Télétravail et libido : près des yeux, près du corps
Apr 04, 2024
4 mins
En couple, il est d’usage de penser qu’il faut « se manquer » pour mieux se désirer. Pourtant, d’après une étude récente, une grande majorité de télétravailleurs déclarent faire plus l’amour avec leur conjoint… en télétravail. Se pourrait-il que le home office soit l’allié de la libido ? On fait le point avec la sexologue Margaux Terrou.
« La libido c’est le désir, l’énergie sexuelle que l’on ressent pour l’autre ou pour soi », pose Margaux Terrou. Sexologue à Boulogne-Billancourt (92), elle voit défiler dans son cabinet de nombreux cadres à la vie professionnelle intense, qui expérimentent épisodiquement une baisse de cette énergie sexuelle. « Entre le foyer à entretenir, les enfants à gérer et le quotidien pro qui épuise, il n’est pas rare que la vie sexuelle du couple trinque », explique-t-elle. Des vies bien remplies aux obligations qui assomment et finissent par impacter le désir d’un ou des deux partenaires. D’instinct, on imagine qu’il faudrait à ces amants en peine un voyage sur une île paradisiaque pour favoriser le retour de flamme… et pourtant, il se pourrait que la solution soit bien plus simple que cela. En effet, d’après une étude Qapa datant de 2022, 72% des télétravailleurs déclarent faire plus l’amour avec leur conjoint en télétravail. Une pratique qui se répand puisque seulement 64% l’avouaient en 2021. Des chiffres qui n’étonnent pas notre experte, tant il font écho à un principe fondamental en sexologie : « En matière de libido, la règle est simple : on ne peut désirer quelqu’un qu’on ne voit pas ! » De là, à s’adonner à la bagatelle entre deux réunions en visioconférence ? Margaux Terrou recadre notre imaginaire : « Certes ces télétravailleurs font plus l’amour mais ça ne veut pas dire qu’ils le font pendant leurs journées de travail ! Les relations sexuelles ont lieu davantage le soir mais ce qui change la donne pour ces couples, c’est qu’ils ont passé plus de temps ensemble dans la journée, ce qui renforce la complicité, l’intimité et donc le désir pour l’autre. »
On désire ce que l’on voit
C’est bien le manque de temps de qualité à deux qui fait défaut à de nombreux couples. Par « temps de qualité », on entend un véritable instant partagé où l’on discute, on cuisine, on partage une activité… et non, regarder Netflix côte à côte avec un œil sur l’écran de la tv et l’autre sur celui de son smartphone ne compte pas. « Quand je pose la question en consultation, il n’est pas rare que les partenaires me relatent que, sur une journée entière, ils n’ont eu que 30 minutes de véritables échanges. Dans ces conditions, difficile de se sentir proche de l’autre. » En travaillant de la maison, on économise de précieuses minutes/heures sur les temps de trajet pour se rendre au bureau, mais surtout, dans la journée, on peut s’octroyer des pauses cafés, un déjeuner dans le restaurant du quartier, une balade… autant de moments à deux qui rapprochent et (r)éveillent le désir. Parfois on ose aussi davantage les gestes tendres, quand il peut y avoir une forme de censure en présence des enfants.
Chacun son ménage pour plus de rapports !
En second plan, le télétravail avec la flexibilité qu’il offre aux salariés, favorise pour certains une meilleure répartition des tâches ménagères au sein du foyer ce qui a son importance comme le souligne Margaux Terrou : « c’est un sujet de friction assez commun qui n’est pas sans répercussion sur l’énergie sexuelle ». Ainsi, d’après une étude américaine publiée en 2016, lorsque le partage est équitable, les couples font davantage l’amour. On peut gager également que le télétravail permet de gommer certaines frustrations de la vie quotidienne, comme celle d’un conjoint qui rentre tard le soir à cause de son travail.
Un équilibre à trouver
Enfin, en voyant briller son conjoint dans son univers professionnel, cela peut-il renforcer l’admiration qu’on lui porte et donc notre désir pour lui ? A priori oui, si tant est que son travail se passe bien et que son environnement pro soit apaisé. Sinon attention à l’effet contre-productif de la démarche : « Bien sûr que si on subit des contrariétés professionnelles, cela fait pénétrer le stress dans la vie intime du couple, et ce n’est pas une bonne chose ! D’une manière générale, le stress au travail impacte négativement la libido, on le vérifie autant chez les hommes que chez les femmes. » De même, on se souvient de ces couples qui avaient explosé lors des confinements liés à l’épidémie de Covid-19, en partie à cause des foyers transformés en bureaux partagés. Même si l’actualité anxiogène d’alors, l’enfermement imposé et la cohabitation avec les enfants déscolarisés, en font bien entendu un contexte différent. « On en revient à cette notion de consentement, analyse la sexologue. Les confinements étaient subis, dans des conditions parfois très difficiles, alors que là l’idée est de choisir de caler des jours de télétravail ensemble. C’est comme un mini projet de couple. » Un mini projet dont la durée augure de la réussite.
Le fait d’être 100% du temps ensemble peut être aussi nocif, l’idéal étant plutôt de passer deux/trois jours de télétravail ensemble dans la semaine ou de temps en temps dans le mois, ce qui suppose d’avoir les mains libres pour l’organiser. « Je ne peux pas par exemple “prescrire” à tout le monde du télétravail en couple, révèle la sexologue. Tous les salariés ne bénéficient pas de cette possibilité dans leur entreprise, et ceux qui le peuvent, n’ont pas forcément le choix des jours… Mais c’est une piste intéressante à creuser pour booster la libido des partenaires. »
Télétravail ou pas, l’idée principale à retenir est l’importance du temps passé ensemble car la sexualité n’a rien de magique comme le détaille notre experte : « La sexualité c’est la poursuite du discours d’un couple. Ce qui signifie qu’un couple qui ne se parle pas au quotidien au sens propre, annihile son intimité physique. Plus prosaïquement, on n’a pas forcément envie d’ouvrir ses cuisses à quelqu’un qu’on a pas vu de la journée. C’est bête, mais la plupart des gens ont tendance à l’oublier. » Si le sexe est naturel, la sexualité non, rappelle-t-elle, elle nécéssite qu’on l’entretienne en lui créant les conditions favorables à son épanouissement.
Article écrit par Aurélie Cerffond, édité par Gabrielle Predko ; Photo par Thomas Decamps.
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