Non, prendre du retard pendant vos études ne pénalisera pas votre insertion pro !
Oct 24, 2022
7 mins
Journaliste - Welcome to the Jungle
Rien de plus logique qu’un parcours universitaire. Bac, licence, master : cinq ans après le lycée, on sort diplômé, prêt à entrer sur le marché de l'emploi. Pourtant, il n’est pas rare que les aléas de la vie s'immiscent au cours de cette période. Partiels manqués, événements perso, année de césure, changement de voie... Autant de raisons qui peuvent allonger notre parcours étudiant et nous donner le sentiment « d'être en retard ». Et s'il était temps de dédramatiser cette situation ?
En France, notre parcours est rythmé par les années scolaires. « L’école ponctue la vie des étudiants depuis tout petit et l’imaginaire tourne autour de l’idée que les années s’enchaînent sans accroc », met en lumière Juliette Maillard Sobieski, coach spécialisée dans l’orientation et la réorientation. Mais cela peut aussi causer une véritable source de stress dès lors que tout n’est pas aussi fluide pour l’étudiant.
« Si l’on compare avec le Québec par exemple, le système scolaire est très différent, poursuit la spécialiste. Pour obtenir une licence, vous devez choisir un certain nombre de matières que l’on appelle des modules, et le temps que vous passez en études dépend du nombre de modules que vous sélectionnez. » Là-bas ce ne sont pas les années scolaires qui comptent mais les matières que vous validez. Cela signifie que vous pouvez vous organiser pour avoir d’autres expériences à côté, changer de matière si cette dernière ne vous convient pas ou au contraire prendre plus de temps pour les terminer. « Les notions sont les mêmes, mais le temps n’est plus une contrainte, détaille Juliette Maillard Sobieski. Alors qu’en France on vous sanctionne si vous loupez une matière en vous faisant redoubler toute une année. » Et de fait, il suffit d’une ou deux matières manquées pour que vous soyez bloqué toute une année à devoir rattraper les quelques heures de cours en question.
Antoine, par exemple, a redoublé sa première année en école de commerce après deux ans de prépa et un parcours scolaire irréprochable. « Cela ne m’a pas empêché de remettre tout mon sérieux en question », reconnaît-il aujourd’hui. D’autant que ce dernier n’avait pas eu la moyenne dans une seule matière soit quinze heures de cours seulement étalées sur un an. « On se retrouve face à une pression supplémentaire : devoir attendre une année de plus pour valider son diplôme et toucher enfin son premier salaire », observe l’experte. Comme si le système scolaire n’encourageait pas la possibilité de faire des essais, de se tromper et de recommencer.
C’est pourtant paradoxal avec l’époque. « Si les étudiants semblent aujourd’hui plus nombreux à voir leurs études s’allonger, c’est surtout en raison de l’offre qui s’est décuplée avec le temps », explique Juliette Maillard Sobieski. Avant, entrer en licence signifiait se spécialiser dans le même domaine jusqu’au diplôme. Désormais le choix des formations est tellement varié qu’il demande une réflexion bien plus importante. « Un peu à la manière d’un tronc commun duquel se détache des centaines de branches avec des spécialités différentes », illustre la coach. Logique qu’il soit parfois difficile de s’y retrouver.
Évidemment cette multiplication des possibilités est un avantage car les options sont presque illimitées. Mais pour certains cela peut aussi être un inconvénient. « À commencer par le nombre de questions qui découlent d’une telle décision : est-ce-que la matière principale que j’ai choisie va me plaire pendant cinq ans ? Est-ce-que le métier derrière va m’intéresser ? Comment savoir si je fais le bon choix alors que d’autres parcours m’attirent à côté ? », interroge Juliette Maillard Sobieski.
Quant à la question du master, le doute reste le même, voire encore plus élevé. Dois-je faire autre chose, aller plus loin, compléter avec d’autres options, en profiter pour étudier dans une autre ville ou encore prendre une année sabbatique ? « Cela nécessite une vraie réflexion en parallèle de ce cheminement d’orientation, alors même qu’on n’a pas toujours les habitudes, les moyens ou encore les méthodes pour se poser les bonnes questions », révèle l’experte.
