Notre-Dame-du-Travail : l'église où déposer son CV et prier pour sa carrière
18 sept 2023
7 min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste chez Welcome to the Jungle
Avez-vous déjà eu envie d’allumer un cierge pour accroître vos chances de promotion ? De prier pour que votre CV fasse mouche auprès d’un recruteur ? C’est possible à l’église Notre-Dame-du-Travail dans le XIVe arrondissement de Paris. Édifice achevé en 1909, dont l’architecture originale retrace un siècle d’histoire du monde ouvrier à la start-up nation. Visite guidée.
Dans l’air matinal et tiède du mois d’août se dandinent les herbes des champs encore hautes du square du Cardinal Wyszynski, par-devant lequel sortent de terre, les murs d’une église. Dans la rue Vercingétorix dans le XIV arrondissement de Paris, les sonnailles de la cloche de Sébastopol retentissent. Tout en haut de la tour-escalier, vibrent les 552 kg d’airain récupérés lors de la guerre de Crimée et offerts par l’impératrice Eugénie à Notre-Dame-du-Travail. En passant, l’on pourrait poursuivre son chemin sans y prêter plus d’attention tant son style néo-roman en pierres parait classique. Ce serait une erreur. Déjà, un pan du mur supérieur se teinte d’orangé. De la brique de bourgogne, récupérée après le démantèlement des abattoirs de Grenelle. Une singularité qui imite étrangement la façade d’une usine.
À droite, la tour-escalier qui abrite la cloche de Sébastopol. Au centre, le cadran moderne offert par un particulier n’indique plus l’heure
Un ciel de métal
Qui est déjà entré dans une église connaît ce phénomène. Exposé à la lumière du jour, l’iris de l’œil se dilate. Un réflexe pupillaire commun qui nous aveugle un instant lorsqu’on change brusquement de luminosité. Mais en pénétrant dans l’église de Notre-Dame-du-Travail, nulle cécité. Car ici la lumière interne semble aussi constante qu’à l’extérieur. Une clarté imputable à l’alternance de vitraux jaunes et violets, dont les couleurs chaudes et froides fournissent cette ambiance diaphane, qui se joue même dans la grisaille parisienne.
NdT pour Notre-Dame-du-Travail. Les motifs floraux ramènent la nature à l’ère industrielle
Du narthex au cœur, on croit visiter un vaisseau de métal. Le corps d’un géant de fer dont les côtes seraient à nue. Quatorze poutres de métal traversent la nef latéralement (comme les quatorze corporations qui ont financé cette église). On entre dans un univers de 135 tonnes de métal. Une véritable forêt sur un plan basilical de 59 mètres de long et 25 de large. Une étrangeté que l’on doit à Jules-Godefroy Astruc, élève de Victor Laloux (architecte expert des matériaux en métal qui a notamment construit la gare d’Orsay), mais un scandale à une époque où l’ossature des églises, généralement en bois, se couvre de pierre. Ces grands arceaux cintrés sont en fait la résultante de peu de moyens et d’une volonté de recréer un monde industriel familier pour les ouvriers qui devaient venir se recueillir dans cette paroisse. Les poutres sont ainsi issues de récupération suite à la destruction du Palais de l’industrie (1896) qui laissera place aux Petit et Grand Palais. Rivetées et boulonnées Boulevard Vaugirard, elles seront acheminées sur des chars à quatre roues pour nous plonger dans une ambiance sobre sans marbre ni dorure, faisant songer à une esthétique que l’on pourrait retrouver dans un livre de Jules Verne ou encore à la tour Eiffel. Rien de hasardeux là-dedans.
