« Fake it until you make it » : faut-il surjouer la confiance en soi pour réussir ?

Jul 09, 2024

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« Fake it until you make it » : faut-il surjouer la confiance en soi pour réussir ?
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Pauline Allione

Journaliste independante.

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« Fake it until you make it », c’est un peu les paillettes avant la gloire. Légèrement trendy, l’adage voudrait qu’en surjouant sa confiance en soi et ses propres capacités, on finisse par atteindre son objectif. Mais concrètement, comment simuler la confiance ? Et surtout, qu’est-ce que cela donne de partir de la ligne de départ déjà gonflé à bloc ?

« Quand tu rencontres une nouvelle personne, tu peux arriver avec n’importe quelle identité, apparence et description de toi-même : ce que tu présenteras à l’autre deviendra sa norme. Je peux dire que je suis neuroscientifique et que j’habite à Strasbourg, ça deviendra vrai pour cette personne. C’est ce qui permet de passer de monde en monde dans sa propre vie. » En réalité, Lola évolue dans la musique, à Paris. L’artiste-interprète a fait du « fake it until you make it » sa devise, pour pouvoir évoluer au gré de ses envies et se présenter en fonction. « C’est la technique de Johnny Hallyday. Il faut imaginer qu’à l’origine, c’est un mec qui s’appelle Jean-Philippe Smet, qui avait zéro fan, et qui a faké ». Aussi, Lola a sa propre interprétation du conseil anglo-saxon : « C’est insuffler de la foi et de la flamboyance en son projet et en soi-même », explicite celle qui s’est créé un univers à la fois mystique et inaccessible.

Pousser le curseur de la confiance à fond

La devise prône effectivement une assurance affichée et une maîtrise des codes d’un univers professionnel : au plus on s’en empare, au plus on avancera dans le milieu. Bien que flou, le « make it » affiche quant à lui une certaine idée de la réussite sociale et professionnelle. Cette expression peut toutefois être interprétée de deux façons différentes, nuance la coach Sarah Zitouni. « La première interprétation consiste à ingérer les règles du jeu : qu’on les comprenne ou pas, on brûle les étapes et on fait seulement semblant d’avoir confiance en espérant arriver au même résultat. La seconde, plus subtile et à laquelle j’adhère, consiste à comprendre les codes, à intégrer le fait que la confiance peut être un élément déterminant dans une carrière, et à travailler sur soi pour aller dans cette direction ». Particulièrement liée à la confiance en soi, cette phrase toute faite est en effet majoritairement adoptée par celles et ceux qui choisissent de surjouer l’assurance… justement parce qu’ils en manquent.

Quand Lola remet en cause sa carrière dans la musique, elle s’en remet à la force de l’auto-conviction : « J’ai régulièrement des crises de doutes et de profonde perte de foi en mon projet, et c’est là que le « fake it until you make it » m’est utile. Il me permet de garder la face et de me remettre sur pieds ». Pour Marthe(1), designer florale, la devise est aussi le petit boost qui lui manque parfois en tant que jeune entrepreneuse. « Il arrive qu’on me propose un projet et bien que je m’en sache capable, la pression monte. Il y a des enjeux, des personnes plus expérimentées… Tout ce stress peut me donner l’impression que je vais échouer ». Comme sur les planches d’un théâtre, elle rentre alors dans la peau d’une version d’elle-même plus assurée et départie de ses angoisses sociales : « Je joue le rôle de celle qui a grave confiance en elle et qui sait exactement ce qu’elle fait. J’essaie d’être hyper positive, je place des mots techniques… et c’est la prophétie auto-réalisatrice ! Parce qu’au fond je sais que je peux gérer la mission, et c’est aussi en faisant qu’on apprend. Il y a une première fois à tout, surtout dans l’entrepreneuriat où les premières fois sont nombreuses ! » La designer visualise le « fake it » comme un bouton qu’elle allume et éteint au gré de ses besoins, pour se donner la force de porter son projet. Sa plus grande fierté pro ? Une composition florale lors d’un événement de luxe, qu’elle a justement réalisée parce qu’elle s’est donné ce boost de confiance. « Je n’avais jamais fait ça de ma vie, l’ambiance était stressante parce que des gens couraient partout, tout devait être prêt quelques minutes avant le show… J’aurais pu me dire que ce n’était pas pour moi, que je n’avais pas énormément d’expérience, mais j’ai puisé au fond de moi. Je me suis convaincue que j’étais trop forte et que tout allait bien se passer. J’ai passé la meilleure matinée de ma vie professionnelle ».