Bien souvent, on se laisse porter par les opportunités, et on finit par trouver un travail qui suit la logique de ce qu’on a fait avant. Sans forcément que cela corresponde à nos aspirations. « Il faut alors recommencer pour essayer autre chose mais c’est une pression immense pour les jeunes diplômés concernés », reconnaît-elle. En fait, il est tout à fait légitime de prendre son temps avant de savoir ce que l’on veut vraiment. Cela peut même s’avérer très utile pour l’étudiant.
Prendre le temps de réfléchir
Rien ne sert de paniquer lorsqu’on a l’impression de prendre du retard dans ses études ; cela nous profite bien plus que ce l’on pourrait penser. « Il ne s’agit pas non plus de décréter une semaine après la rentrée que la voie choisie ne vous convient pas, rappelle Juliette Maillard Sobieski. Mais si au bout de deux mois c’est toujours le cas, ce n’est pas grave du tout de se tourner vers autre chose. » Car le fait de se tromper, de redoubler ou de ne pas savoir, est aussi l’occasion idéale pour se poser et réfléchir en profondeur sur son orientation. Antoine a ainsi fini par dépasser le sentiment d’échec que lui inspirait le redoublement de son année d’étude en prenant le temps de trouver ce qui l’intéressait vraiment. Il a pris un petit boulot à mi-temps, s’est inscrit en licence d’histoire de l’art pour continuer d’apprendre et a cherché sa voie en allant à la rencontre de professionnels.
En parallèle, un master en marketing culturel s’est ouvert l’année suivante et il a pu découvrir son futur métier d’éditeur grâce aux stages proposés dans ce nouveau cursus. « Aujourd’hui je n’en ai plus honte du tout car j’ai bien conscience que cette diversité de parcours est en réalité super intéressante, déclare-t-il. Et surtout ça m’a permis de savoir ce que j’allais faire de mon diplôme et d’être sûr de mes choix. » Quelque part, il s’agit d’une forme de résistance à un système scolaire qui a tendance à s’enchaîner à vitesse grand V pour les étudiants, que leurs notes soient bonnes ou mauvaises d’ailleurs : « C’est un cliché qui persiste, on oriente souvent les bons éléments scolaires vers les parcours scientifiques et les élèves en difficulté vers un bac professionnel sans leur demander leur avis », regrette Juliette Maillard Sobieski. Il n’est pas rare de se retrouver dans une voie post-bac qui ne nous convient pas, faute de ne pas l’avoir choisi nous-même. Prendre du recul est donc nécessaire pour sortir la tête de l’eau !
C’est ainsi que Zoé a pu trouver sa vraie passion malgré elle. Très studieuse, elle est passée par la case prépa est rentrée à la fac et a enchaîné les années d’études sans jamais s’arrêter. Jusqu’à ce que son beau-père tombe malade et qu’elle décide de mettre ses études en pause juste après avoir été acceptée en Master 1 de recherche. Son temps s’organise alors autour des soins palliatifs de celui qu’elle considère comme son père, puis le deuil prend le dessus sur sa vie après la perte de ce dernier. Zoé est tiraillée : d’un côté, submergée par la tristesse, elle n’arrive pas à mettre un pied à la fac, de l’autre elle angoisse pour son avenir. « Je m’étais toujours dit que j’allais faire mes études rapidement, qu’il fallait que ça se fasse en temps et en heure, se souvient la jeune femme. Je me suis trouvée nulle et je ne me voyais pas recommencer tellement je vivais mal ce retard qui grandissait. » Elle finit par reprendre progressivement les cours, à son rythme, et se rend compte que personne ne l’oblige à courir après ses camarades de promo. « Aujourd’hui, je me rends compte à quel point cette période a été nécessaire dans la construction de qui j’étais, analyse-t-elle. Et alors que j’avais toujours imaginé un parcours très classique, j’ai décidé à la rentrée de m’accorder une année de plus pour prendre le temps d’atteindre mon objectif. » Car Zoé se passionne depuis toujours pour la photographie de presse sans jamais l’avoir prise au sérieux. Ce n’était pas assez académique à ses yeux mais elle met désormais tous les moyens possibles en place pour en faire son métier. La voie est difficile mais elle y croit. Prendre le temps de s’arrêter lui a fait ouvrir les yeux sur ce qu’il y avait de vraiment important dans sa vie : la photo et sa famille.
