Freelance : comment dire non à un client avec tact ?
Jun 08, 2022
7 mins
Créateur du Podcast Tribu Indé et auteur de Freelance : l’aventure dont vous êtes le héros (Éd Eyrolles)
Journaliste
Votre client vous demande 25 retours sur un projet, vous fait terminer à des heures déraisonnables, exige que veniez travailler dans ses locaux ou vous envoie 150 vocaux par jour et vous acceptez sans rechigner ? Comme si, au moment de dire stop, quelque chose vous en empêchait alors même que vous savez que prononcer ces trois lettres : « non » mettrait fin à cette situation embarrassante ? Rassurez-vous, c’est un comportement humain… mais qui peut vous jouer de mauvais tours et vous empêcher de vous accomplir professionnellement et personnellement.
Alors comment tenir tête à ses clients et apprendre à dire « non » ? Le fondateur de Tribu indé et expert du Lab Welcome to the Jungle sur le freelancing, Alexis Minchella, nous donne quelques conseils pour exprimer son refus en toute tranquillité.
Pourquoi a-t-on autant de mal à dire non ?
La peur du manque
Quand on est freelance, surtout au début, la crainte qu’on ne fasse plus appelle à nous si on « ose dire non » est omniprésente. Il y a ces phrases que l’on se répète parfois, lorsque l’on est dans le creux de la vague : « qui suis-je pour refuser cette mission ? », « et s’il ne me rappelait plus jamais ? », « et si cette mission valait mieux que celle-ci ? », « il/elle a sûrement d’autres freelances à disposition, je ferais mieux d’accepter ». Bref, on a le sentiment d’être un pion interchangeable (et c’est parfois le cas).
Cette crainte en dit beaucoup sur le fonctionnement du monde du travail en général : un lien de subordination supposé, entre un commanditaire et un exécutant, qui de fait exerce un ascendant sur l’autre. Et on retrouve bien entendu ce mode de fonctionnement dans le freelancing comme en témoigne Léa, community manager en freelance : « J’ai eu quelques clients qui me considéraient comme une salariée : ils me demandaient de venir au bureau à heures fixes, me fliquaient constamment sous prétexte qu’ils me payaient au forfait jour, ou me demandaient de travailler le samedi gratuitement. Je n’ai pas toujours su dire non au bon moment, ce qui a complètement installé un rapport de domination. »
Quand bien même nous pensons avoir un rapport d’égal à égal avec le client, force est de constater que ce dernier reste bien souvent « le patron » et conserve sa position hiérarchique intrinsèque, celle du pourvoyeur de travail.
La peur du conflit
Imaginez. Un client vous propose une mission passionnante, dans le secteur de vos rêves… Mais au moment de signer, il vous manque de respect, méprise votre travail et vous avez subitement envie de faire machine arrière. Le « non » martèle votre esprit, mais quelque chose bloque, puis vous finissez par accepter. Vous êtes sûrement sujet à « la peur de dire non ». Cette « peur » serait, selon Alexis Minchella, sociétale d’une part : on a du mal à rejeter les autres et à poser ses limites ; et culturelle d’autre part… En fait, elle nous serait enseignée depuis notre plus tendre enfance, à l’époque où aussi bien à l’école qu’à la maison, on nous apprend à ne pas “répondre”, à faire plaisir à ses parents ou son professeur pour ne pas les décevoir. « En France, d’une manière générale, on n’aime pas être tranchant ou tranché. On nous apprend à éviter le conflit à l’école, à ne pas se bagarrer… » analyse l’expert. Nécessairement, le non devient inconsciemment synonyme de conflit ou de vexation, presque de rejet, même si vous avez toutes les bonnes raisons de poser vos limites.
