Arnaud Prost, astronaute : « On peut viser l’excellence dans toute filière »
04 ene 2023
7 min
Journaliste
À 30 ans seulement, Arnaud Prost a été sélectionné par l’Agence spatiale européenne (ESA) pour devenir membre de la réserve des astronautes. Ingénieur et pilote pour la DGA-essais en vol (direction générale de l’armement), il continue à se former pour être prêt, un jour, à s’envoler pour la station spatiale internationale, Mars ou la Lune ! Il revient sur ses motivations, son parcours universitaire et professionnel pour transmettre, comme avant lui Thomas Pesquet, ses rêves et ambitions aux générations futures. Une rencontre de haut vol.
Dans quelles conditions avez-vous candidaté à la procédure de recrutement de l’ESA (Agence spatiale européenne) en 2021 ?
Je guettais cette opportunité depuis longtemps. La dernière campagne remontait à 2008, c’était donc un événement suffisamment rare pour être attendu. Je ne savais même pas si j’allais avoir l’âge idéal pour être dans la fenêtre de tir (lors de la précédente sélection en 2008, les candidats pouvaient postuler jusqu’à 37 ou 40 ans. Un seuil désormais repoussé à 50 ans, sans âge minimum requis, mais avec un diplôme de master minimum, ndlr). C’était vraiment un rêve d’enfant, aussi longtemps que je peux m’en rappeler. Je l’ai affiné au fur et à mesure que j’ai grandi. Il s’est précisé pendant mes études, pour devenir un véritable objectif.
Devenir astronaute… Comment ce rêve d’enfant est-il né ?
L’une de mes sœurs construisait des petites navettes spatiales en carton. C’est elle qui pilotait, je n’étais que son passager ! Mais déjà, j’adorais. Ça a démarré comme ça. J’ai grandi à Marseille. Dès mon plus jeune âge, j’ai passé du temps dans l’eau. La nage tout petit. Puis, j’ai testé l’apnée, la chasse sous-marine, et quand j’ai eu l’âge, la plongée. J’ai découvert la sensation d’apesanteur, je me suis confronté à un milieu étranger. J’avais l’impression d’être sur une autre planète et j’aimais utiliser la technique pour maîtriser un environnement hostile. Adolescent, je me suis jeté dans les ouvrages de vulgarisation scientifique : je dévorais les livres d’Hubert Reeves sur l’astrophysique et la cosmologie, puis les écrits du physicien Stephen Hawking.
Votre famille est-elle pour quelque chose dans ces choix ?
J’ai grandi dans une famille de médecins et j’ai été libre de faire ce que je voulais, d’orienter mes objectifs selon mes intérêts : tout cela est une chance. Le message important, c’est de ne pas se censurer en fonction de son contexte familial. J’ai eu la chance de croiser des personnes de tous les milieux aux essais en vol et dans la sélection de l’ESA.
Comment s’accrocher à un rêve qu’on sait quasiment inatteignable ?
C’est difficile quand on a un rêve prenant. On peut être tenté de juger de toutes ces réussites à l’aune de cet objectif unique, mais c’est un piège à éviter. Je ne me suis jamais dit : « C’est astronaute ou rien. » Il n’était pas question de jouer mon va-tout sur cette seule profession. Je n’ai jamais perdu de vue que les chances d’arriver au bout étaient très fines. Alors, j’ai essayé de faire ce qui me plaisait, et j’ai utilisé cet objectif comme une source de motivation, une aide à la décision, une façon de me tirer vers le haut.
Avoir un objectif sans tout miser dessus, et se garantir des portes de sortie, c’est toute une stratégie. La conseilleriez-vous aux étudiants ?
Il faut être ambitieux, c’est très important. Pas forcément pour devenir astronaute, car il y a moyen de viser l’excellence dans toute filière. Mais plus on est ambitieux, plus on s’expose à un échec cuisant. Pour vivre avec ce paradoxe, mon conseil c’est de se dire : « ¨je ne veux pas être astronaute, je veux étudier, faire tous les efforts pour devenir la personne que j’estime la plus apte à devenir astronaute.* » Toutes les étapes intermédiaires deviennent des sources d’enrichissement. Pour résumer, il ne faut pas uniquement vouloir gagner le tour de France tout de suite, mais savoir savourer les victoires d’étapes.
