« Comment les grèves m'ont poussé à lancer une section syndicale dans ma boîte »
May 24, 2023
5 mins
En avril dernier, Damien Ladan, chef de projet RSE chez OVHcloud a décidé de créer une section syndicale dans son entreprise. Membre de l’éco-syndicat Printemps écologique depuis un an, la mobilisation contre la réforme des retraites lui a donné l’envie de s’investir davantage en portant la question de la qualité de vie au travail dans la structure qui l’emploie depuis huit ans.
L’entreprise pour laquelle je travaille comme chef de projet RSE a beau salarier plus de 2000 personnes en France, jusqu’à ce que je me lance, aucun syndicat n’était encore représenté. Cela peut surprendre, mais la plupart de mes collègues pensaient qu’on pouvait fonctionner sans. Mais un CSE suffit-il à obtenir des avancées sociales et des accords d’entreprise quand la structure qui nous emploie est désormais cotée en bourse ? Les leviers de négociation sont-ils suffisants ? Attendez, je vais peut-être un peu vite. Pour comprendre ce qui a motivé ma décision de créer un syndicat dans mon entreprise au mois d’avril dernier, je dois vous donner un peu de contexte.
Le sujet de la qualité de vie au travail doit être initié au niveau de l’entreprise
Dans ma vie personnelle, cela fait déjà quelques années que j’ai pris des engagements en devenant membre du Parti Génération écologie présidé par Delphine Batho. En Bretagne où je vis, j’ai fait campagne pour les départementales avant de me désister en faveur d’une candidature unique de la gauche. Si je ne regrette pas cette expérience, elle m’a rapidement montré les limites du fonctionnement politique : très chronophage pour peu de résultats. Au final, je dirais que c’est assez frustrant. En 2022, en plus d’être secrétaire au CSE dans mon entreprise, j’ai donc voulu tenter autre chose en adhérant à titre individuel au syndicat Printemps écologique - qui propose de transformer de l’intérieur le monde du travail pour l’adapter aux enjeux environnementaux. Je voulais me créer un nouveau réseau et voir comment cette confédération fonctionnait de l’intérieur. Autre fait important, je suis père de quatre enfants et j’estime que si on dit des choses à ses enfants et qu’on ne les incarne pas, ça n’a pas de sens. En plus de vouloir leur transmettre des valeurs, on a envie de se battre pour eux, pour qu’ils puissent vivre dans un monde un peu meilleur.
Après, tout s’est accéléré avec le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Dès que le gouvernement a annoncé qu’il irait au bout de cette réforme, je savais qu’il allait jouer la montre et attendre les coupures pendant les vacances scolaires pour que le mouvement s’essouffle. Même si les citoyens étaient mobilisés, l’allongement de l’âge de la retraite allait passer. N’allez pas croire que je pense que les manifestations, les grèves et plus généralement la mobilisation n’ont servi à rien. Au contraire, cela a permis de rassembler des citoyens qui n’avaient pas l’habitude de se rencontrer autour de sujets communs, de créer du dialogue et ça a participé à la cohésion sociale. Mais parmi tout ce qui en est ressorti, ce sont les discussions autour des modalités de travail qui m’ont le plus intéressé. C’est bien de se battre pour une retraite à 61 ou 62 ans, mais si on arrive à cet âge-là tout cassé est ce qu’on peut vraiment parler de victoire ? Actuellement, la principale question que devraient poser les salariés est celle-là : « Comment on travaille ? Dans quelles conditions ? » Le sujet de la qualité de vie au travail n’existe pas au niveau gouvernemental et la rue ne peut rien y changer. Il doit être initié au sein de chaque entreprise. Même si le syndicat est censé être apolitique, je dirais que c’est quand même de la politique de l’entreprise accessible à toutes les personnes qui souhaitent s’engager et qui ont des répercussions directes sur tous les salariés. On peut le voir comme une réappropriation de la politique au travail.
Le dialogue social doit mieux s’organiser
Printemps écologique m’a ensuite demandé si je me sentais d’ouvrir une section syndicale dans mon entreprise. Comme aucun syndicat n’était encore représenté en son sein, j’avais un peu peur du regard des autres et j’ai demandé une semaine pour y réfléchir. Les étiquettes quelles qu’elles soient peuvent être dangereuses et en même temps, le syndicat nous donne un accès direct à des personnes de la direction avec lesquelles nous ne pouvons pas discuter autrement. Au terme de mes réflexions, je suis arrivé à la conclusion suivante : comment motiver plus de personnes à s’engager si je ne suis pas capable de le faire moi-même ? J’ai commencé les démarches en portant le sujet de la semaine de quatre jours comme principale revendication. Pourquoi ? Dans la structure dans laquelle je travaille, il y a des cadres dont je fais partie, mais aussi des personnes qui s’occupent de la fabrication des serveurs et de la maintenance des centres de données. Si les cadres jouissent d’une grande flexibilité avec du télétravail à la carte, ce n’est pas vraiment équitable pour celles et ceux qui ne peuvent pas travailler à distance. Ce nouvel avantage social pourrait bénéficier à tous.
Bien sûr, les réactions ne se sont pas faites attendre. Certains salariés m’ont demandé des informations sur Printemps écologique, d’autres voulaient savoir en quoi consistait un éco-syndicat et il y a quelques réactions négatives de personnes qui m’ont dit que c’était dommage qu’il y ait besoin de créer un syndicat dans l’entreprise pour défendre leurs droits. Oui, parce que comme je le disais en préambule, l’entreprise dans laquelle je travaille est depuis peu cotée en bourse et comme la structure change d’échelle, j’estime que le dialogue social doit mieux s’organiser. Un simple CSE n’offre plus suffisamment de leviers pour obtenir de nouvelles avancées sociales. Quand on fait entrer un sujet dans une entreprise, comme la semaine de quatre jours, il y a les personnes qui le défendent, celles qui s’y opposent, mais au moins avec le syndicat on a la légitimité de porter le débat. Beaucoup l’ignorent, mais dès qu’on crée une section, même si on n’est pas représentatif, on a quatre heures de délégation par semaine et un droit de communiquer dans l’entreprise.
Je refuse d’en faire une affaire personnelle
Pour ma manager, ça n’a pas changé grand chose. Je suis dans mon entreprise depuis plus de huit ans, j’ai occupé différents postes et j’ai toujours fonctionné comme un électron libre. Dès le départ, elle a très bien accepté mon rôle de secrétaire du CSE. Après, je n’utilise pas cette fonction ni la création du syndicat pour faire valoir mes intérêts personnels. Je ne mélange pas les fonctions et je refuse d’en faire une affaire personnelle. Il y a des personnes qui sont très véhémentes dans leurs propos, moi, je n’ai jamais su être comme ça. Quand on travaille dans une entreprise qui respecte le droit, ce qui est mon cas, il vaut mieux y mettre les formes pour obtenir des avancées. On n’est pas obligé de défoncer des portes et de forcer les choses.
Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, les syndicats ont le vent en poupe et j’espère que ça va pousser les salariés à s’investir davantage. Si demain, les syndicats prennent pied dans toutes les structures, les salariés vont récupérer des capacités de négociation au niveau des conventions collectives via des accords d’entreprise. Alors, on ne va sûrement pas toucher à l’âge de la retraite tout de suite, mais d’autres choses vont pouvoir naître de ces discussions. Aussi, je dirais que le grand avantage du syndicalisme, c’est un lien plus direct avec les enjeux de la qualité de vie au travail là où en politique, il ne se passe plus grand-chose.
Article édité par Gabrielle Predko ; Photographie de Thomas Decamps
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