Le pire conseil pro : « Il faut accepter n’importe quel salaire pour commencer »

07 jun 2023

5 min

Le pire conseil pro : « Il faut accepter n’importe quel salaire pour commencer »
autor
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

colaborador

Dans la vie, il y a les bons tuyaux, des préceptes éprouvés et que l’on applique volontiers dans notre vie pro ou perso. Puis, il y a tous ceux que l’on rangerait bien dans la catégorie “pires conseils ever”. Ce sont ces tips pour se lancer dans la vie active que nous distillent parfois (avec bonne intention) proches, managers, ou collègues… Avant qu’on ne se rende compte qu’ils sont bidons. Dans cet épisode, Perrine, 27 ans, agronome de formation, revient sur le pire conseil professionnel reçu au début de sa carrière : « Il faut accepter n’importe quel salaire pour commencer ».

Lorsque j’ai reçu ce conseil, j’avais encore 22 ans et je sortais de cinq années d’études. Je me suis orientée vers un diplôme d’agronome, après l’obtention duquel j’ai pu démarrer ma vie active. À la fin de mon alternance, la boîte dans laquelle je m’étais formée en tant que commerciale (mon rôle était d’acheter du grain aux agriculteurs) m’a proposé d’enchainer sur un CDD, puis au bout d’un an, un CDI m’était enfin proposé pour mon plus grand bonheur. J’allais enfin pouvoir évoluer dans mes missions et voir mon salaire rehaussé à hauteur de mes compétences. Mais très vite, je suis tombée des nues face à la proposition indécente que l’on m’a faite en matière de rémunération. Avec un Bac + 5 et après avoir fait mes preuves dans cette entreprise, on m’offre… un SMIC.

Que faire dans cette situation ? J’ai répondu à ma manager de l’époque : « J’y réfléchis », sans grande conviction. Et je suis revenue vers elle pour lui faire une contre-proposition : « Pourquoi pas, mais pas à ce salaire-là. » J’ai compris que ça ne lui plaisait pas du tout. C’était en fait une demi surprise pour moi. Car dès nos premiers échanges, ses propos m’avaient déjà mis la puce à l’oreille. Elle m’avait ainsi glissé lors de mon arrivée : « Si tu acceptes un bas salaire, on t’en sera reconnaissante et tu pourras vite évoluer », ou encore « notre directeur n’aime pas les gens qui partent à 17h », comprenez « il faut que tu restes tard le soir ». Derrière ces exigences, la promesse que celles-ci allaient être remarquées et finiraient tôt au tard par payer. C’était la « bonne attitude » pour obtenir une promotion, des missions plus intéressantes et un salaire en conséquence. Et ce n’était même pas dit en filigrane, c’était clairement énoncé comme les règles du jeu à suivre. À 22 ans, j’avais forcément envie d’évoluer, mais malgré mes horaires à rallonge et mes bonnes performances, mon travail n’était pas reconnu à sa juste valeur. Et spoiler, on ne m’a laissé entrevoir aucune perspective d’évolution.

« Ici, quelqu’un qui est bon, qui a des compétences et performe, peut évoluer beaucoup plus vite dans sa carrière »

Comme j’avais déjà dans l’idée d’élargir mes horizons en travaillant à l’étranger dans un pays anglo-saxon en dehors de l’Europe, j’ai envoyé un dossier pour les États-Unis, refusé le CDI dans la foulée, et poursuivi plusieurs boulots en attendant l’obtention de mon visa. Une fois aux USA, j’ai découvert une autre mentalité. Ici, ton manager peut venir un beau jour à ton bureau pour te dire qu’après trois mois dans l’entreprise il a noté ton bon travail et qu’il est content de toi. 2h plus tard, tu es convoqué par les RH et obtiens une promotion. C’est hyper rapide et la promotion est active dès le mois suivant. Bon, ça marche dans les deux sens et tu peux aussi te faire virer « à l’américaine » en quelques secondes. Mais à titre personnel, je trouve qu’ils font en sorte de faire évoluer les bons candidats, d’aller les chercher pour les garder, car ils ont conscience que le marché du travail répond à la loi de l’offre et de la demande, car aujourd’hui les candidats peuvent aussi changer facilement d’entreprise. Tout n’est pas tout rose évidemment et je ne fais pas l’apologie de leur modèle, en France, on a bien d’autres avantages notamment en matière de protection sociale. Je retiens seulement qu’ici, quelqu’un qui est bon, compétent et performant peut évoluer beaucoup plus vite dans sa carrière.

