Comment s’épanouir quand on est freelance et introverti ?

Oct 25, 2022

6 mins

Comment s’épanouir quand on est freelance et introverti ?
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Alexis Minchella

Créateur du Podcast Tribu Indé et auteur de Freelance : l’aventure dont vous êtes le héros (Éd Eyrolles)

Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

Quand on est freelance, impossible de se planquer derrière ses collègues ! Il faut monter en première ligne, oser se vendre, parler de soi, montrer son travail ou encore négocier avec ses clients. Autant de tâches, qui, au premier abord, peuvent décourager les profils introvertis. Pourtant, de nombreux indépendants montrent chaque jour que c’est possible. Alors, comment faire pour lever ces freins ? Et si, au fond, l’introversion était un atout y compris pour les entrepreneurs ? Quelques conseils pour dépasser ses peurs.

Avec plus de 11 000 abonnés sur sa page LinkedIn et plusieurs centaines d’indépendants accompagnés via son entreprise Tribu Indé, Alexis Minchella est devenu un acteur incontournable pour quiconque s’intéresse à l’univers du freelancing. Pourtant, notre expert du Lab, est à l’origine très timide. « Quand j’étais petit, j’étais tellement timide que je demandais à ma mère l’autorisation d’aller jouer avec d’autres enfants », se souvient-il.

Désormais, Alexis ne se décrit plus comme timide, mais demeure introverti. C’est-à-dire qu’il ressent un besoin de solitude au quotidien pour recharger ses batteries. Exactement le profil de Lucie Colin, créatrice d’identités visuelles écoresponsables. « Être en présence d’autres personnes, surtout lorsque je ne les connais pas, me demande énormément d’énergie », nous confie-t-elle, ajoutant souffrir d’un trouble anxieux généralisé (il s’agit d’une nervosité ou inquiétude excessive qui s’instaure durablement dans la vie d’un individu, soit plus de 6 mois). Un trouble notamment lié à son anxiété sociale, soit le fait d’être en contact avec des personnes qui ne sont pas dans son cercle intime.

« Je pensais que pour être freelance, il fallait avoir une solide confiance en soi »

Pour la jeune femme, travailler en tant qu’indépendante était à l’origine totalement hors de propos, d’autant plus qu’elle n’avait aucun modèle d’entrepreneur dans son entourage. « Pour moi, les freelances devaient être des personnes très confiantes, savoir se vendre, aller démarcher. C’était inimaginable pour moi », raconte-t-elle. Lucie craignait aussi de devoir gérer un conflit potentiel avec un client : « Comme je suis hypersensible, j’avais peur de ne pas savoir détacher ma valeur en tant que personne, de mon travail. »

Lucie s’est finalement lancée dans le freelancing au sortir de ses études, car son maître de stage exerçait en tant qu’indépendant et désirait poursuivre la collaboration avec elle sous cette modalité. Et puis, la jeune designeuse de 26 ans nous avoue qu’elle se projetait encore moins dans le travail salarié, qui générait beaucoup d’angoisses : « Je n’étais pas prête à avoir autant d’interactions sociales dans la journée. »

« Être introverti peut être une qualité pour le travailleur indépendant »

Mais plutôt que de considérer l’introversion comme une entrave, et si on prenait le problème à l’envers ? Tout d’abord, l’histoire récente nous montre que de nombreux entrepreneurs à succès ne sont pas des bêtes de scène. Steve Jobs, Bill Gates ou encore Xavier Niel partagent tous des personnalités introverties et un manque d’aisance sur scène. « En réalité, je pense qu’il y a autant d’introvertis que d’extravertis qui ont réussi en tant qu’indépendants ou entrepreneurs », suggère Alexis Minchella.

Notre expert va même plus loin en considérant que l’introversion se prête tout à fait au travail indépendant. « Par exemple, cela permet d’avoir un contrôle total sur son emploi du temps », souligne-t-il. Constat partagé par Lucie qui a compris au fur-et-mesure qu’elle n’avait pas à subir ce qui la terrorisait, comme par exemple des meeting en visio à répétition quand un échange par mail peut suffire.

Le travail indépendant permet aussi de travailler de manière isolée, chez soi, ou alors de fréquenter des personnes que l’on a choisies. « À la différence du salariat, on peut se construire son propre environnement social. Avec Tribu Indé par exemple, j’attire en général des profils introvertis car les bootcamps de formation se font en format réduit, avec maximum 30 personnes », raconte Alexis.

Les introvertis possèdent également des qualités qui font d’eux de bons freelances par nature. Alexis Minchella souligne notamment leur capacité d’écoute, leur permettant d’analyser plus finement les besoins de leurs clients. « Comme ils ne parlent pas 70% du temps, les introvertis réfléchissent avant de prendre la parole, formulent les bonnes remarques, ce qui est souvent apprécié des clients », illustre-t-il.

Sans compter que le freelancing agit comme une forme de thérapie pour les introvertis. En avançant petit-à-petit, leurs blocages se lèvent, « y compris dans la vie personnelle, atteste Lucie. Le travail indépendant est extrêmement valorisant parce que l’on peut se féliciter soi-même du travail accompli », affirme-t-elle.

Cinq conseils pour s’épanouir en tant que freelance introverti

Alexis et Lucie ont déjà plusieurs années de freelancing à leur actif. Et le chemin qu’ils ont parcouru ne doit rien au hasard : il est la somme de leur expérience. Forts de ce parcours, ils partagent leurs conseils pour vivre sereinement son activité d’indépendant, tout en ayant un profil introverti.

