Co-CEO : et si c'était mieux de diriger une entreprise à deux ?
Sep 09, 2024
6 mins
L’archétype du CEO omniscient et solitaire convenait bien au XXe siècle. À l'ère des structures horizontales, de la polycrise et de la complexité des organisations, des modèles de co-CEO ou co-leadership émergent. Mais est-ce une alternative crédible ? Décryptage.
La structure traditionnelle d’une entreprise repose souvent sur une figure unique et très incarnée du dirigeant, le CEO. Cependant, certaines entreprises optent pour un modèle de co-CEO, où deux leaders partagent les responsabilités et la gestion de l’organisation. Welcome to the Jungle a récemment adopté ce modèle : Antoine-Benjamin Lequertier, CMO de la start-up depuis 2021, a été nommé co-CEO aux côtés de Jérémy Clédat, co-fondateur et CEO depuis 2015. Un changement qui intervient pour « accompagner le virage à l’international de l’entreprise ». D’autres entreprises ont tenté l’expérience pour l’attrait de la complémentarité des compétences, la subsidiarité ou encore l’ubiquité que cela procure.
Mais est-ce une tendance émergente ? Une bifurcation souhaitée pour une répartition plus juste du pouvoir ? Qu’y a-t-il derrière ce choix de gouvernance ? La Harvard Business Review avait tenté de répondre à ces questions dans un article exhaustif paru en juillet 2022, « Is It Time to Consider Co-CEOs ? ». Les auteurs Marc A. Feigen, Michael Jenkins et Anton Warendh ont mis en exergue deux points : parmi les 2 200 entreprises listées dans le S&P 1200 et le Russell 1000 de 1996 à 2020, moins de 100 entreprises étaient dirigées par des co-CEO. Et fait notable, les 87 entreprises dirigées par des co-CEO génèrent de meilleurs rendements que les entreprises comparables avec un seul dirigeant : « Près de 60% des entreprises dirigées par des co-CEO ont surperformé. »
Modèle de co-CEO : enjeux et fonctionnement
Airties, une entreprise spécialisée dans les logiciels d’optimisation des réseaux wifi, a adopté ce modèle avec succès. Guillaume van Gaver, l’un des anciens co-CEO, raconte le contexte de la mise en place de ce partenariat exécutif : « Le départ du CEO a marqué un tournant puisque le CTO et cofondateur a été choisi pour prendre la relève. Cependant, pour renforcer la direction et compléter ses compétences techniques, le fonds d’investissement m’a proposé de devenir co-CEO. » En effet, son parcours, orienté vers le développement commercial, complétait celui de l’ex-CTO, plus axé sur les aspects techniques et les produits. Alors externe, mais « séduit par cette idée novatrice », Guillaume van Gaver a accepté cette offre et a travaillé à la mise en place de ce nouveau mode de fonctionnement pendant plus d’un an.
Le fonctionnement ? Dans cette configuration, Guillaume van Gaver était responsable des départements commercial, RH et finance, tandis que son partenaire co-CEO se concentrait sur les produits et la technologie. Il existait une répartition claire et explicite des responsabilités et une prise de décision conjointe pour les questions opérationnelles, en collaboration avec le conseil d’administration. Et en cas de désaccord ? Le co-CEO « responsable du périmètre concerné avait le dernier mot ». Ce principe a permis de maintenir une structure claire et efficace, tout en tirant parti des compétences complémentaires des deux dirigeants.
5 bonnes raisons de tenter l’aventure en co-CEO
La complémentarité des compétences et savoir-faire
Le modèle de co-CEO permet de s’appuyer sur les points forts de chaque dirigeant. Guillaume van Gaver et son partenaire ont d’ailleurs travaillé en amont de leur prise de poste conjointe avec un coach « pour mieux comprendre leurs personnalités et compétences respectives ». Cette complémentarité a enrichi la prise de décision et la gestion globale de l’entreprise.
Entre présence accrue et représentation efficace
À deux, les co-CEO peuvent se répartir les tâches et les déplacements. « Lorsqu’un des co-CEO doit se rendre chez un client, l’autre peut rester avec les équipes ou se rendre auprès d’un autre client. Cette flexibilité améliore la représentation de l’entreprise et renforce son image auprès des clients et partenaires », souligne Guillaume van Gaver. C’est d’ailleurs dans cette optique que Welcome to the Jungle a nommé un co-CEO, car la double direction permettra à « Jérémy Clédat, qui a cofondé l’entreprise en 2015, de se concentrer désormais sur la direction des équipes techniques et produits, finance, et sur l’expansion au Royaume-Uni et aux États-Unis ».
Une meilleure représentation vis-à-vis du board
Avec deux dirigeants, la direction est davantage présente et mieux représentée lors des réunions du conseil d’administration, selon Guillaume van Gaver. « Cela permet d’apporter une diversité de perspectives et de renforcer la communication entre la direction et le board. »
L’utilisation de tactiques complémentaires
Les co-CEO peuvent adopter des approches et des stratégies complémentaires selon les situations. Cette diversité de positions permet d’aborder les défis sous différents angles, augmentant ainsi les chances de succès et d’innovation dans les décisions prises.