14 poutres de 135 tonnes de métal, récupérées après la destruction du Palais de l’industrie (1896)
Une église pour les ouvriers
En pleine révolution industrielle, la population parisienne connaît un boom de sa population et croit de plus de 140 000 habitants entre 1845 et 1861. Dans le seul 14e arrondissement, on passe de 3000 à 35 000 habitants. Des néo-urbains attirés par l’effervescence parisienne qui accueille cinq expositions universelles entre 1855 et 1900. Les Chantier de la tour Eiffel, de la Gare d’Orsay, ou encore du Pont Alexandre III sont d’importantes opportunités professionnelles pour les ouvriers. Et lorsqu’en 1897, la paroisse de Vaugirard devient trop exiguë pour accueillir la démographie débordante de Plaisance, Soulange-Bodin (1861-1925) alors jeune prêtre, imagine la construction d’une nouvelle église. Imprégné par le courant du catholicisme social, il veut apporter son aide aux ouvriers et lutter contre l’isolement. Il dédie ainsi ce projet à Notre-Dame-du-Travail, car selon sa conception, la meilleure charité n’est point celle qui donne de l’argent au pauvre mais celle qui permet de le relever par le travail.
Le catholicisme social s’organise en réponse aux conséquences sociales de la révolution industrielle, à savoir, la paupérisation et la misère ouvrière
Il s’adonne alors à la construction d’un véritable sanctuaire du travail ouvert à tous. Sur la béance d’une ancienne carrière (recouverte depuis d’une couche de vingt mètres de béton armé), débute un chantier colossal. Le devis est estimé à 700 000 francs, mais le prêtre débute avec 33 000 francs. Soutenu par des corporations, syndicats de patrons et dons de particuliers, faisant face à l’adversité comme la confiscation des biens de l’Eglise par l’État au moment de la séparation en 1905, l’église sera finalement achevée en 1909. Mais en 1910, Soulange-Bodin qui a claqué toute sa fortune personnelle - tel un business angel - pour la construction, est envoyé dans une autre paroisse. Non sans léguer aux paroissiens de l’époque, une véritable œuvre sociale.
Quand la semaines de 4 jours est encore en rodage
Tickets resto et télétravail : une œuvre sociale en avance sur son temps
Dans les années 1900, le théâtre parisien ressemble encore de près à celui que décrit Victor Hugo dans Les Misérables (1862). C’est pourquoi Soulange-Bodin, met en place dans ce projet, des systèmes de patronats pour s’occuper des enfants, des femmes et des hommes. Avec le travail comme pierre angulaire. Ainsi, les enfants abandonnés et recueillis sont confiés à l’apprentissage d’un métier de leur 16 à 18 ans. Un genre de lycée pro avant l’heure, peut-être moins angoissant que Parcoursup.
Les femmes ne sont pas en reste, puisqu’il crée l’œuvre du Torchon (on soupire tout de même pour ce nom) grâce auquel elles fabriquent des œuvres de couture qu’il diffuse dans toute la France, prenant à sa charge leur envoi. Son argument de vente : acheter les confections à l’œuvre du Torchon, revient au même prix que les grands magasins mais permet d’élever le salaire de l’ouvrière qui profitera de la suppression des frais généraux, et à la mère de famille de travailler depuis chez elle en tenant son foyer et surveillant ses enfants. De quoi favoriser l’ordre des ménages ouvriers, l’aisance et l’esprit de famille inclus. Ambiance full remote, équilibre vie pro/vie perso sauvegardé avant l’heure et défi de la gestion carrière et de la parentalité relevé.
Il lance aussi l’idée de bons pour les travailleurs, qui leur permettent d’acheter de la nourriture dans les commerces avoisinants. L’ancêtre du ticket-resto. Résolument moderne. En revanche, aucun baby-foot n’a été retrouvé sur place.
La neuvaine, une prière de neuf jours à Notre-Dame-du-Travail
Ici les patrons sont des saints
Non, vous n’êtes pas entré dans le rêve de votre boss mégalo. En suivant le Chemin de croix (le parcours de Jésus du moment de sa condamnation jusqu’à sa mort) le long de quatorze stations en hêtre et en pin qui constituent des chapelles en anse de panier de part et d’autre de la nef, des peintures aux motifs floraux ornent les murs. À côté des roses arabesques (les artistes ont voulu figurer une nature trop discrète à l’ère industrielle) des saints patrons représentent et fédèrent les métiers des parisiens d’alors. Saint Fiacre et sa pelle en référence aux jardiniers. Saint Joseph, que l’on prit quand on a des soucis de travail, en charpentier dans le décor de la ville de Sepphoris. Saint Eloi, patron des métallurgistes ou encore Saint Luc, patron des artistes et ouvriers d’art, rappelant que tout Montmartre descendait à Montparnasse avec l’ouverture des lignes de métro.