Quelles étapes de votre parcours avez-vous savourées ?
Dès que j’ai pu étudier les sciences, j’ai été dans mon élément. Ça a été une source de motivation pour les écoles préparatoires, puis pour intégrer l’école Polytechnique. C’est une réussite intermédiaire qui m’a beaucoup apporté.
Aviez-vous des facilités ?
En physique oui, car j’étais passionné par l’astrophysique depuis l’enfance. C’est plus facile d’être motivé quand on est passionné ! Puis, je me suis jeté à corps perdu dans les maths car j’en avais besoin pour la physique. Je n’ai jamais été trop prompt à me reposer sur le talent, mais plutôt sur la force de travail. J’étais clairement un étudiant besogneux et je le suis toujours. Suivre un double diplôme Ingénierie aérospatiale à ISAE-Supaéro et un master astrophysique et planétologie à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, a demandé une grande organisation et énormément de travail. Ça n’a pas été une souffrance, mes études n’ont jamais été un chemin de croix.
Avez-vous eu des modèles ou des mentors durant vos études ?
En entrant à Polytechnique, j’avais pris des contacts avec les astronautes Jean-François Clervoy et Philippe Perrin. Ils m’ont tous les deux conseillé de toujours suivre mes envies. Les cursus sont si divers qu’on ne peut pas définir un chemin idéal pour y parvenir. Les stages m’ont énormément apporté. Pour mon stage de fin d’étude à Polytechnique, je me suis appuyé sur le CNES (Centre national d’études spatiales), l’agence spatiale française. J’ai envoyé mon CV, on a listé ensemble mes objectifs. Grâce au CNES, j’ai pu passer six mois au jet propulsion laboratory de la NASA à Pasadena en Californie. À la fin de mon double cursus, je visais la Russie, pour parfaire mon apprentissage de la langue et intégrer un institut de recherche de haut niveau. En fin d’études, il faut poser des questions, oser dire simplement ce qu’on veut faire. Quand on se présente avec des projets clairs, un CV à la hauteur, on a des opportunités qui se présentent, et les gens sont la plupart du temps bien intentionnés.
Être sélectionné pour l’agence spatiale européenne, c’est un vrai parcours du combattant. Comment vous y êtes-vous préparé ?
Le processus de recrutement a duré un an et demi. La grande difficulté était l’arbitrage à faire entre valoriser le CV, sans se surévaluer pour maintenir une cohérence dans la candidature, jusqu’à la fin de la sélection. Les épreuves ont demandé beaucoup de courage.
Pour quelle raison ?
Parce que la compétition est rude et qu’à chaque étape, on peut perdre l’opportunité de devenir astronaute. Les candidates et candidats que j’ai rencontrés étaient tous passionnés, enthousiastes, avec des qualités humaines et des parcours uniques. Il y a tellement peu de places que beaucoup de personnes extrêmement compétentes sont laissées sur le côté, c’est difficile.
Qu’avez-vous réussi dans les épreuves ?
L’enjeu, selon moi, était d’arriver à montrer que mon approche de cet objectif était rationnelle, mais soutenue par une très forte motivation qui m’accompagnerait sur le long terme. J’ai vraiment mis l’accent sur l’aspect humain plus que sur l’aspect technique qui est plutôt supporté par le CV.
Parmi les sélectionnés, quels profils vous ont marqué, et pourquoi ?
Je suis vraiment impressionné par le parcours de John McFall, le premier parastronaute. C’est quelqu’un qui a un parcours unique : athlète paralympique de haut niveau, chirurgien orthopédique, et maintenant astronaute ! Il est inspirant, et sur le plan personnel. Je me suis très bien entendu avec lui, c’est quelqu’un qui a une vraie épaisseur humaine avec qui on rigole facilement. J’espère sincèrement qu’il pourra aller dans l’espace. Le message qu’il porte de dépassement de soi et de différences est magnifique.
Le titre de “parastronaute” apparaît pour la première fois dans la sélection de l’ESA. Que représente-t-il pour vous ?
Il représente le début d’une nouvelle ère dans le spatial, avec des nouvelles opportunités, des nouveaux challenges, et la capacité d’étendre ce rêve au plus de monde possible dans la population.
Six jeunes femmes figurent parmi les sélectionnées au total. Quelle avancée cela représente-t-il ?