La stratégie de Lola est différente : du haut de son mètre 87 rehaussé par des talons de quinze centimètres, la chanteuse assume son personnage de diva froide et énigmatique, qui ne fait qu’exacerber certains traits de son tempérament. C’est justement la façon dont elle se met en scène qui lui a permis d’accéder à de nouvelles propositions : « Dans un de mes clips, on me voit chanter dans une belle salle avec un piano à queue, ce qui laisse entendre que je peux assumer un concert dans un tel contexte, chose que je n’avais jamais faite. Dans les deux mois qui ont suivis, on m’a bookée sur cinq concerts piano-voix ».

L’imposteur qui se mord la queue

Bien sûr, cette stratégie a ses limites. Marthe ne s’autorise pas à trop « faker », et préfère décliner les projets qu’elle n’est pas certaine de pouvoir gérer. Elle ne dissimule finalement que son manque de confiance et ses angoisses sociales… qui sont loin d’avoir disparu. Lola, quant à elle, voit certaines opportunités lui passer sous le nez à cause de l’image qu’elle s’est créée : « J’ai donné une haute valeur à mon projet, à l’image d’un écrin, ce qui fait qu’on ne m’appelle pas pour des projets qui sortiraient de cette zone “précieuse”. Mes choix d’apparition sont restreints, ce que je trouve parfois dommage, mais ça fait partie du process ».

Simuler la confiance ou certaines compétences peut évidemment causer des dégâts : en plus d’être énergivore, jouer un rôle ne suffit pas toujours à acquérir les qualités attendues. Surtout, « cela peut encore renforcer le sentiment d’être une fraude » alerte Sarah Zitouni. Au lieu de cela, la coach conseille d’y aller en douceur et de travailler sur soi-même avant de s’attarder sur ce que l’on présente aux autres. « On peut restreindre le « fake it » à certaines pratiques quotidiennes, comme réfréner l’envie de saboter un compliment lorsqu’on nous en fait et l’accepter, apprendre à déléguer un projet lorsqu’on ne s’en sent pas capable… Il s’agit de reprogrammer des réflexes plus sains et salutaires pour notre carrière en forçant à une réaction qui ne serait pas venue naturellement. Ces petites actions peuvent être de véritables exercices transformatifs ».

Avec ses allures de phrase tout droit sortie de la start-up nation, « fake it until you make it » prône l’individualisme, la réussite personnelle et l’auto-déterminisme. Comme une variante du « quand on veut, on peut » mais en plus instagrammable et actuel. Sauf que dans les faits, « faker » revient à se tordre pour rentrer dans le moule de la réussite des plus privilégiés : « Quand on n’est ni un homme, ni blanc, ni beau, ni riche, on peut toujours essayer de jouer avec les mêmes règles, il y a de grandes chances que l’on soit moins bien perçu. Lorsqu’on n’a pas gagné tous les privilèges à la loterie génétique, il peut être tentant de faire semblant d’être un de ces hommes. Mais c’est une violence systémique », rappelle Sarah Zitouni. Et si on laissait tomber les conseils prêt-à-l’emploi façon fast-food et les injonctions libérales qui vont avec ?

Article rédigé par Pauline Allione et édité par Gabrielle Predko ; photo de Thomas Decamps.

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