Des facteurs personnels
Avoir du mal à dire non est également lié à un manque de confiance en soi, une difficulté à s’affirmer face à l’autre de manière générale, ce qui se répercute dans la sphère professionnelle. Lorsqu’on débute explique Alexis Minchella, on sait généralement ce que l’on veut : avec qui on a envie de travailler, les tarifs auxquels on peut prétendre, les missions qui nous intéressent… En revanche, on n’a rarement dressé le portrait du client à éviter, sans compter que, même avec celui qui nous plaît sur le papier, on n’est pas à l’abri d’une demande incongrue ! Pourtant, savoir avec qui on ne veut pas travailler est une preuve de confiance en soi, allègue notre expert.
Au-delà de ce manque, le poids des stéréotypes peut aussi agir comme un plafond de verre. Il est ainsi généralement plus difficile pour les femmes d’exprimer leur refus, car elles sont culturellement moins habituées que les hommes à entrer en opposition ou à négocier avec autrui. De même les personnes sujettes au syndrôme de l’imposteur, (plus nombreuses parmi les femmes également), éprouveront également plus de difficultés à dire non, renforçant un potentiel déséquilibre dans la relation de travail.
Pourquoi est-ce essentiel quand on est indépendant ?
S’affirmer pour éduquer le client
En freelance, on est, certes, « maître de son temps et de sa liberté » d’après Alexis Minchella, mais cette liberté peut aussi s’avérer être un traquenard si on reste disponible et joignable non-stop pour ses clients, devenant totalement dépendant de leurs agendas à eux. Pourtant, mettre des limites est légitime et « c’est aussi faire gagner du temps à tout le monde, se libérer d’une charge mentale, ce boulet que l’on traîne à ses pieds » selon notre expert, pour qui, d’une certaine manière, il s’agit d’éduquer le client et rétablir un certain équilibre dans la relation. Ainsi, « un non franc et direct, mais avec une explication est surtout un vrai signe de maturité », rappelle-t-il.
Alors la prochaine fois qu’on vous demande de terminer un projet pendant un week-end ou un jour férié, n’hésitez pas à indiquer que, vous aussi, vous avez une vie privée et qu’elle compte tout autant que celle de votre client. En revanche, veillez à proposer des solutions avec par exemple un planning qui soit acceptable pour tout le monde.
Rester productif et savoir s’écouter
Être en freelance, c’est aussi subir des périodes de pics d’activité et d’autres de creux, ce qui peut être une source d’anxiété pour certains ; d’autant qu’on ne dispose pas forcément de filet de sécurité pour se retourner en période de vache maigre. Théoriquement, plus on a de l’expérience, plus le bouche-à-oreille fonctionne et le nombre de clients augmente. Savoir dire non devient alors nécessaire pour rester productif. D’abord, car accepter toutes les missions urgentes reviendrait à se submerger de travail et à perdre en efficacité donc. Ensuite, parce que, savoir se préserver dans la durée, en gardant un rythme de travail équilibré est essentiel pour sa santé.
6 conseils pour mieux dire non
N°1 : Apprendre de ses erreurs
À vos débuts, vous avez accepté toutes les propositions sans réfléchir ? Et puis, un peu comme à la loterie, certaines se sont révélées décevantes, quand d’autres en revanche ont été de bonnes surprises ? Pour Alexis Minchella c’est tout à fait normal : « lorsque l’on manque d’expérience, on a besoin de crédibilité, de tester un maximum de situations pour savoir quand dire non ensuite. » C’est l’occasion de gagner en compétences et en autorité dans son travail comme dans son relationnel avec les clients. Si c’est votre cas, nul besoin de vous blâmer : même si vous n’avez pas toujours su dire non à vos débuts, cela vous sera bénéfique pour la suite.
N°2 : Faire une liste de red-flags
Notre expert suggère d’écrire noir sur blanc les missions qu’on ne veut pas faire, les tarifs qu’on n’accepterait pas, les clients pour lesquels on refuse de travailler… Soyez honnête avec vous-même ! Posez vos limites peut s’avérer être un excellent outil, surtout quand vous êtes tenus par des peurs ou des croyances limitantes.