Idéalement, il ne faudrait même pas que l’on se pose la question. Pour moi, il n’y a aucun débat possible : il est primordial que les jeunes femmes ne se censurent pas et s’autorisent à se lancer dans des carrières scientifiques de haut niveau, comme astronaute ou pilote de chasse ou ingénieur d’essai ! C’est une très bonne chose d’avoir une meilleure représentation des femmes dans cette promotion pour pouvoir casser ces préjugés et encourager les vocations.
Grâce à la popularité de Thomas Pesquet, et aujourd’hui à cette nouvelle promotion de l’Agence spatiale européenne, davantage de vocations vont naître d’après vous ?
Parmi les 22 523 candidats, on compte plus de 7 000 françaises et français, c’est sans aucun doute l’effet Thomas Pesquet ! En partageant “l’overview effect” des astronautes, il a amené l’espace dans la maison des Français et a favorisé la prise de conscience des enjeux spatiaux. Avec 11 membres de 9 pays européens, la réserve a aussi pour mission de donner plus de visibilité aux vols habités, et embarquer le plus de monde dans l’aventure, et pas seulement des astronautes. Dans l’aéronautique on dit qu’il faut des milliers de personnes pour faire voler un avion. C’est encore plus vrai pour faire voler quelqu’un dans l’espace. C’est un domaine qui crée des métiers d’ingénierie de très haut niveau, d’expertise, de science vers lesquels j’encourage les jeunes à se lancer, car ils font sens.
Ce statut de membre de la réserve vous laisse t-il entrevoir une chance de réaliser votre rêve ?
Actuellement, il y a deux possibilités pour les européens d’aller dans l’espace. L’ESA a obtenu 3 sièges pour aller sur la Lune grâce à sa participation essentielle au véhicule ORION via la construction de l’ESM (European Service Module) : c’est un grand succès de l’Europe spatiale. Pour les astronautes de l’ESA, les vols vont commencer à partir des missions Artemis III ou Artemis IV aux alentours de 2027. En parallèle, avec l’extension de l’ISS (station spatiale internationale) jusqu’en 2030, quatre vols longs sont envisagés. Mais, dans les prochaines années, d’autres opportunités de vol ont de grandes chances de se créer avec le développement des stations privées en orbite basse. Une suite va certainement être donnée à l’ISS et les activités vont s’accélérer sur la Lune. On continue donc à progresser dans nos cursus professionnels et si des opportunités de vol se présentent, ou si l’un de la précédente sélection prend sa retraite, on se tient prêt. Je suis optimiste !
Comment prendre en compte la notion de risque quand on s’oriente vers le métier de pilote ou d’astronaute ?
Il ne faut pas partir du principe que ça se passera bien : le risque est réel. L’important est de ne pas en faire un objectif. Chercher le risque pour s’en vanter le soir au bar, ça c’est dans Top Gun. Ce n’est pas absolument pas la réalité ! Le risque est à gérer pour faire des choses extraordinaires. Il y a une expertise du management des risques à acquérir, qui est au cœur des essais en vol. On imagine les procédures avant chaque mission : « what if », pour s’assurer qu’on a les idées claires sur les choses à faire. C’est une méthode que j’ai aussi importée dans la plongée technique profonde que je pratique.
En quoi votre poste à la direction générale de l’armement, où vous travaillez depuis 2020 aux essais de l’avion de combat Rafale et où vous coordonnez l’équipe d’essai avec des ingénieurs et des pilotes, vous encourage-t-il à persévérer ?
Mon cursus à DGA Essais en Vol est particulier : j’ai à la fois la casquette pilote de chasse, même si je ne suis pas pilote opérationnel, car je n’ai pas fait d’opération extérieure et d’ingénieur d’essai en place arrière, en vol ou au sol. Participer à des expériences dans l’espace serait le rêve absolu, mais faire des essais en avion, pousser l’enveloppe, augmenter les capacités dans le milieu aérien c’est déjà une partie du rêve. Je continue à m’entraîner en pilotant d’autres aéronefs. Les essais en vol, c’est vraiment une école formidable selon moi : je suis en formation permanente. C’est l’histoire de ma vie. Je ne sais pas quand je vais arrêter d’apprendre, pas tout de suite en tout cas.
Article édité par Manuel Avenel, photos Max Bauwens pour WTTJ
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