Multiplier les opportunités
« Par ailleurs, je suis convaincue que cette échéance avant de rentrer dans le monde du travail permet de développer les opportunités, affirme Juliette Maillard Sobieski. À mon époque, on prenait le premier métier qui s’offrait à nous mais aujourd’hui les choses sont différentes. » De fait, la multitude de choix fait qu’on peut se permettre d’expérimenter des métiers avant de rentrer dans la vie active. Entre le service civique, le bénévolat, les stages… Les options sont nombreuses ! Après son bac, Julia, 22 ans, a choisit de faire une licence en études théâtrales à la fac qu’elle a obtenue en distanciel, pendant la pandémie du Covid en 2021. « Les cours à distance lorsque l’on est dans une filière artistique c’est compliqué, confie-t-elle. Alors je me suis accrochée jusqu’à la fin de la licence, mais je n’ai pas eu la motivation de continuer en master et j’ai décidé de prendre une année de césure pour découvrir autre chose. » Malgré la culpabilité d’arrêter ses études, elle ne se voyait pas continuer dans un master qui ne l’intéressait pas juste pour avoir un bac+5, et a trouvé un petit boulot dans un restaurant à Lille après son diplôme. « Pendant ces sept mois en restauration, j’ai appris beaucoup de nouvelles choses mais je me suis aussi perdue dans la spirale infernale du travail, pourtant seulement temporaire, et cela m’a empêché de réfléchir à ce que je voulais faire de ma vie. » Depuis septembre 2022, elle est fille au pair à Bruxelles. Cela lui permet de prendre un peu de distance et de se rendre compte que les parcours scolaires et la vie en général, sont rarement linéaires.
« Cette année de césure m’a permis de prendre le recul nécessaire pour m’assurer que le théâtre n’est pas un domaine dans lequel je veux travailler, reconnaît-elle. Je ne sais toujours pas, à vrai dire, ce que je vais faire après mon expérience au pair, mais je sais que je suis capable de rebondir, et ces deux dernières années me le prouvent encore aujourd’hui. » Tous les essais vers lesquels vous allez vous tourner pendant cette “période de pause” sont riches car ils vous aident à vous aiguiller sur ce que vous voulez faire et ce que vous ne voulez pas faire. « Ils vous offrent une expérience immersive dans le monde du travail et un avant-goût des différents métiers qui existent », soutient Juliette Maillard Sobieski.
Enfin, rassurez-vous, votre futur employeur ne va pas forcément tiquer sur un trou d’un an dans votre parcours scolaire et cela ne vous empêchera pas de vous insérer dans la vie active ensuite. Surtout que ce temps mis à profit vous servira en entretien à mettre en valeur toutes les choses que vous avez apprises. Impossible alors pour le recruteur de ne pas comprendre vos motivations ! Quant à ceux qui regrettent de ne pas avoir pris ce temps une fois en poste, dites-vous qu’il est toujours possible de prendre du temps pour réfléchir après ses études. Il n’y a pas de fatalité, les portes continuent de s’ouvrir même si vous avez déjà plongé la tête la première dans la vie active. « Tout au long de votre carrière, n’hésitez pas à prendre du temps pour vous interroger sur vos envies et vos ambitions. Multipliez les rencontres et surtout, restez curieux et ouvert. » Si Julia avait un seul conseil à donner, ce serait d’oser coûte que coûte : « Ce n’est pas une honte de mettre plus de temps à terminer ses études, de changer plusieurs fois de parcours ou même de ne pas savoir ce qu’on veut faire de sa vie ! L’essentiel étant de se sentir bien ».
Finalement, plutôt que d’en avoir honte, il faut profiter pleinement de ces temps de pause pour un tirer un bénéfice pour la suite de son cursus et sa carrière. Apprendre à bien se connaître est précieux, pas seulement pour le métier à venir mais pour toute la vie présente et future.
Article édité par Aurélie Cerffond, photo par Thomas Decamps
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