Entre soutien mutuel et réduction de l’isolement
« Être CEO peut être source d’isolement », confie Guillaume van Gaver. Le modèle de co-CEO offre un soutien mutuel, permettant aux dirigeants de se confier et de discuter librement des défis rencontrés. « Cela favorise aussi une meilleure prise de décision et réduit le stress et la pression liés à la direction d’une entreprise. »
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Co-CEO : les points de vigilance à garder en tête
Des difficultés individuelles implicites
Le partage de pouvoir peut être difficile pour l’un des co-CEO, et ce, souvent de manière implicite, soutient Guillaume van Gaver. Les tensions personnelles peuvent survenir si l’un des dirigeants se sent moins valorisé ou marginalisé dans le processus décisionnel. Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert en nouvelles gouvernances, corrobore en explicitant un cas de figure : « Si le CEO historique ne laisse pas la marge de manœuvre attendue sur le périmètre attribué au Co-CEO, cette ingérence fera échouer le modèle. » Sa recommandation ? Décrire clairement les périmètres de chacun et chacune.
Gare au modèle non conventionnel
Le modèle de co-CEO étant encore très sporadique, les organes décisionnels ou les équipes peuvent manquer de repères. « Les fonds d’investissement en particulier sont parfois déstabilisés par cette architecture, car ils sont attachés à la personnalisation du CEO. Or, ce modèle à “deux têtes” brouille cette incarnation. » Côté équipes, Luc Bretones met en garde sur un point névralgique : « Si les rôles sont mal distribués, les collaborateurs peuvent être également déstabilisés. » C’est donc une brèche vers le chaos organisationnel.
L’acceptation de la nature transitoire
Il est important d’accepter que le modèle de co-CEO puisse être temporaire. Ce fut le cas de Guillaume van Gaver, qui est resté à ce poste un an avant de devenir consultant pour l’entreprise. « C’est pourquoi les entreprises doivent être prêtes à revenir à une direction unique si le modèle ne fonctionne pas comme prévu ou si les circonstances changent. »
La complexité liée au poids des fondateurs
Lorsque l’un des co-CEO est un fondateur et l’autre vient de l’extérieur, la dynamique peut être compliquée. Le fondateur peut avoir une influence et un poids significatifs dans l’entreprise, rendant difficile l’intégration et l’acceptation du co-CEO externe.
L’effort de coordination accru
« Être co-CEO est plus complexe que d’être CEO en solo. Cela nécessite un effort de coordination important », confie Guillaume van Gaver. En effet, les dirigeants doivent constamment communiquer, aligner leurs stratégies et s’assurer que leurs décisions sont cohérentes, ce qui peut être chronophage et exigeant.
9 règles d’or pour réussir l’expérience de co-CEO
Les auteurs de l’article de la Harvard Business Review -mentionné dans l’introduction- ont récapitulé 9 facteurs clés de succès pour réussir le pari d’une direction en duo. Pour cela, ils ont étudié le co-leadership de dix entreprises ayant testé ce modèle, à savoir Chipotle, Goldman Sachs, Harris Poll, Jefferies Financial Group, Oracle, PIMCO, Research In Motion/BlackBerry, SAP, Unilever et Warburg Pincus.
Il s’agit de :
- Des participants volontaires : les co-CEO doivent être sérieusement engagés dans l’idée d’un partenariat et prêts à faire des compromis et à communiquer davantage.
- Des compétences complémentaires : les co-CEO doivent avoir des compétences distinctes mais complémentaires. Cela permet une meilleure répartition des rôles et évite une cannibalisation des compétences.
- Des responsabilités claires et des droits de décision : il est crucial de définir des domaines séparés de contrôle et de décision. En gros, chaque co-CEO doit savoir clairement ce qui relève de son domaine.
- Des mécanismes de résolution des conflits : les co-CEO doivent avoir des méthodes préétablies pour résoudre les désaccords, que ce soit par communication directe, facilitation externe ou intervention d’un président exécutif.
- Une apparence d’unité : les deux dirigeants ou dirigeantes doivent parler d’une seule voix devant les employés pour éviter la confusion et l’indécision. Ainsi, les désaccords doivent être résolus en privé.
- Une responsabilité partagée complète : la responsabilité de la performance globale de l’entreprise doit être partagée.
- Un soutien du conseil d’administration : le conseil d’administration doit fournir un soutien continu mais non intrusif, évitant de devenir une cour d’appel pour les conflits internes.
- Des valeurs partagées : il est important de partager des valeurs communes telles que l’honnêteté, le respect, la confiance et le compromis.
- Une stratégie de sortie : il est essentiel de prévoir une stratégie claire pour abroger le modèle de co-CEO si nécessaire, permettant une sortie en bons termes.
Co-CEO : un avenir souhaitable pour le leadership ?
Selon Luc Bretones, la clé d’un bon leadership – en duo ou non – réside avant tout dans l’instauration d’un haut niveau de subsidiarité au sein de l’organisation. L’expert en management défend une gestion de l’entreprise par les rôles : « Cette méthode, qui consiste à attribuer des rôles précis indépendamment des personnes qui les occupent, permet de réduire les défis liés au modèle de co-CEO. »
Suivant cette logique, le rôle de CEO peut être occupé par plusieurs personnes avec des périmètres d’action différents. Par exemple, une répartition selon les différents marchés ou thématiques peut être une façon efficace de diviser les responsabilités. « Cette approche déconcentre le pouvoir et évite qu’une seule personne ne soit débordée ou ne fasse des erreurs en raison de compétences lacunaires. » En dissociant les fonctions auprès de plusieurs salariés, les entreprises peuvent ainsi mieux répartir les responsabilités, réduire les risques d’erreurs et garantir une gestion plus performante.
Néanmoins, Luc Bretones ne présage pas le modèle de co-CEO comme une tendance organisationnelle. Pour lui, « l’enjeu cardinal réside davantage dans la capacité à savoir déléguer les responsabilités auprès d’une équipe de direction ou d’un comité exécutif ».
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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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