Exemple de red flags à lister :
- Mission inintéressante parce que…
- Mission dans le secteur X, que je ne veux pas soutenir
- Client qui n’évoque jamais les process de travail, ne donne pas d’informations concrètes, n’est pas clair sur le cadre de la mission (délais, horaires, tarifs …)
- Client qui négocie le moindre centime etc.
N°3 : Écouter son intuition
Il arrive que, dès les premiers échanges, on ait l’intuition que la mission ne va pas bien se dérouler, et pourtant on l’accepte quand même…. Est-ce qu’il ne serait pas temps d’écouter cette petite voix intérieure ? Léa, community manager en freelance, raconte qu’à ses tous débuts, un client l’avait contactée sur Instagram pour lui proposer une mission de rédaction. Or, dès leur première entrevue, le client lui avait fait du “rentre dedans”. Malgré ses réticences, elle avait poliment décliné ses avances, mais avait tout de même accepté de travailler avec lui, sans jamais évoquer le mode de facturation pour cette collaboration. Grave erreur ! Plusieurs mois après la fin de la mission, elle a dû réclamer, non sans peine, sa rémunération, qu’elle mettra plus d’un an et demi à obtenir.
N°4 : Prendre le temps de répondre
La culture de l’urgence, ce besoin de réagir immédiatement aux diverses sollicitations, se reflète de plus en plus dans nos échanges professionnels. On veut tellement faire preuve de réactivité qu’on a tendance à répondre à toutes les requêtes qu’on nous soumet du tac au tac. Pourtant, la plupart du temps, il suffit de s’interroger : est-ce que cette demande est urgente ? Importante ? Pour mieux s’accorder le temps de la réflexion. De même, la prochaine fois qu’on vous proposera une nouvelle mission, n’hésitez pas à demander plus d’informations, à vous renseigner sur le planning, les méthodes de travail, etc… avant d’accepter.
N°5 : Bien cadrer la mission
Plus vous cadrez votre relation de travail, moins vous laissez place aux zones d’ombre dans la future collaboration. Et ça commence par préciser les moyens de communication à privilégier pour éviter les déconvenues et fluidifier les échanges. « J’avais un client qui m’envoyait des vocaux à longueur de journée, même le dimanche ! Il m’appelait pour me communiquer son stress en fait, car ses demandes de corrections étaient minimes et que cela aurait été beaucoup plus simple à transmettre à l’écrit », se rappelle Léa, community manager en freelance.
Notre expert, lui, commence toujours ses nouvelles missions par une réunion kick-off d’une quarantaine de minutes pour cadrer ses futures collaborations. C’est l’occasion pour lui de rappeler certaines règles concernant les échanges, la facturation, les retours et les délais qui permettent de développer une communication assertive, tout en faisant preuve de professionnalisme et de maturité.
N°6 : Apprendre à faire patienter
Enfin, il arrive parfois qu’on cultive un “Freelance FOMO”, le fameux Fear Of Missing Out, soit la peur de manquer quelque chose ou de rater une meilleure opportunité. Ce qui peut mener à une surcharge de travail, avec trop de projets à gérer en même temps… Pour l’éviter, il faut apprendre à faire patienter ses clients ! Posez-vous les bonnes questions : comment est-ce que je peux mettre en place une liste d’attente pour les nouvelles demandes ? Comment percevoir si le besoin est vraiment urgent ? Est-ce vraiment impossible pour le client de décaler la date de rendu ? Et parfois, il ne faut pas hésiter à négocier certains délais auprès de vos clients pour établir un planning de production raisonnable.
Vous l’aurez compris, apprendre à dire « non », quand c’est légitime, est une étape décisive dans la vie de freelance. Si le cap est parfois difficile à passer, c’est pourtant la clef d’une relation saine et équilibrée avec vos clients. Alors, n’hésitez plus, et affirmez-vous !
Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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