter. Le lien de subordination, qui caractérise le contrat de travail salarié classique, rebute de nombreux jeunes. Pour eux, la hiérarchie stricte et l’obéissance à un supérieur ne collent pas à leurs aspirations d’autonomie et de créativité. Ils se demandent si des relations plus horizontales sont possibles, dans lesquelles la collaboration et l’écoute priment sur la soumission.
L’association Youth Forever, qui travaille sur l’entreprise, les transitions et la jeunesse, a étudié le rapport des jeunes au contrat de travail avec l’appui de 22 experts. Elle conclut que si le CDI reste recherché pour la sécurité qu’il procure, il devrait néanmoins évoluer. La flexibilité du travail, comme celle qui permettrait d’avoir plusieurs employeurs, ou l’intégration de grilles de rémunération publiques et transparentes, sont des pistes explorées pour le rendre plus attractif. Offrir des conditions de travail qui respectent les attentes de réciprocité, d’horizontalité et d’autonomie est essentiel pour fidéliser les travailleurs.
Le passage à un contrat évolutif, l’alternative idéale au CDI ?
Et si la clé était d’imaginer un contrat de travail plus dynamique pour mieux répondre aux attentes des jeunes (et moins jeunes) générations, qui recherchent davantage de flexibilité et d’opportunités d’apprentissage ? Plutôt que d’être figé et uniquement révisé lors de bilans ou en cas de problème, le contrat de demain devrait évoluer en continu, intégrant des possibilités de formation et de mobilité professionnelle. En permettant aux travailleurs d’enrichir constamment leurs compétences, il pourrait aussi inclure des missions multiples et un cadre plus flexible, favorisant une véritable adaptation aux aspirations individuelles.
L’apprentissage tout au long de la vie et la mobilité professionnelle sont devenus des clés de sécurité pour toutes les personnes qui vont encore travailler 20, 30 ou 40 ans de plus. Face à des carrières plus longues et à un marché de l’emploi en constante évolution, la capacité à acquérir de nouvelles compétences représente une forme de protection sociale. Cela passe par des expériences enrichissantes, des opportunités de mentorat et des managers attentifs.
En conclusion, il ne s’agit pas de proposer des contrats précaires sous prétexte que les jeunes changent souvent de travail. Au contraire, l’enjeu est d’offrir aux travailleurs d’aujourd’hui et de demain un cadre de travail qui permette de s’épanouir et d’apprendre, tout en garantissant la sécurité matérielle sans laquelle rien n’est possible. Le travail n’est pas censé être une torture mais il doit aussi permettre de vivre une « bonne vie », qu’on soit jeune ou moins jeune…
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Article rédigé par Laëtitia Vitaud et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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