Mon visa arrivant à son terme, je suis revenue vivre en France après un an et demi. De l’autre côté de l’Atlantique, j’ai une fois encore éprouvé de la difficulté à faire reconnaître mes compétences à leur juste valeur, même en ayant fait le choix de chercher dans un autre secteur d’activité supposé plus lucratif : l’aéronautique. Pour me tester, l’entreprise qui m’a embauchée m’a signée en contrat d’intérim en me promettant qu’un CDI m’attendait sagement. Puis, le discours a évolué, alors que j’avais déjà bien entamé mon contrat. Le CDI était devenu une condition : « Si » il y avait un CDI, ce n’était plus sûr, et puis ça ne se ferait pas avant octobre, soit 10 mois plus tard. Bref, on se moquait de moi. Rien n’avait été validé par les RH et cette proposition, c’était du vent. Au final, tu te rends compte qu’on te prend pour un pigeon, on t’en demande toujours plus et l’évolution n’arrive pas. Comme j’étais la seule bilingue dans cette boîte à capitaux américains, j’ai eu l’audace de demander une augmentation de salaire. Mais on m’a dit que j’étais déjà trop payée pour mon poste. C’est là que j’ai réalisé que ça n’était pas un problème cantonné à l’agriculture en fait.

Sois jeune et accepte

Aujourd’hui j’ai 27 ans et je repars pour Minneapolis. Plus expérimentée qu’en sortie d’études, j’ai pu faire le point sur mon parcours. Dès mes premières expériences professionnelles, on m’a expliqué que le secteur agricole n’était pas rémunérateur, que « l’agriculture ne paye pas ou très mal. » D’une certaine manière, ce genre de propos conditionne pour la suite à accepter ce qui semble alors une norme professionnelle. Et de fait, j’étais dans la moyenne salariale de mon entourage, j’avais donc l’impression que c’était normal. Quand j’interroge mes camarades de promo qui ont accepté le bas salaire contre la promesse d’évolution, je me rends compte qu’ils ont tous fini par quitter l’entreprise, après avoir stagné pendant plusieurs années et sont allés chercher l’évolution ou la promotion en changeant de boîte. La preuve que c’était de la poudre aux yeux. Je crois qu’en France, on a une certaine frilosité à faire évoluer des jeunes salariés et je crois que cette pensée vient aussi de la vieille école, d’une ancienne génération, celle de mes parents, pour qui le CDI était le Graal. Elle estime qu’à l’âge d’acheter une maison et de mener des projets, les jeunes diplômés resteront, peu importe les conditions. Sauf qu’aujourd’hui on place des choses au-dessus de la sécurité d’un CDI, comme la rémunération, mais aussi la confiance qu’on place envers une entreprise quand elle nous fait miroiter un plan de carrière du bout des lèvres. Mais quand cela ne vient jamais, ça ne donne tout simplement pas envie de bosser pour une telle boîte.

Si j’avais un meilleur conseil à donner, ça serait de se dire qu’à partir du moment où une entreprise veut vous recruter, c’est que vous êtes un bon candidat. Si vous êtes un bon candidat, n’hésitez pas à négocier, à demander. On n’est pas obligés d’accepter tout ce que l’entreprise propose, car elle essayera forcément de négocier vers le bas, peu importe la prétention salariale. Ce n’est pas évident d’avoir confiance en soi au début de sa carrière, on ne sait pas ce que l’on vaut, on attend qu’on nous donne un indice de notre valeur. Mais ce n’est pas à l’entreprise de nous la donner. C’est un peu comme lorsqu’on trouve des vieilleries dans son garage et qu’on appelle un brocanteur pour les faire estimer. Son rôle est d’acheter puis revendre et le prix qu’il vous donnera sera en dessous de sa valeur réelle. Quand on sort de l’école, c’est pareil, on ne sait pas ce qu’on vaut, ni le salaire auquel on peut prétendre, et en général, on s’arrête à la proposition émise par la première entreprise qui nous embauche.

À mon avis, la tâche nous est rendue plus ardue du fait que les offres d’emploi n’ont pas toujours de salaire indiqué, pas même une fourchette. Aux USA, c’est très clair : les offres décrivent la présentation de l’entreprise, du service, du poste, avec détails. Et surtout une partie qualification minimum et qualification maximum donne accès à une fourchette de salaire. Un job peut par exemple varier entre 68 000 à 80 000 dollars par an selon la qualification du candidat. Et c’est à ce dernier de parvenir à bien se situer, ce qui est un très bon moyen pour connaître sa valeur. Sans que l’on me dise à l’euro près combien je gagnerai, c’est tout de même une variable très importante qui ne doit pas être tenue secrète. Mais en France, on n’a parfois aucune idée du salaire avant le deuxième entretien. Bonjour la perte de temps ! Et tu apprends au bout du suspens que ça sera 1500 euros par mois. Merci mais non merci en fait. Plus jeune, cela m’a beaucoup frustré et de fait, je me suis faite piéger à accepter un bas salaire. Mais on ne m’y prendra plus.

Article édité par Gabrielle Predko ; Photographie de Thomas Decamps

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