Ton boss quand il te dit que l’entreprise est une grande famille
Un bloc sculpté de six tonnes siège dans le cœur de l’église : Notre-Dame-du-Travail en calcaire et en pierre blanche. La Vierge au travail se distingue de sa réplique traditionnelle. Ici, Jésus enfant sert une herminette (outil de travail du bois) à la main et sa mère, une quenouille. L’artiste Joseph Lefèvre (1836-1911) représente la révolution industrielle incrustée sur les flancs de la statue. Un chemin de fer, des fils électriques, une usine et des outils d’ouvrier comme un métier à tisser, ou un appareil photo.
Saint Eloi présentant le trône en pierres précieuses qu’il a fabriqué pour le roi Clotaire II
En reprenant le chemin de croix apparaît un autre personnage, Sainte Bibiane. Celle que l’on prie pour les migraines et… les gueules de bois. À l’époque, l’alcoolisme était un fléau, car pour supporter le rythme intense de la semaine de 70h, les ouvriers se piquaient le nez dans les commerces de vin qui florissaient. Le catholicisme social souhaitait aider l’ouvrier à se reprendre en main dans ce rude monde du travail. Finalement, l’afterwork, c’était pas mieux avant.
Une fresque industrielle sur les flancs de Notre-Dame-du-Travail. Sont représentés, globe, enclume, équerre, truelle, équerre, lyre, le pinceau, compas d’architecte, colonne corinthienne, pelle de boulanger, horloge, collier bricole pour attelage des chevaux…
Et aujourd’hui ? L’héritage de Notre-Dame-du-Travail
Échappant au projet de radial de 1975, qui avait pour but de créer un axe routier direct entre Boulevard des Maréchaux et Montparnasse, en détruisant au passage l’édifice, le sanctuaire du travail, tel Renaud est toujours debout. Et si la population ouvrière n’est plus aussi importante à notre époque, le travail n’a comme valeur cardinale de notre société peut-être jamais autant été remis en cause.
Alors, pour inscrire ses pas dans l’empreinte de son histoire, une fête patronale est célébrée annuellement le deuxième dimanche d’octobre. Une procession de fidèles vient prier Notre-Dame-du-Travail et apporte des objets en lien avec leur situation professionnelle. Des personnes en recherche d’emploi déposent un CV près de l’autel ; des télétravailleurs apportent souris, un laptop (tous les objets sont récupérés à la fin). Un jour, un cheminot a même ramené un immense rail dans l’église. Alors pensez à allumer un cierge la prochaine fois que vous demandez une augmentation. Ça ne coûte rien d’essayer.
Un pèlerinage annuel se réalise également entre l’église Saint-Joseph l’Artisan, dans le 10e à côté de Gare du Nord, et jusqu’à Notre-Dame-du-Travail. À cinq occasions par an, des veillées sont organisées. On y distribue des petits papiers de couleurs sur lesquels on peut écrire ce qui nous plaît et nous déplaît dans notre rapport au travail, pour réfléchir au sens qu’il prend dans nos vies.
Vue sur la nef et le collatéral où se situent les stations du chemin de Croix
Enfin, pour faire vivre ce lieu, tous les quinze jours, un café emploi est animé par un consultant bénévole. Ce moment d’échange permet de partager l’avancée de sa recherche d’emploi, de réfléchir à sa carrière, avec pour leitmotiv de ne pas rester seul, comme le souhaitait Soulange-Bodin. Depuis la dernière fête de la musique, une buvette associative a également vu le jour. Au Verre Saint, vous pourrez, pépouze sur une chaise Fermob, boire une pinte à 4 euros pour l’afterwork. Et prier Sainte Bibiane en cas de gueule de bois.
Article édité par Aurélie Cerffond, photographies par Thomas Decamps
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