1. Sortir doucement de sa zone de confort

Si Alexis a réussi à dépasser ses craintes, c’est qu’il a adopté la stratégie des petits pas. En créant son podcast, il a dû de facto rencontrer une multitude de personnes différentes, tandis que l’évolution de son activité l’a forcé à se mettre en relation avec des clients potentiels, partenaires et journalistes. Mais il est important de souligner que tout ne s’est pas fait en l’espace de quelques semaines. « Cela m’a pris du temps. Il y a 5 ans, j’aurais été incapable de parler devant 300 personnes comme je l’ai fait la semaine dernière », raconte-t-il. Son crédo ? Sortir de manière incrémentale de sa zone de confort. Commencer par exemple par des cafés en visio de 5 minutes avec des inconnus, puis augmenter de 10 à 30 minutes jusqu’au jour où l’on se sent capable d’animer un atelier dans un espace de coworking. De cette façon, la confiance se gagne petit à petit, et l’on est plus à l’aise pour les phases suivantes.

Une stratégie adoptée par Lucie qui a récemment réussi à prendre la parole devant une petite assemblée, ou encore à répondre à des questions pour un podcast. « Cela aurait été impensable il y a quelque temps. Mais pour autant, j’y vais doucement. Cela génère du stress donc je ne peux pas le faire de manière trop régulière pour le moment », raconte-t-elle. Il est donc important de prendre en considération le stress induit par ces défis : il est préférable de se ménager pour que la prochaine marche ne semble pas trop haute à atteindre.

2. Anticiper les questions qui peuvent déstabiliser

Outre les interactions sociales avec d’autres personnes, la question de la négociation est souvent mal vécue par les profils introvertis. Pour que ces discussions soient moins stressantes, Alexis Minchella conseille de préparer une liste d’objections que pourrait formuler un client, et de préparer une réponse. « On ne pourra pas tout anticiper, mais le discours s’affinera au fur-et-à mesure », raconte-t-il. Une préparation qui évite d’être pris au dépourvu et de perdre ses moyens pendant l’échange.

3. Afficher ses tarifs publiquement

Une autre bonne manière de s’épargner les sempiternelles phases de négociation consiste tout simplement à afficher de manière transparente ses prix. Une initiative souvent très appréciée des clients. C’est en tout cas la tactique mise en place par Lucie. « Je sais justifier ma valeur par rapport à mon positionnement très niche sur l’écoresponsabilité. Toute cette pédagogie, je la fais à travers mon compte Instagram. Cela me prend de l’énergie mais ça vaut le coup, car ça m’épargne de devoir le défendre auprès de mes clients à chaque collaboration », confie-t-elle.

4. Travailler son personal branding

Autre stratégie intéressante à étudier lorsque l’on est introverti : le personal branding. Lucie n’hésite pas à dévoiler sa personnalité introvertie dans ses stories sur Instagram. Résultat : « je crois que j’attire des clients qui me ressemblent. Eux-même introvertis, on se comprend facilement, ce qui facilite la collaboration », constate-t-elle. Pour la jeune créative, les réseaux sociaux constituent donc une formidable opportunité d’attirer des clients, sans avoir à prospecter, chose avec laquelle elle n’est pas à l’aise. Une stratégie d’inbound marketing (méthode qui consiste à attirer des clients en créant du contenu utile), très pratiquée à l’heure actuelle.

5. Fixer ses propres règles du jeu

Agir et non pas subir, tel est le créneau scandé par de nombreux indépendants introvertis. Lucie nous confie ainsi avoir peu à peu fixé ses règles du jeu avec ses clients. Par exemple, ni son mail, ni son téléphone ne sont disponibles sur la toile. On peut contacter Lucie que sur rendez-vous via son site. Elle préfère aussi proposer d’emblée le tutoiement avec ses clients, « parce que je ne serais pas à l’aise pour défendre mon projet devant un chef d’entreprise dans un contexte trop formel ». Lucie enfin se réserve le droit de travailler avec des clients avec qui elle se sent alignée. « Quand je sens que la personne n’est pas très investie, que je ne suis pas en accord avec sa démarche, je n’ai aucun mal à la rediriger vers un autre freelance », confie-t-elle.

La jeune créative explique également ne travailler que 25H par semaine pour se consacrer à ses autres passions, ce qui la ressource et lui permet de préserver son équilibre intérieur « J’ai mis du temps à cesser de culpabiliser de ne pas travailler tout le temps, de ne pas me fixer de faire toujours plus de chiffre d’affaires. Je me demandais si je ne manquais pas d’ambition, mais j’ai compris que ma véritable aspiration était d’être stable dans mon activité, rien de plus », synthétise-t-elle. Un point qui fait écho à l’ultime conseil d’Alexis Minchella. « C’est important de s’écouter, que l’on ait ou non envie de continuer à croître. Le but n’est pas de regarder deux ans en arrière pour se dire qu’on était mieux avant d’avoir développé davantage son activité », estime-t-il. Car il faut bien admettre que plus un indépendant va booster son business, plus il va multiplier les sollicitations et les interactions sociales. Et tous les introvertis ne sont pas prêts à ce changement !

À l’heure où “l’hyper freelancing” est plébiscité sur nos feeds LinkedIn (autrement dit, la faculté à générer un chiffre d’affaires à plus de 6 chiffres), ce modèle ne correspond pas nécessairement à tout le monde. L’enjeu est certes d’aller au-delà de sa zone de confort, mais si et seulement si l’envie est présente, et que les choses s’opèrent petit à petit. Bref, que l’on soit ou non introverti, n’oublions jamais que le travail indépendant n’a qu’une seule visée : gagner en flexibilité, soit tailler son job à sa mesure.

Article édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps

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